Cela peut paraître prétentieux, mais la prépa a été un plan B. Le plan A, c’était la danse. De la quatrième, où je suis entrée au conservatoire, jusqu’à la Terminale, où il a fallu bifurquer, j’ai été dans l’optique de passer professionnelle.
Pour qui m’a vu danser récemment, cela prête à sourire ; je n’arrive pas à la cheville d’un trente-sixième cygne remplaçant. À l’époque, c’était moins évident. La différence n’était pas encore aussi flagrante entre les aspirants qui réussiraient et les autres, moi. Je savais que je ne jouerais jamais dans la cour des grands, mais j’avais bon espoir de trouver ma place quelque part sur scène, dans une compagnie de second rang. Ma courbe de progression me semblait exponentielle : à mon arrivée en dernière année de cycle élémentaire, je faisais un demi-tour sur demi-pointes et j’avais une idée très vague de ce que recouvrait l’en-dehors ; à la fin de l’année, je faisais deux tours sur pointes sur la scène la plus en pente de France et je validais mon passage en supérieur. L’année suivante, j’obtenais ma médaille d’argent. L’année d’après, l’or, puis mon prix de perfectionnement dans une variation du répertoire. Lorsque les autres travaillaient un pas, je l’apprenais et ce retard a eu l’avantage de me faire aborder la grande technique sans peur : je ne voyais pas de différence fondamentale entre un pas de valse et des fouettés à l’italienne. Dans un cas comme dans l’autre, je ne savais pas faire : on décomposait le pas pour moi, je copiais, j’essayais, je ratais beaucoup et puis ça venait, je ratais à nouveau puis ça revenait, je l’avais, je pouvais commencer à travailler. C’était grisant.
Mes professeurs au conservatoire étaient aussi d’une génération pré-Guillem : le standards techniques n’étaient pas les mêmes. On pouvait espérer (j’ai absorbé cet espoir) faire carrière sans être une très bonne technicienne du moment qu’on était artiste. Et justement, je passais bien en scène : ce truc qui ne s’explique pas, qui fait qu’on existe sur scène et qu’on attire ou non les regards, je l’avais, je le sentais. On me l’a confirmé ; mon professeur, l’un des mes professeurs, en a été surprise la première fois. J’ai vite découvert pourtant que cela ne valait pas grand-chose lors des auditions pour les écoles supérieures – et je ne parle même pas de moi. Vous entrez dans le studio d’échauffement et il y a cette danseuse magnifique, dont vous ne songez même pas à être jalouse : un seul cambré suffit à vous pâmer, elle sera prise, cela ne fait aucun doute, une telle artiste, si jeune, et solide techniquement avec ça. Pour un peu vous ôteriez votre dossard et vous iriez vous asseoir pour la regarder, transformant l’audition en spectacle. Et la gamine n’est pas prise. On lui préfère un robot inexpressif avec deux centimètres de plus dans la rotation de l’en-dehors ou les levers de jambe. Le cas s’est présenté à plusieurs reprises ; j’en ai été scandalisée, et cette tristesse s’ajoutait à celle de mon plus prévisible refus.
J’ai enchaîné les auditions : CNR de Paris, CNSM de Paris, CNSM de Lyon, école du ballet de Marseille, de Rosella Hightower à Cannes, et rebelotte, plusieurs fois, et Rudra Béjart, et le jeune ballet de Thierry Malandain. L’audition la plus intelligente – et la plus humaine – était celle du CNSM de Lyon. Je l’ai passée deux fois. Elle se déroulait après deux jours de cours et la prof de classique venait parler avec les candidats éliminés. On repartait en pleurant, mais avec des raisons, des corrections et le plaisir d’avoir dansé. Ah, ma grande saucisse ! a-t-elle prononcé, désolée, quand je me suis approchée ; j’aurais grandi trop vite, un corps pas assez maîtrisé. Le sobriquet affectueux dont je me trouvais affublée montrait qu’elle m’avait bien identifiée. J’y trouvais une sorte de consolation, un maigre espoir. C’était dur à entendre, mais honnête, et on entendait là-dedans la bienveillance. Elle avait le courage de dire les choses, comme à cette danseuse hyper douée mais dont la croissance s’était arrêtée très tôt, le courage de dire : tu as déjà le niveau auquel l’école pourrait te mener et tu es trop petite pour n’importe quel corps de ballet classique ; soit tu réussis à te faire engager directement comme soliste, soit tu fais une croix sur ta carrière. La danse, c’est ça quand on n’a pas un corps qui permet de faire des belles phrases sur la volonté, quand on veut, on peut. Parfois on veut et on peut pas. Pas assez. C’est apprendre qu’on a chacun un jeu de possibles limité – assez vaste pour s’inventer plusieurs vies, mais pas forcément celle dont on aurait rêvé.
