My Lady

Une lecture rapide du pitch m’a fait imaginer My Lady comme un film lyrique et moral sur une question éthique épineuse : faut-il ou non obliger un mineur à recevoir la transfusion sanguine sans laquelle il est sûr de mourir, mais que lui et ses parents refusent en tant que témoins de Jéhovah ? Évidemment, si j’avais vu qu’il s’agissait d’un roman de Ian McEwan, je me serais doutée qu’il s’agirait d’autre chose. Je n’ai pas lu The Children Act, mais son adaptation par Richard Eyre indique qu’il est de la même eau que On Chesil Beach, tout en nuances et non-dits sur les relations humaines.

Le film s’ouvre sur une scène où le mari de Fiona Maye (Emma Thompson) tente d’obtenir l’attention de sa femme, accaparée par les cas qu’elle doit juger. La sinécure dure depuis des mois, des années, même ; les seules pauses qu’elle s’octroie sont dédiés à la pratique du piano, et n’ont rien de gratuites, puisqu’il s’agit de répétitions pour un récital public. Rien pour sa vie privée. Pendant cette scène inaugurale, je ne peux pas m’empêcher de me tourner vers Palpatine, qui esquisse alors un grand rictus d’excuse de toon pris la main dans le sac : cette situation, on la connaît de manière inversée ; elle ressurgit tous les six mois à un an.

Le scénario nous cache bien que le dilemme juridique présenté n’est épineux qu’en théorie : tous les cas similaires ont été tranchés dans l’intérêt de l’enfant, contre les croyances des parents. Cela, on l’apprend lorsque la juge décide de se déplacer au chevet de l’enfant, qui n’en est presque plus un, à quelques mois de sa majorité. La visite a un effet incroyable sur le jeune homme – Adam, d’une beauté et d’un esprit surprenants (Fionn Whitehead, que je n’ai pas reconnu de Dunkerque).

Une fois l’affaire jugée (aux trois-quarts du film, à peine), Adam n’a de cesse de reprendre contact avec la juge. Elle l’a arraché à la mort de martyre à laquelle il s’était résolu dans un mélange de foi et de complaisance. Le voilà sauvé… et abandonné, seul avec cette prise de conscience : ses parents se sont efforcés de vouloir sa mort, jusqu’à ce que la justice intervienne comme Dieu interrompant le sacrifice d’Isaac par Abraham ; au soulagement des parents répond l’horreur du fils.

Adam regarde Fiona avec la même ferveur avec laquelle on adore un dieu, dans un mélange d’admiration et d’amour qui ne peut se nommer – qui affleure dans un baiser donné-volé et achève la confusion des sentiments. Puisqu’elle l’a obligé à vivre, Adam veut savoir de Fiona comme vivre ; il veut devenir son disciple, venir habiter chez elle pour qu’elle lui dise quoi apprendre, quoi lire. Ce désir subit de vivre est magnifique – et terrible dans sa manifestation, déjà désespéré dans sa disproportion. Il est toujours dangereux de vouloir vivre dans un absolu, et c’est en cela que cet appétit de vie ne diffère en rien de la complaisance morbide à laquelle il succède – un emportement adolescent auquel ne succèdera aucune tempérance adulte : Adam est déjà, à nouveau, perdu. Émue, bouleversée même de ce qu’elle constate, mais effrayée aussi de la place d’idole qu’elle a prise sans le vouloir pour le jeune homme, Fiona tente de couper court au harcèlement dont elle fait l’objet ; aussi doucement qu’elle s’efforce de fermer la porte derrière Adam, elle ne peut le faire sans lui donner l’impression de lui tourner le dos. Agir dans l’intérêt de l’enfant, c’est aussi agir contre lui ; à moins qu’elle ne se protège elle, d’un excès de vie qu’elle ne saurait recevoir. À ce stade, les relations ne peuvent plus être nommées, devenues plus complexes et diffuses que ce que la société accepte, et que ce que Fiona accepte en tant que membre et représentante de cette société.

Qu’est-ce que vous me vouliez vous ?  Adam retourne à Fiona sa question : pourquoi venir le voir à l’hôpital alors qu’elle savait déjà la décision qu’elle allait prendre ? Question ouverte au spectateur. Les hypothèses s’avancent et tremblottent, incertaines de vie : besoin de retrouver le sens de sa fonction dans l’incarnation de ce qui reste autrement un cas théorique? curiosité de rencontrer le jeune homme qu’on dit d’une intelligence si vive ? ou encore besoin d’être confrontée à une croyance si forte qu’elle ébranle les siennes propres, et lui découvre sa propre tempérance comme un comportement moins raisonnable qu’étriqué ? Quoiqu’elle soit venue chercher, elle se prend de plein fouet la force de vie du jeune homme – assez tenace pour à la fois commencer d’apprendre à jouer de la guitare se sachant condamné, et persévérer vers la mort.

My Lady : entre l’appellation officielle de Fiona à la cour et l’adresse d’un poète énamourée à sa muse, le titre français est décidément bien trouvé…