L’avantage d’une grosse boîte, c’est son CE. Pour me consoler d’être mise en boîte, je profite donc de la médiathèque et de ses rayonnages bien fournis en DVD. L’occasion de rattraper des films loupés au cinéma ou de se hasarder en des terres totalement inconnues sur lesquelles je n’aurais pas misé l’achat d’un DVD.
Dracula
J’ai lu le roman de Bram Stoker à la rentrée, aussi cette adaptation tombait-elle à pic. L’écriture du film efface celle des lettres et des journeaux sur laquelle est fondé le roman. Les courts-circuits de Francis Coppola sont sidérants : d’esthétisme, comme l’oeil de la plume de paon qui devient lune, mais surtout de finesse, comme la perforation au cou de Mina, qui, renversée, se retrouve dans les yeux jaunes du loup, traçant ainsi une continuité entre les différentes formes que prend le comte. Celui-ci est doté d’une histoire qui ne vampirise pas le mythe de Dracula mais irrigue au contraire la situation dramatique : son épouse morte tragiquement se réincarne en Mina, dont on comprend soudain mieux qu’elle fixe obstinément l’attention du comte et que celui-ci l’attire vers la mort. Sous la direction de Coppola, le sens afflue, les sens bouillonnent. Le réalisateur a tout compris, même ce qui n’y était pas : coupes et rajouts donnent une telle densité à l’histoire qu’il m’a semblé ne l’avoir jamais lue — que très imparfaitement.
[Une scène plutôt sur-prenante.]
Somewhere
Une voiture passe au premier plan, s’éloigne, sort de l’écran, le bruit d’un moteur puissant la ramène, elle repasse à l’écran, en sort à nouveau et tourne en boucle comme s’il s’agissait d’un circuit. Sauf qu’il ne programme que le spectateur : le conducteur, lui, quand il s’arrête au premier plan, se trouve quelque part, c’est-à-dire nulle part. Il est paumé et père d’une gamine beaucoup plus dégourdie que lui. Elle Fanning n’a pas attendu Super 8, dans lequel je l’ai découverte, pour faire merveille. Malheureusement, c’est un miracle qu’il faudrait à son père fictif, une star qui ne semble pas comprendre qu’il en est une. Clope au bec et bière à la main, souriant puis endormi devant des jumelles qui viennent faire de la pole dance à domicile, ou emmuré vivant dans un plâtre qui doit servir aux effets spéciaux, il est toujours hagard — mais reste sympathique, comme ce film de Sofia Coppola qui évite d’absorber la médiocrité de son personnage mais ne la transfigure pas pour autant.
Les Amours d’une blonde
Une blonde qui a les cheveux gris, noir et blanc oblige. Dans la Tchéquie soviétique où se déroule ce vieux film de Milos Forman, tout est terne. L’ennui et la médiocrité alcoolisée sont tels que l’on ferait n’importe quoi pour en sortir. N’importe quoi : rien de grand, pas de coup d’éclat, seulement tout et n’importe quoi. Se laisser draguer par un groupe de types aussi laids que libineux à la salle des fêtes, par exemple. Avant que cela ne devienne trop glauque, notre blonde se rabat sur le jeune pianiste, bien plus appétissant quoique tout aussi peu attentionné. C’est après cette nuit que cela devient vraiment glauque (mais comique aussi — ce mélange doit être une spécialité tchèque) : notre blonde débarque de sa campagne à Prague chez le jeune homme, c’est-à-dire chez ses parents, qui ne savent pas quoi en faire. Enfer pour elle, valise à la main, criblée de lamentations plus ou moins interrogatives par la mère qui est le spécimen de mère la plus propre à faire une marâtre qui ait jamais été inventé. Dans les bonus, on la retrouve souriante et enjouée : cette comédienne improvisée a été bien dirigée (ou alors elle cache bien son jeu).
Top hat
La lourdeur irritante des quiproquos est ici équilibrée de justesse par Fred Astaire, gringalet grivois qui match top hat et tap dance.
Happy Few
Deux couples tombés amoureux se cherchent par paires dépareillées à l’aveugle de l’amour et à tâtons des corps. La sensation d’être des rares à s’épanouir librement, hors des règles préétablies par la société, est enivrante, tout comme la beauté d’Elodie Bouchez. Les corps sont filmés sans pudibonderie tandis que d’instinct on choisit la pudeur : on ne se cache rien mais on se tait et l’on sourit sans trop savoir à qui. A qui l’on en veut que le plaisir (démultiplié) se confonde peu à peu avec la douleur (exacerbée), comme lorsque la volupté est trop prolongée. Après les corps, les esprits s’excitent, s’agacent et s’énervent. Happy few en-dehors des couples modèles, ils ont oublié qu’être autonomes, c’est encore vivre selon des règles, fussent-elles les leurs : forcés de contrôler et de réajuster sans cesse leurs sentiments, la liberté du quatuor les fatigue plus encore que ne les contraignaient leurs duos. Epuisés, ils n’ont plus à se donner.
