14 février, il était moins aisé de se replacer que deux jours plus tôt. Mais ça valait le coup.
Knoxville: Summer of 1915. Nostalgie d’enfance et d’adulte mêlée, se remémorant la vie tranquille, qui jamais ne l’est vraiment, depuis un rocking chair quelque part sous les étoiles, sous un porche. Cette pièce de Samuel Barber m’a beaucoup plue – surtout lorsque ma voisine a accédé à ma demande et, après quelques exclamations de courroux, a consenti à arrêter de jouer avec sa bague à triple anneaux, qu’en tripotant elle faisait tinter contre ses autres bijoux. Retour à une partition sans triangle.
Lorsque j’ai extrait le billet de son enveloppe avant le concert, près d’un an après la réservation, je me suis demandée pourquoi diable j’avais pris une place pour « Renée Fleming chante Schubert ». C’était en réalité pour Benjamin Britten, que chaque découverte me fait apprécier encore davantage. Ce soir-là, Sinfonia da requiem : des cavalcades sans armées.
Puis Renée Fleming chante Schubert, effectivement. Autant dans le morceau de Samuel Barber, je me suis demandée pourquoi un tel engouement pour cette chanteuse-ci en particulier, autant dans Schubert, ah oui quand même. Surtout pour Nacht und Traüme, une espèce de petit bijou à souffle tendu que je ne me souvenais pas avoir déjà entendu, contrairement aux deux autres morceaux : Gretchen am Spinnrade (pourquoi Gretchen devient-elle Marguerite dans la traduction ?) et Die Forelle, enlevée avec des mines qui font rire tout le monde (outre qu’il est en soi assez amusant de penser que la truite est le seul poisson qu’on saurait commander dans un restaurant allemand, et qu’on doit cela à un compositeur).
On aurait pu en rester là ; mes vagues préjugés contre Beethoven me font souffler après l’entracte. Mais il faut bien avouer que la cinquième symphonie, dans le genre décoiffant, est plutôt fun, et que c’est mieux avec des cordes qu’avec des pommes. Les musiciens de l’Orchestre de Paris, dont l’engagement est toujours un plaisir à observer, sont à fond : l’orchestre est agité de mouvements de houle et, dans l’enthousiasme, on frôle même le coup de boule entre flûtiste et clarinettiste. Après avoir fait le tour des nouvelles têtes (recrues ou passage chez le coiffeur), je décide de vivre le dernier mouvement avec le contrebassiste aux longues boucles, qui lui fouettent le visage en répercussion des coups d’archet (jolie caisse de résonance visuelle), et avec la violoncelliste qui fouette son instrument comme un jokey son cheval, et sourit de droite et de gauche à ses coéquipiers, galvanisée par la course. L’hippodrome est en délire à la ligne d’arrivée.