Je n’ai jamais dépassé le premier cours de sélection, nulle part. Quand on a du potentiel mais qu’on ne cesse d’échouer, la limite entre persévérance et entêtement devient ténue. Ai-je été assez raisonnable pour reconnaître mes limites et m’engager dans une voie qui ne soit pas une impasse manifeste ? Ou ai-je lâché trop tôt* ? Et alors, comment sait-on qu’on a été jusqu’au bout ? À combien d’auditions ratées est-il situé ? À la fin de la Terminale, j’ai envisagé d’aller à la fac ou même pas, et de danser de manière intensive. Et la prépa. D’un côté l’incertitude (et la probabilité de la médiocrité), de l’autre un prestige assez certain. Je me suis dirigée en prépa en me disant que c’était une expérience que je ne pourrais pas retenter après un an de fac, tandis qu’il serait toujours tant après un an ou deux de danser comme une damnée. Mais je ne me le suis même pas vraiment dit, car énoncé aussi clairement, j’aurais su que je faisais une croix sur la danse en tant que carrière : 18 ans, déjà, c’est tard pour n’être nulle part.
Sans compter, de surcroît, sur le vieillissement du corps. À 20 ans, personne ne le remarque en principe ; on a l’impression d’être à peine sorti de la croissance. J’ai pris de plein fouet l’inversion de la courbe. L’effort qui me permettait de progresser est devenu tout juste suffisant pour maintenir mes acquis. La réduction des heures dansées n’a pas aidé ; j’ai rétrogradé de 10 à 2 ou 4 heures d’entraînement par semaine (selon qu’il y avait ou non devoir sur table le samedi matin) et, continuant à pousser mon corps comme si rien n’avait changé, je me suis blessée – une élongation à la limite de la déchirure musculaire, 6 mois d’arrêt après une tentative de continuer à prendre une barre au sol aménagée.
Le choix entre les études et la danse est un choix que j’ai fait sans en avoir pleinement conscience : je repoussais le moment de renoncer et ce non-choix m’a embarquée. Je savais et je ne savais pas. C’est un peu comme de savoir qu’on est lundi, savoir que Gibert est fermé le lundi, mais se frapper le front devant la devanture close après avoir traversé la moitié de la ville (cela m’est arrivé un certain nombre de fois, mais à chaque fois de plus en plus en amont dans le trajet). J’ai fini par comprendre que mon inconscient opère une semblable disjonction entre les propositions lorsque les conclusions sont trop douloureuses ou effrayantes. Quand Mum a été guérie de son cancer, Melendili m’a fait remarquer que mon comportement avait été étrange, comme si elle avait eu un simple rhume. Le cancer est mortel. Ma mère a un cancer. Mais ma mère n’est pas Socrate, elle ne peut pas être mortelle, pas si jeune. Ce que je ne veux pas admettre se déroule dans le brouillard – un mécanisme de protection assez efficace, il faut bien l’avouer, tant qu’il ne va pas jusqu’au déni.
Dans le cas des adieux à la carrière dans la danse, il était d’autant plus facile de s’abuser que je n’abandonnais pas une chose que j’aimais, j’en poursuivais une autre, et pour laquelle j’étais douée : les études. Quoiqu’autruche de compétition, j’ai fini un jour par relever la tête et voilà, c’était fait, je n’étais plus pré-pro, je ne serais pas danseuse professionnelle. Je vous rassure, je n’en ai pas été moins perplexe lorsque ma prof m’a demandé, post-blessure, si je souhaitais en profiter pour reprendre un travail en profondeur ou si j’avais surtout besoin de me défouler en balançant les jambes. Le travail, évidemment ! Je ne comprenais même pas qu’on me pose la question. Et j’ai continué à balancer mes jambes.
