Blade Runner 2049 : l’hologramme et le glitch

L’intrigue. Je soupçonne certaines zones d’ombre d’être des impensés scénaristiques. Probable confusion entre ambiguïté et approximation, sous couvert de préserver le mystère. (J’ai déjà oublié le détail du déroulement narratif.)

Les thèmes. Vus (et revus) : hybris d’un cloneur de robots christique, replicant esclaves, lutte des classes, reproduction de la domination (le replicant pour les humains, l’hologramme pour les replicants). Plus subtil : quel est le propre de l’homme ? à partir de quel moment la différence entre replicant et créature humaine disparaît-elle ? Au cœur de l’intrigue, rappelés par plusieurs personnages : le « miracle de la vie ». En creux, plutôt que la reproduction animale :  le miracle de la conscience, quand la matière se met à sentir et penser, ressentir et réfléchir. Les replicants n’ont pas d’âme, nous dit-on (comme les esclaves noirs autrefois). On persiste à imaginer l’âme comme un supplément, quand elle n’est que l’appellation poétique et religieuse de la conscience, au ras des synapses. D’où cas de – conscience, morale. Si l’on veut, si l’on veut. Ce n’est pas ce que je retiendrai du film. Mais plutôt :

L’esthétique. Chassé du scénario, le trouble vient se loger dans l’esthétique. Brouillard de tempête ou de sable, le flou est une première  tentative pour parer l’implacable précision numérique (le mystère est-il jamais chirurgical ?). Mais les millions de pixels reprennent leurs droits : impossibles à escamoter, ils sont montrés dans leur puissance et leur limite : le glitch – qui raye, qui freeze, qui redonne à voir ce qu’on voyait trop bien, et fait voir double. C’est un petit précipice de rien du tout, une déchirure vertigineuse entre deux mondes (matériel, virtuel), entre deux époques (où le futur de l’une est le passé de l’autre). Un éclair où la petite amie holographique hyper perfectionnée est déjà devenue l’archive rayée d’Elvis Presley dansant dans un cabaret désaffecté (comme Skype en 3D, l’hologramme de science-fiction appartient au passé). Le glitch holographique, c’est le futurisme qui s’avoue futur futur-du-passé : dans cet aveu s’engouffre toute la nostalgie qu’il est possible – tristesse et beauté des espaces désertés, brièvement hors du temps ; solitude des corps qui se reconnaissent éphémères (l’hologramme comme image de leur disparition).

Hologramme : métaphore numérique, qui éclaire la présence par l’absence et l’absence par la présence. Le film en révèle tout le potentiel poétique et nostalgique.

(Sinon, pour donner à voir une chose dans une autre, il y a aussi le bon vieux reflet.)

Glitch : fine lame de pixels, par laquelle Blade Runner 2049 se découvre poignant. (Au générique, les noms apparaissent-disparaissent selon cette même esthétique.)

C’est très beau, particulièrement réussi pour évoquer le trouble de l’identité (qui l’on est, qui l’on aime, dans le temps et la durée). La scène où l’hologramme de K., projection de tous ses désirs, se fond à une prostituée replicant pour trouver à s’incarner est magnifique : la bouche de l’une, de l’autre, un visage sous l’autre, superposition, coïncidence, décalage, confusion… c’est tout le trouble amoureux qui se trouve décomposé dans ce plan à trois glitché. J’ai pensé au dernier épisode d’Angel, lorsque, mourant, Wesley demande à Illyria, la déesse qui a tué Fred en s’incarnant en elle, de reprendre les traits de celles qu’il a aimée. Pour mourir et non pour vivre, donc. L’illusion ne tient pas la durée, sans laquelle l’autre cependant ne peut exister : dans Her, l’assistante vocale du héros se détache de lui ; dans Blade Runner 2049, la poupée holographique disparaît d’un coup de talons avec la baguette magique-clé USB-test de grossesse qui la contenait. Force du réel que de résister à nos désirs.

K. face à la publicité générique de sa petite amie holographique perdue.

L’objet. À ajouter sur ma wishlist à côté du retourneur de temps d’Hermione et de l’aléthiomètre de Lyra : l’objectif à créer des souvenirs. Parce que si la reproduction et la conscience font de nous des hommes, ce sont bien nos souvenirs qui font de chaque animal-qui-parle un individu avec sa propre histoire – et c’est notre désir à tous d’être spécial (cf. K. qui se croit l’objet de la prophétie, avec un retournement qui m’a rappelé The Dark Knight Rises).

Le point danse. Parce qu’on fait difficilement mieux qu’un hologramme géant de ballerine en pleine rue pour se faire piétiner par l’aspiration à l’idéal / le regret d’une étoile perdue (fonctionne aussi en sens inverse pour révéler le fantasme de désincarnation associé au ballet classique – la maîtrise du corps jusqu’à l’envol d’une âme seule, Willis, sylphide, fantomatique… holographique).

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