Œ-DI-PUS REX !

Une musique de ballet en ouverture, cela ne mange pas de pain et c’est parfait pour faire la mise au point des jumelles (pour comprendre que la beauté de la jolie altiste du fond vient de ses pommettes très marquées) et décider si l’on voit mieux par-dessus ou par-dessous la barre de sécurité (à la fin des Créatures de Prométhée, la réponse est évidente : ni l’un ni l’autre).

Les Métaboles de Dutilleux, mobile de sons qui ricochent et dégringolent de manière imprévisible, ressemblent aux structures métalliques de James Thierrée : elles se disloquent pour mieux se réinventer. Dans ce drôle d’univers aux mondes sans cesse changeants, il suffit de quelques lointains accents jazz pour faire surgir une jungle urbaine qui surgit à une autre jungle, pleine d’yeux et de pattes qui cavalent en tous sens parmi les branches sans qu’on puisse les distinguer.

Œdipus rex de Stravinsky m’a presque donné envie de refaire du petit latin, c’est dire. Malgré la narration assurée par le récitant exprès pour que l’on n’ait pas à s’embarrasser de la langue, je m’amuse à retrouver les mots latins – exercice qui combine compréhension orale et version à partir surtitres, le chanteur interprétant Œdipe n’ayant manifestement jamais eu à réciter ses déclinaisons1. La (très relative) facilité s’explique à la lecture du programme : il s’avère que je fais de la version sur le résultat d’un thème, le livret étant une adaptation-traduction de la pièce de Cocteau. Je n’avais pas fait le rapprochement à l’écoute mais, on retrouve effectivement le mythe pour ainsi dire brut de La Machine infernale, qui se déroule, implacable, jusqu’à ce qu’à ce que tous les personnages soient zigouillés, exilés ou estropiés selon une distribution immuable. L’important n’est pas d’observer l’origine d’un complexe psychanalytique, c’est que le mythe soit présent, qu’il soit rejoué, là. Le latin nous dispense, nous interdit même d’explorer la psychologie des personnages ; « la parole devient pure matière à travailler musicalement, comme le marbre ou la pierre servent au travail du sculpteur ». On peut ainsi se laisser emporter par le chœur d’hommes qui incarne le peuple de Thèbes au rythme de tambours quasi-galériens et se laisser surprendre par la révélation de l’oracle, répétée dans un souffle par Œdipe, d’une voix livide. À la sortie du théâtre, je tape sur tout ce qui me tombe sur la main avec la légèreté de colonnes doriques, entrecoupant mes percussions d’Œ-di-pus rex avec la voix caverneuse.

Non seulement le programme des 80 ans de l’Orchestre national de France est équilibré (Beethoven, Dutilleux, Stravinsky : un classique, un compositeur mort depuis si peu de temps qu’on peut le dire contemporain et un moderne) mais, avec les métamorphoses des Métaboles et la relecture moderne d’un mythe antique, il témoigne d’une belle intention : que les orchestres soient à l’image de la musique classique, un art sachant se réinventer.

 

*boum, boum* Œ-DI-PUS REX ! Œ-DI-PUS REX ! *boum, boum*
(On n’est pas loin d’un syndrome d’amplitude DO RÉ MI FA.)

  

1 Avant de taxer son latin de latin de cuisine, je devrais peut-être remarquer que la prononciation du latin semble légèrement différer selon la langue d’origine. Il faut dire que la phonétique a été reconstituée à partir des onomatopées trouvées dans les textes et quand on sait qu’un coq français fait cocorico alors qu’il fait kirikiki en République tchèque…   

3 réflexions sur « Œ-DI-PUS REX ! »

  1. On n’a pas tous appris à prononcer le latin de la même façon : j’ai appris à faire des « c » et des « g » durs alors que d’autres les prononcent « à l’italienne », par exemple. Ou à prononcer les deux voyelles des diphtongues, alors que d’autres les fusionnent en une seule. Comme on n’a pas trop le moyen de vérifier, on va dire que tout le monde à raison 🙂

  2. Je savais que la prononciation différait d’une langue à l’autre mais pas d’une école à l’autre ! En deux collèges, deux lycées et une prépa, je suis toujours tombée sur des professeurs qui prononçaient les « c » et les « g » durs (et les « v » comme des « w »). Reste que le latin du chanteur qui interprétait Œdipe ne ressemblait ni à celle que nous avons apprise ni à l’italienne. Tu me diras, un Toulousain, un Marseillais et un Parisien parlent tous français et on a parfois besoin de sous-titres pour comprendre les vieux paysans qui passent au JT, alors une langue qui va de Cicéron à Descartes…

  3. Avoue que ce serait rigolo de pouvoir utiliser une machine à remonter le temps pour aller écouter comment Julius Caesar prononçait le latin. En attendant, on se contentera d’aller lire la version latine de Wikipedia…

    (Je vois que mon iPhone a encore transformé un “a” en “à”. Super…)

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