Le changement de cours occasionné par mon emménagement à Paris m’a été bénéfique : j’ai quitté les gamines pré-pro que je regardais avec un petit pincement au cœur, et j’ai rejoint une bande d’amateurs de bons niveau, étudiantes, mères de famille, chercheuse en neuroscience, policière, employées de bureau, professeurs de danse, toutes avec des corps différents, des défauts communs et des talents particuliers. Il faudra que je vous parle un jour de S. bien placée, de la Russe qui bondit comme un chat ou de « la sauteuse » qui renverse n’importe quel exercice de petite batterie comme on rembobinerait une cassette… C’est en leur compagnie, à présent, que je me prends un shoot de liberté, 1h30 par semaine, sous la verrière d’Éléphant Paname.
Je n’ai pas de regret, j’ai ce luxe : ma mère m’a permis de tout tenter ; elle m’a accompagné tous les samedis au conservatoire et m’a chaque semaine attendue ; elle m’a emmenée aux auditions, coûteuses en temps et en argent ; elle m’a récupérée à le petite cuillère à chaque fois, et elle a continué de m’encourager alors que le reste de la famille n’était pas très chaud (sans s’y opposer, mon père a fait la grimace car je ne le voyais plus qu’un jour tous les quinze jours, après le cours du samedi après-midi ; et danseuse n’est pas un métier, je cite mes grands-parents). La danse n’est pas un rêve de petite fille de ma mère, je tiens à le préciser : elle raconte d’ailleurs en rigolant qu’elle a arrêté au second cours quand, allongée sur le dos, elle a été incapable de se redresser – une tortue en justaucorps. Son rêve à elle, c’étaient les Beaux-Arts, mais déjà à son époque, mes grands-parents, pourtant férus d’art (une grand-mère pianiste ; un grand-père amateur de peinture moderne) avaient décrété qu’artiste n’était pas un métier. Elle a fait du droit, et a veillé à ce que je n’ai pas de regret. Le seul que je pourrais avoir est de n’avoir pas poursuivi en contemporain, où mes chances auraient été un peu moins minces. Mais je n’avais pas alors la culture chorégraphique que j’ai maintenant et ne pouvais imaginer que les cours pour l’essentiel boring que je tentais parfois pouvaient déboucher sur quelque chose qui me plairait – et encore : il n’est pas non plus exclu que cela soit intrinsèquement un genre que j’aime regarder mais non pratiquer.
Je n’ai pas de regret, donc, mais j’ai de la nostalgie. Contrairement à ce que j’imaginais, je ne me suis pas détournée de la danse quand celle-ci n’a pas voulu de moi (cela aurait été geste enfantin, la preuve d’une amour bien superficielle). Je ne vis pas non plus dans le passé, la danse comme madeleine : chaque semaine, je sue hic et nunc, et c’est mon corps de vingt-neuf ans que je travaille à présent. La nostalgie ne vient pas du passé, mais du présent. Ces derniers temps, ces dernières années, elle s’est taillée une place, discrète, assurée, lançant ses assauts dans les moments de découragement et de lucidité, lorsque je reconnais que je ne suis pas épanouie professionnellement et qu’à cela, je me suis plus ou moins résignée. Sans avoir le courage de changer (pour quoi ?), je ne me résous pas tout à fait à cette résignation et les accès de nostalgie se multiplient, plus ou moins aigus, plus ou moins violents.
Il y a la nostalgie de la scène, qui fait vivre plus intensément, donne la sensation d’exister pleinement, dans le vide, dans l’absolu créé par les lumières et le trou noir où disparaît le public. Mais, peut-être encore davantage, il y a la nostalgie de ce dans quoi on s’investit, la nostalgie d’avoir une place, une discipline quotidienne : un sens qui ne soit ni seulement but ni seulement prétexte, dans lequel aller et dans lequel exister en chemin. La discipline, c’est le contraire de l’effort entendu comme le sursaut laborieux qu’on s’inflige : c’est l’effort qui n’en est pas un parce qu’on le goûte, parce qu’il ne nécessite plus le courage de commencer. Le goût de l’effort tient dans la poursuite. On aime et on s’y tient, et on s’en aperçoit à peine. Je voudrais à nouveau aimer faire et m’y tenir, mais force est de constater que j’ai perdu le goût de l’effort. De la discipline, je n’ai conservé que son aspect rituel rassurant, dégradé jusqu’aux prémices des TOC.
