À trois, on y va présente un triangle amoureux un peu particulier : Micha et Mélodie sont en couple et entretiennent chacun une liaison… avec la même personne. Charlotte, qui aime passionnément Mélodie et espère qu’elle quittera Micha pour elle, se trouve embarquée presque malgré elle dans une histoire avec lui. C’est ce presque malgré elle qui fait tout : Charlotte n’est pas « la beauté dangereuse qui vient foutre le bordel dans un couple installé », comme le souligne le réalisateur alors que le journaliste d’Illimité s’étonne qu’Anaïs Demoustier soit dans le rôle de « la fille qui attire tous les regards » et non pas dans « celui de la fille plus sage et casée ». Ce rôle-ci est tenu par Sophie Verbeeck, qui aurait pu être ce genre de femme fatale ; étouffée, cette fatalité rend son personnage mélancolique, comme si quelque chose en Mélodie n’accrochait pas à la vie. Du coup, on comprend parfaitement que Micha cherche un regard auquel se raccrocher ; et c’est quatre grand yeux étonnés qui se retrouvent nez à nez, Charlotte étant aussi surprise que lui. Le parallélisme écarte la tentation de compter les points : Micha trompe Mélodie, Mélodie trompe Micha et Anaïs ne sait plus où donner de la tête. Pour ces trois personnages « qui mentent, certes, mais qui ne sont pas fourbes », l’enjeu n’est pas de savoir qui est plus moral que les autres ou qui souffre le plus de la situation, mais de trouver un moyen de vivre ensemble.
Jérôme Bonnell a l’intelligence de se tenir à égale distance du drame comme du vaudeville ; il a l’art de substituer l’humour aux pleurs et aux rires gras. Et c’est un art, un savoir-faire d’artisan que l’humour, toujours affaire de dosage, en équilibre perpétuel. L’humour, c’est, lorsque Mélodie, en ballerines et robe d’avocat, déclare à Mélodie au téléphone qu’elle aime, qu’elle aime faire l’amour et n’a pas honte d’aimer, contrebalancer les chevrotements de sa voix par un, deux, trois pompiers qui apparaissent au-dessus à la fenêtre (ou des policiers, je ne sais plus : des beaux gosses en uniformes, en tous cas). L’humour, c’est aussi une répétition inattendue (qui ne se répète plus) : « Quel con ! Quel con ! » s’exclame Micha, sitôt Charlotte descendue de la voiture après qu’il a essayé de l’embrasser et s’est fait repousser ; « Quelle conne ! Quelle conne ! » grommelle Charlotte après être revenue sur ses pas pour finalement embrasser Micha par la portière.
Cet humour fait d’À trois, on y va un film étonnamment délicat. Le jugement y étant suspendu, les corps et les esprits se rencontrent sans crainte d’un verdict. Le film de Jérôme Bonnell en devient une ode au roulage de pelle, une ode aux yeux amoureux, à la peau parcourue et aux baisers qui murmurent le désir avec de délicieux bruits de succion, que (merci !) l’on n’a pas cherché à effacer de la bande-son. Lorsqu’on aime, peut-on écrire son histoire autrement qu’à tâtons ?
<spoiler>
Quand même, on se demande bien comment tout cela va finir, comment on va s’en sortir. Le dénouement en deux temps proposé par Jérôme Bonnell est tout simplement parfait, qui nous donne le plaisir de voir les trois amoureux s’aimer de concert, avant que Mélodie, la mélancolique, ne s’efface du trio, donnant Charlotte et Micha l’un à l’autre1. C’est parfait parce que ce couple n’est pas formé sous la pression sociale (c’est tous les trois qu’ils vont au mariage auquel étaient invités Mélodie et Micha) et qu’il n’en résulte aucune exclusion (il n’y a pas de laissée de côté, seulement un pas de côté). C’est parfait parce que l’on admet qu’aimer est une chose, et vivre ensemble dans la durée, au quotidien, en est une autre. C’est parfait parce que l’on admet que les situations et les gens sont imparfaits, et que cela n’empêche pas d’aimer.
</spoiler>
Mit Palpatine
1 Ces deux êtres qui sont défaits de leurs attachements initiaux pour être donnés l’un à l’autre me rappelle, dans un tout autre registre, Histoire d’O, amenée par son amant au château où elle sera initiée et finalement confiée à celui qui deviendra son compagnon. Étrangement, ces relations nouées en marge du caprice semblent être plus fortes que les autres. Serait-ce parce que leur existence même vaut reconnaissance de que l’amour est à la fois un hasard et une construction ? La contingence de la rencontre donne ainsi moins le vertige lorsqu’on y pense après coup, après la passion. Le vertige qui réduit tout à rien. Parce que c’était lui, parce que c’était moi ne dit rien d’autre au fond que : il faut taire ces choses-là. Parce que. C’est comme ça. On s’aime et mieux vaut ne pas chercher pourquoi. Peut-être est-ce pour ton odeur, ta façon de t’endormir, peut-être aussi pour ta sœur, ton argent ou encore pire…