Samedi 17 août
Rallier Bristol depuis Brighton nous prend quatre heures au lieu des trois annoncées par le GPS : la faute à un énorme accident sur la voie d’en face (circulation à l’arrêt complet sur des dizaines de kilomètres) et un total manque d’anticipation sur la date de cette étape. On aurait dû se douter que nous serions pris dans la migration des vacanciers le samedi de la mi-août. Les aires d’autoroutes sont rares : à mi-chemin, nous sortons à la recherche de toilettes et mangeons nos œufs durs sur un muret devant un pub (privatisé pour la journée). Pour la seconde moitié du trajet, je m’installe à l’arrière de la voiture et m’endors ; les sièges y sont moins hostiles pour le dos (et le nerf fémoral qui envoyait des signaux).
La disponibilité et les tarifs des hébergements nous ont conduit à choisir Bristol comme point de chute pour rayonner sur Bath et Oxford. Par curiosité et parce que nous sommes trop fatiguées pour entamer la visite des joyaux sus-nommés, nous partons à la découverte de Bristol. Nous essayons de ne pas nous arrêter aux habitations sales, tristes et délabrées que nous longeons en traversant la banlieue Est (traditionnellement la plus pauvre des villes) et attendons le centre-ville pour nous faire une idée. Las, la ville est laide. Même les vieilles pierres sont sans charme, telles les ruines de l’abbaye utilisées comme entrepôt-dépotoir par les jardiniers de la ville.
Bristol me fait l’effet de Glasgow : une ville qui n’a pas grand intérêt si on n’aime pas picoler. Nous tombons d’accord avec Mum : nous préférons définitivement l’Angleterre des salons de thé à celle des pubs. L’Angleterre posh, quoi. Bristol restera dans nos souvenirs comme une running joke : à Bath, à Oxford puis dans les villages pittoresques des Cotswolds, on s’excusera l’une auprès de l’autre, je suis désolée, je sais que tu aurais tellement préféré Bristol…
En suivant le fleuve, nous arrivons dans une zone à mi-chemin entre les docks londoniens et le canal Saint-Martin au niveau de la Villette, qui grouille de bars bruyants (il est l’heure de la bière). Au moins est-ce vivant. Près de l’eau, un pantin pendu par les pieds est secoué en tous sens au bout d’un élastique. En nous approchant de l’engin de chantiers auquel il est suspendu, nous découvrons que ce n’est pas du tout un pantin, mais un humain en chair et en os — en vertèbres malmenées, même. J’ai du mal à imaginer que les gens paient pour exercer cette violence sur leur corps, sans qu’aucun système ne sécurise un alignement minimal de la colonne vertébrale.
Entre la bagnole, la marche et le bruit, nous sommes rincées. Le rapport kilomètres / mirettes (neuf / bof) est le plus mauvais du séjour. Quelque part gris, Mum me parle d’un souvenir d’Italie en réalité norvégien, sis à Oslo. Quelque part gris encore, nous cherchons le plus court chemin pour rentrer. On a repéré un restaurant indien pas loin du AirBnB, ça fera l’affaire. Ça fait plus que l’affaire : Msala Library est probablement le meilleur restaurant indien où j’ai jamais mangé, goûtant un plat inouï de mes papilles — des épinards aux pignons de pins, raisins secs, oignons caramélisés, épices et piment, perfect balance between sweet & spicy je confirme. On répète delicious plein de fois, les serveurs papadoum (nous déclinons à chaque fois, les plats sont trop bons pour perdre de la place en galettes).
De Bristol, outre ce restaurant indien, je retiens surtout notre AirBnB, non pour quelque charme AirBnBesque standardisé ou pittoresque, mais pour l’amusement de deviner qui y habite. La bibliothèque et un certificat encadré indiquent que l’on dort chez un psy… sportif ? (des suppléments protéines dans les placards)… buveur de thé (trois boules à thé en forme de boule plus une pyramidale, soit tout de même quatre boules à thé pour un seul homme)… raffiné ou bien conseillé (c’est évidemment un biais sexiste, mais j’imagine spontanément les mugs Morrison, le bain moussant à la lavande et les bougies autour de la baignoire choisis par une femme). En tous cas, on y dort très bien — et Mum, les jambes surélevées, parce que la visiteuse japonaise avait raison : les sols ne sont pas droits.
Les friend awards semblent être un truc apprécié des Anglais. Il y en avait un dans la chambre que j’occupais à Brighton : la classe félicitait cette petite fille pour être une super camarade, toujours prête à partager ses expériences, mais aussi à écouter et aider les autres, toujours de bonne humeur, adorant la gym, etc. Quelque chose à mi-chemin entre le portrait chinois et l’évaluation de soft skills qui ne rentrent pas dans le cadre scolaire mais qu’on voudrait valoriser. À Bristol, un équivalent pro est affiché au-dessus de l’imprimante ; il détaille à quel point notre hôte a été un excellent compagnon d’équipe et énumère tout un tas de qualités et d’événements souvenirs, comme le fait qu’il fasse un ketchup maison meilleur que le ketchup (ou était-ce une soupe ? je ne me souviens plus). Est également mentionné le fait qu’ils ne mentionneront pas l’épisode de l’écureuil ; depuis, cela me taraude : what on earth happened with that squirrel, Alex? I need to know. (I never will.)