Je me rends compte rétrospectivement de la chance que j’ai eue, d’avoir une adolescence dansée : la danse m’a structurée ; elle m’a donné un équilibre, m’a tenue loin des vacillements qu’on associe à cet âge-là. C’est maintenant que je vacille, dans une conscience de plus en plus aiguë de cette double difficulté : vivre sans s’oublier dans un but (écueil eschatologique) ; se projeter tout en ayant conscience qu’on le fait pour rien, pour vivre (écueil nihiliste). La danse m’a permis d’avancer entre ces précipices sans regarder mes pieds, sans éprouver de vertige, et c’est de cet équilibre de vie dont j’ai la nostalgie, comme d’autres ont celle de leur enfance. Difficile de savoir sur quel pied danser, difficile de ne pas vouloir rester Peter Pan, et s’envoler. Je ne sais pas, plus, comment tenir les extrêmes, retrouver l’équilibre. Je sais que l’équilibre ne se conserve pas : on ne peut pas vivre dans le passé. Le retrouver, c’est forcément le réinventer. Et je suis jeune encore, mais déjà moins.
Cesser de patiner, vite, vite, et rentrer dans la danse, avant que cela commence à sentir rance, avant que l’amertume** arrive et s’installe. Je la sens poindre, parfois, devant les photos de jeunes prodiges russes sur Instagram, alors que j’ai enfin admis, enfin compris, que ce sont des enfants, ce ne sont que des enfants, je n’étais qu’une enfant, on grandit, et on regarde soudain avec bienveillance, avec émotion, presque, ces corps qui se transforment sous nos yeux, qui clignotent d’enfant à femme et de femme à enfant d’une photo à l’autre. Je ne veux pas être amère, je veux être amatrice, amateur, à la barre et vogue matelot.
Vouloir devenir danseuse professionnelle, après tout, n’était pas un but en soi : c’était une manière de continuer à danser, l’assurance de continuer à vivre intensément. Peut-être n’ai-je pas tant la nostalgie de la danse que de celle que j’étais, et peut-être moins de celle que j’étais que de celle que je n’étais pas et que je devenais, celle qui arrivait à se transformer – nostalgique du mouvement.
J’ai eu envie de raconter-affronter-contempler la tristesse et la beauté de la nostalgie qui m’a prise à la lecture de Leçons de danse, leçons de vie, de Wayne Byars. Malgré un enrobage « développement personnel » et un ton parfois grandiloquent (je sais, je sais, l’hôpital, la charité…), c’est souvent juste et cela a remué pas mal de choses. En écrivant ce post, les souvenirs se sont pressés au portillon, des souvenirs heureux que j’ai pour beaucoup écartés car je voulais explorer autre chose, un hier qui n’existe qu’aujourd’hui, dans la continuité de ce qu’il a échoué à être et de ce qu’il est devenu. Je ferai probablement d’autres chroniquettes plus légères pour le plaisir de rouvrir la malle au trésor (c’est ainsi que m’apparaît mon vécu ces derniers temps, dans une profondeur insoupçonnée : comme un personnage de roman bien travaillé, je commence à prendre de l’épaisseur ).
* Je n’ai pas assez persévéré. C’est parfois ce que je me dis quand je vois des profils comme celui-ci : Hilda (belle découverte bloguesque du jour). Mais la contingence, la vie, les choix. Il n’y en a pas toujours des bons ou des mauvais.
** L’amertume. J’ai appris à la reconnaître dans la durée sur le blog de Thierry Crouzet, auteur numérique qui souffre de ne pas être assez reconnu, tout en ayant conscience de la vanité à vouloir l’être. D’un post à l’autre, il ne s’en dépêtre pas, on le sent qui lutte. Tantôt le plaisir gagne, tantôt la vanité de celui-ci. C’est poignant, et c’est probablement pour cela que je continue à le lire – ou comme miroir-repoussoir, pour me rappeler que je ne veux cesser d’aspirer à la joie.