[Aimez qui vous voulez… on s’en fout.]
The Ghostwriter
J’avais renâclé à aller le voir au ciné mais il faut avouer que cela fait du bien, un bon thriller bien ficelé, où les soupçons ne se portent jamais là où ils devraient. Et puis ce titre ni blanc ni noir, ghostwriter, nègre et écrivain fantôme, ghost ghostwriter dont l’absence hante son successeur au moins autant que les magouilles du pouvoir…
L’Illusionniste
Aussi silencieux que Les Triplettes de Belleville mais plus éloquent encore, L’Illusionniste s’attarde sur les derniers jours d’un art anachronique. Notre héros prend ses clics (coup de baguette) et ses clacs (morsure du lapin), quitte les scènes parisiennes occupées par des chanteurs de rock et assiégées par leurs fans pour divers théâtres et cafés du Royaume-Uni. Au pays des kilts, une jeune Alice, émerveillée par le prestidigitateur, veut croire à la magie, surtout lorsque celle-ci fait apparaître pour elle des souliers flambants, rouges et neufs. Ayant trouvé chaussure à son pied, elle emboîte le pas à son bienfaiteur lorsqu’il repart de l’auberge où elle officiait. Le vieil homme, qui a l’allure d’Edgar dans Les Aristochats, n’en a heureusement pas le caractère et, bien que déconcerté, il accepte la compagnie silencieuse d’Alice (le dialogue mimé entre deux langues, voilà qui convient bien au muet). Cahin-caha, les deux forment une drôle de paire, tristesse et tendresse en commun. L’illusionniste dort sur le canapé pour lui laisser la chambre et transforme ses derniers billets en vêtements pour la jeune fille, trop émerveillée par l’élégance des citadines pour comprendre que le vieil homme n’en a pas les moyens. La rupture s’opère une fois qu’Alice s’est trouvée — une robe bleue aux finitions blanches (forcément, une Alice) et une grande idylle brune. Le vieil homme abandonne son lapin blanc à la liberté et lorsque, dans le train qui le ramène en France, un enfant fait tomber un crayon usé, il n’y substitue pas le crayon neuf, en tous points semblable, qui se trouve dans sa poche : l’illusionniste renonce à la magie. Une manière mélancolique de signifier qu’il n’y a jamais eu de magie dans ses nombreux cadeaux à Alice, seulement de l’amour — la jeune fille vient de le rencontrer, il est temps pour elle de devenir une jeune femme et d’oublier la magie afin qu’elle opère. L’Illusionniste porte bien son nom : de même que l’illusion demeure après avoir été expliquée, l’amour grand-paternel du vieil homme persiste lorsqu’il renonce à ses trucs. Illusionniste, pas magicien.
Peneloppe
Voilà un conte de fée qui est entré en collision avec les trois petits cochons, cela se voit comme un groin au milieu de la figure. La généalogie express de la malédiction a un petit côté Amélie Poulain, en plus mordant, et jaune et violet plutôt que rouge et vert. Péneloppe [dites Pénél’opi], comme son antique aïeule, passe sa vie cloîtrée chez elle à attendre : elle ne retrouvera un nez normal qu’à la condition d’épouser un aristocrate. La mère, qui a fait croire à la mort de l’enfant pour qu’on ne la surprenne pas, emploie les services d’une agence matrimoniale pour passer en revue des bataillons d’aristos qui finissent toujours par battre en retraite d’une manière pour le moins précipitée. Sauf un, évidemment. Embauché par un nain qui cherche à fourrer son nez dans le jardin secret de la famille. Evidemment, il s’éprend de Péneloppe… cachée derrière un miroir sans tain. Absolument délicieux : de concerts improvisés en parties d’échecs par procuration, Max tombe amoureux d’une inconnue à son image — coups de points communs assénés à Narcisse. Ils se seraient mariés et auraient eu beaucoup d’enfants mais voilà, on aurait dû s’y attendre : le prétendant de Péneloppe n’est personne et un Ulysse sans particule nobiliaire ne lui est d’aucun secours. C’est finalement elle qui, renonçant à un mariage avec un petit goret de bonne famille, brise la malédiction. « Je m’aime comme je suis » nous la fait voir comme elle n’a jamais été. Comble de la perfection : ce n’est pas le regard de Max qui l’a changée (l’abracadabra d’un mariage abracadabrant), c’est dans son regard qu’elle a trouvé la force de se transformer. Libre à elle ensuite de l’aimer, ce ne sera pas pour son nez — ou alors pour son flair. Un Max de chance ? Elle y est allée au pif.