C’est… sublime.
J’avoue une émotion terrible à te lire.
Émotion à lire ta réaction, aussi.
(Vu les résonances que ce billet semble avoir suscité chez plusieurs balletomanes, cela valait le coup de l’écrire.)
Chère Souris, c’est tellement finement écrit. Et quelle honnêteté pleine d’affection pour cette jeune fille que vous avez été et qui est devenue une belle jeune femme qui ne s’est pas reniée. C’est très très beau !
Aww, merci-de-souris. 🙂
J’ai envie de réagir sur de nombreux passages, mais j’aurais besoin d’y revenir et j’aimerais aussi en parler de visu à l’occasion.
J’écris donc pour déjà dire que j’aime beaucoup les petits dessins que tu lies à ton texte.
Hiii ! (J’en ai oublié un parmi ceux que j’avais dessinés en avance…)
N’hésite pas à revenir en décalé. Et bien volontiers pour la discussion de visu : un prétexte supplémentaire pour toutes les choses qu’on a à updater. ^^
Avec le temps je l’espère, et au fil des évènements qui emailleront votre vie de femme (car vous êtes encore très jeune finalement…), cette nostalgie trop présente s’effacera peut-être, pour ne laisser place qu’au plaisir de danser et voir danser. Moi j’ai arrêté de danser entre 18 et 34 ans , et autant dire que la reprise dans un cours avec des jeunes filles pré pro a été rude. Mais maintenant, la danse ce n’est que du plaisir, et tant pis pour le regard des autres…
La nostalgie n’était pas présente il y a quelques années (et n’est presque jamais là quand je danse, heureusement). Je crois que c’est vraiment lié à un moment de flottement dans ma vie, au fait que pour la première fois, je ne sais plus ce que je veux. Le second choix doit devenir deuxième et laisser place à un troisième, mais je ne parviens pas à trancher et me réorienter professionnellement – d’où le retour nostalgique sur l’évidence première de la danse.
Heureusement, la nostalgie ne me gâche pas le plaisir de danser : j’ai parfois un accès furtif pendant que l’autre groupe passe, s’il s’y trouve une élève particulièrement jeune et talentueuse, mais jamais quand je danse. De fait, je n’ai jamais arrêté plus de 6 mois. J’imagine que cela n’a pas dû être facile de réactiver les réflexes du corps dansant après 16 ans d’arrêt ! Qu’est-ce qui vous a donné envie de reprendre / qui vous avait poussé à arrêter, si cela n’est pas indiscret ?
Ce n’est pas l’auteur qui répond mais une autre commentatrice de plus bas. J’ai aussi tout arrêté de 20 à 34 ans. Reprise trèèèès rude (en… débutants la 1ere année, mais on remonte vite en « avancés »), mais 5 ans après j’ai le meilleur niveau de toute ma vie (sauf en pointes. J’étais déjà pas douée, maintenant c’est le degré zéro), je n’en reviens pas.
Pourquoi on arrête? Pour se consacrer aux études, d’abord. Etudes que j’ai aimées aussi passionnément que la danse, ce qui était déjà une chance formidable. Puis parce qu’on n’a pas le budget pour les cours, à moins d’avoir un job à côté et je n’ai pas fait ce choix qui aurait menacé la réussite de mes études, ni imposé cette dépense supplémentaire à mes parents.
Ensuite, un autre problème surgit : dans les 2 villes de province où j’ai travaillé après mes études, il n’y avait pas de cours pour adultes et les cours enfants n’étaient pas ouverts aux adultes. Donc voilà, pas de cours, pas de danse. Et je faisais de la musique et c’était plus valorisant. Et un jour la vie m’amène à Paris et là je découvre que la ville regorge de cours adultes, du débutant aux supers-amateurs. Reprendre n’a même pas fait l’objet d’une hésitation. Après 6 mois j’ai failli arrêter tellement c’était dur et sans résultat, mais j’ai tenu et ça en valait la peine.
J’ai lu le blog de Hilda et au contraire de vous il m’a ôté tout regret (mais si vous êtes en situation de lassitude professionnelle, je conçois que ce soit différent). Evidemment elle danse, mais… à quel prix !! dans quelles conditions !! Elle s’y retrouve, mais à l’instar de quelques-uns de mes amis musiciens, j’ai vite su que je n’étais pas prête à vivre dans la précarité à ce point. J’ai finalement connu quand même la précarité et les mauvaises surprises dans mon propre métier et à force ça finit par vous en dégoûter alors qu’au départ c’est génial. J’espère pour elle que tout cela la conduira à un engagement plus stable, comme j’y suis parvenue de mon côté.
Léa >> Merci pour votre réponse ! Ayant toujours vécu en région parisienne, j’en avais oublié l’offre moindre voire inexistante pour des cours d’adultes en province… Et pourtant, à chaque ville envisagée comme destination de déménagement voire d’émigration par Palpatine, c’est la première chose que je vérifie : y a-t-il des cours de danse à proximité ?
Je suis heureuse que vous ayez pu reprendre – et la danse et le plaisir qui y est associé. Il est vrai que la maturité et l’absence d’enjeu aidant, on danse souvent mieux qu’avant, même si on éprouve aussi avec plus d’acuité ses limites physiques.
Et vous avez raison de souligner la précarité d’Hilda, et le risque d’être dégoûté de ce que l’on fait. Avec mon tempérament anxieux, il est probable que je n’aurais pas fait long feu !
Whaou…ce post explique complètement ce que j’ai vécu… De la scène la plus pentue de France (aurait-on dansé au même endroit ?) à la prépa en passant par les auditions ratées… L’amertume passant, mais certains regrets restants, je pense personnellement que mon histoire avec la danse m’a appris à ne plus faire les mêmes erreurs : ne pas repousser le moment de vivre ses rêves et ne pas avoir peur de se lancer dedans. Mais il a fallu pas mal d’années de doutes avant de le comprendre et de la vivre. Je n’ai plus vraiment de plaisir à prendre un cours de danse, mes capacités physiques ont trop diminué par rapport à mon niveau d’avant, même si j’aime toujours autant danser. Par contre, j’ai redécouvert le plaisir de travailler mon corps avec les Pilates, et j’ai passé un diplôme de professeur de Pilates, histoire d’en faire quelque chose, de ses compétences. Je n’enseigne pas mais au moins je suis allée au bout de quelque chose. Danser peut être vécu comme une expérience religieuse et il peut être très dur de sortir du milieu professionnel et de d’avoir ce sentiment « de ne plus en être ». Mais je suis sure que celle que vous êtes aujourd’hui danse avec bien plus de maturité et d’authenticité, enrichie d’expériences de vie extérieures à la danse 😊
Il faut bien que nous nous retrouvions enfin, nous les 190 recalées ! :p
La scène la plus pentue de France était le titre revendiqué par le théâtre Montansier, à Versailles. Cela dit, les dernières années, un faux plancher a été ajouté pour diminuer le dénivelé (avec raccord pile à l’endroit où l’on prend les diagonales, parce que sinon c’est trop facile), du coup, le titre a peut-être été disputé par un autre théâtre ! ^^
La leçon que j’ai tirée de tout cela est un peu inverse : mesurer davantage mes capacités avant de me lancer tête baissée… Mais je me la suis manifestement un peu trop rabâchée, car je me trouve à présent dans un immobilisme proche de la paralysie, et peine à me lancer dans quoi que ce soit. Du coup, j’admire votre engagement dans les Pilates jusqu’au diplôme, surtout si c’est au final pour ne pas enseigner. La discipline me tente toujours et je l’ai un peu pratiquée… jusqu’à me bloquer (mauvaise position ? mauvais cours ? problème antérieur ou physionomie pas adaptée ? Depuis que je suis rétablie et que je peux à nouveau faire des arabesques à la danse, je n’ai plus osé ré-essayer).
À l’occasion, un cours de danse, de Pilates ou un verre me tenteraient bien pour se rencontrer et dérouler nos parcours parallèles.
C’est toujours rude de quitter une vocation et une passion, quelque chose qui remplit votre vie avec un mélange de sérénité et d’intensité, surtout si on ne s’en trouve pas une autre… Ce texte est dur, même pour moi, mais il est magnifique et par ailleurs vous écrivez remarquablement bien, on est largement au-delà de ce qu’on peut lire même dans d’excellents blogs.