La Comtesse blanche
Jamais entendu parler de ce film, choisi sur la bonne mine de sa jaquette et la promesse de qualité rapporté par l’acteur du Patient anglais, Ralph Fiennes. Pourtant, je connaissais sans le savoir le réalisateur puisque j’avais déjà vu Maurice de James Ivory, les amours de deux hommes dans l’Angleterre victorienne. La Comtesse blanche, elle, se situe dans le Shanghaï des années trente ; le titre se réfère à la fois au bar ouvert par un ancien diplomate américain et à la comtesse russe déchue qu’il a choisie pour en faire la dame patrone (blanche d’idéologie « rouge » et non de peau, donc). Il tatônne dans son amitié avec un homme d’affaire japonais comme dans son quotidien d’aveugle ; elle fait tant bien que mal vivre sa belle-famille qui tient sa propre fille à l’écart de cette « mauvaise vie », rouge à lèvres à l’appui. Leurs histoires se déroulent sous les volutes de fumée et sont sur le point de devenir singulières lorsque l’autre histoire, celle de la guerre sino-japonaise vient la leur ravir. L’affiche tient ses promesses ; James Ivory réussit une fresque où la sensualité a la part belle. Puis je me souviens de Melchior Beslon (et Natalie Portman) dans Paris, je t’aime, et je me demande si l’aveugle ne serait pas un fantasme de cinéma, un moyen de toucher la vision du doigt…
My little Princess
Eva Ionesco s’est inspirée de sa propre enfance pour raconter l’histoire de Violetta, prise par sa mère comme modèle pour des photos érotiques. Dit ainsi, on fronce les sourcils et on pense pédophilie. Filmé par Eva Ionesco, on s’interroge plutôt sur l’ambiguïté de la relation mère-fille : les séances photos commencent comme un jeu où prime le déguisement pour dériver petit à petit en séances de travail régulières où la gamine ne fait plus face à sa mère mais à l’objectif qui fait d’elle un objet, au même titre que les bas qu’elle porte ou la tête de mort sur laquelle elle s’appuie. Les poses que Violetta s’amuse dans un premier temps à prendre (et elle n’a aucune difficulté à outrepasser les attentes maternelles), répétées, s’intégrent à son insu dans son comportement et on finit par avoir une pretty woman sur les bancs de l’école. Il y a les scènes où cela va évidemment trop loin (lorsqu’elle pose quasi nu dans les bras d’un homme et que la mère exige qu’elle écarte un peu plus les cuisses) mais ce ne sont finalement pas les plus choquantes ; c’est plutôt la désinvolture totale de la mère par rapport à sa fille, qui l’abandonne sans crier gare après l’avoir trimballée partout où cela n’était pas recommandé. Ses scènes de tragédienne toujours incomprise, ses hauts cris à la voix rauques, ses déblatérations sur son « art » (« mon érotisme est un érotisme littéraire… » et de balancer Bataille) en font un personnage certes coloré mais surtout hautement toxique. Maîtresse chanteur, elle ne cesse de répéter qu’elle aime sa fille — trop, peut-être, lui suggère un ami peintre. Elle aime Violetta comme elle-même, c’est-à-dire comme la femme d’une quarantaine d’années qu’elle n’aime pas être devenue. Finalement, on se prend à regretter la grand-mère insupportablement bigote chez qui Violetta ne recevait peut-être pas toute l’attention qu’il aurait fallu à une enfant, mais chez qui elle ne l’attirait pas non plus contre son gré.
Et aussi : Lullaby.
« Top Hat » fait partie de mon top 10 des films à voir une fois par an. Parce que j’aime les quiproquos lourds et le pas léger de Fred Astaire. ^^ (Par contre, « La Joyeuse Divorcée » ne m’a rien fait…)
Tous les ans, tout de même !
J’ai vu des extraits dansés par Fred Astaire, bien sûr, mais je suis en fait assez inculte en ce qui concerne ses films proprement dit et « La Joyeuse Divorcée » ne m’évoque rien…