Le passage sur la discipline a éclairé quelque chose que je ne parvenais pas à expliquer à mes amis qui découvrent les conservatoires (chorégraphiques ou musicaux), ou Nanterre, et qui en ressortent comme d’un lieu de torture en « espérant que jamais mes enfants ne voudront faire ça ». Et pourquoi aussi j’ai perdu toute discipline depuis que celle de la danse, puis celle des études, n’ont plus de raison d’être. Même un super boulot ne suffit pas.
Merci aussi du courage de sortir du mythe « j’ai réussi parce que c’est ce qui me fait vivre et que j’ai beaucoup travaillé ». Parmi ceux qui ont échoué il y en a aussi beaucoup qui travaillaient beaucoup et qui ne vivaient que pour ça, et même qui avaient du talent. (et à celui de dire que Sylvie Guilhem n’a pas eu que du bon).
Ah et moi qui vous regarde depuis derrière les vitres, vous les femmes amateur d’un bon niveau, chez Byars ou ailleurs, si vous saviez comme je rêve d’avoir votre niveau, et même seulement de l’avoir eu un jour…. Ce biais du projet professionnel raté, et aussi l’absence d’une scène pour se produire (en musique il existe un segment de spectacles « très bons amateurs ») empêche hélas les gens comme vous de se rendre compte que même à 29 ans, et même à 40, ils sont d’excellents danseurs. Voilà. Moi j’ai dit adieu à la carrière en 3e, au concours d’entrée au conservatoire, c’était la première fois que je quittais mon cours de campagne pour voir des filles de mon âge qui avait appris sérieusement et j’ai compris que non seulement je n’avais pas le niveau, mais que je n’avais aucun niveau. D’un certain côté c’était plus facile, quand on est à côté de la plaque on renonce avec des larmes mais sans regrets. J’ai eu la chance de trouver un métier qui m’épanouit mais j’ai aussi tiré cette leçon que la passion c’est porteur, c’est exaltant, mais ça vous dévore autant que ça vous nourrit. La richesse de tout ce que j’ai découvert quand la danse a cessé d’occuper 90% de ma capacité à me passionner et m’impliquer a été un (beau) choc.
Peut-être qu’un jour comme Sarah (et comme ma soeur qui se lance en Pole Dance à 30 ans avec un certain succès) un jour vous aurez envie de faire autre chose de votre compétence et de votre talent, à côté du boulot, car le charisme en scène ne baisse pas avec l’âge, contrairement au corps. Vous êtes tellement jeune !!
Merci encore.
Merci.
C’est apaisant de trouver des témoignages similaires. Peut-être nécessaire aussi, pour sortir du mythe « quand on veut, on peut », justement : si on ne prend jamais la parole, elle restera de facto à ceux qui n’ont pas fait mentir le proverbe. On se tait souvent, pourtant, comme si l’échec était la preuve d’ambitions trop orgueilleuses.
La scène manque effectivement à la pratique amateur adulte. On avait monté un petit groupe avec des anciennes du conservatoire, mais les répétitions tous les dimanches matin, la divergence de perspective (faire des numéros comme un gala versus s’engager dans une démarche chorégraphique plus poussée) et une épidémie de bébés ont eu raison de cette initiative au bout de quelques années. J’en garde néanmoins de très jolis souvenirs.
J’espère trouver autre chose où m’investir professionnellement (pour les investissements non susceptibles de générer des rentrées d’argent, bizarrement, j’ai toujours des idées). Je n’irai pas chercher du côté de la pole dance, en revanche, même à mes heures perdues : je me suis rendue compte au premier cours, en position renversée, que je n’avais aucun repère spatial une fois la tête renversée, et je me suis éjectée de la barre en rouler-bouler pour ne pas m’écraser par terre – « on dirait un hamster » a été le commentaire de la prof (rongeur un jour, rongeur toujours).
Olala, après un voyage et un nouvel an, je reviens sur cette page! Montansier effectivement, et j’imagine qu’on a dû avoir la même professeure 😉 Mon profil Fb est dans message!