Viens, c’est sur des geeks qui programment des jeux d’échecs. Sur cette description sommaire, j’ai rejoins Palpatine pour voir Computer chess. La caméra (d’époque) traîne entre des geeks soixante-huitard à grosses lunettes et des dinosaures numériques pourvus de gros moniteurs, réunis dans un motel pour un tournoi d’échecs un peu particulier, où les programmes s’affrontent les uns contre les autres (et les pièces sont déplacées manuellement sur un échiquier parce qu’il n’y a pas encore d’interface graphique). Je crois d’abord à un documentaire explorant la faune et la flore de cet étrange concours qui, avec son président à cheval sur le règlement et ses participants qui se connaissent tous, ressemble un colloque universitaire de seconde zone. Mais l’illusion documentaire cède au délire fictionnel lorsque ce petit monde en vase clos entre en collision avec un groupe de thérapie de couple, qui vit lui aussi sur une autre planète.
Peu à peu, le film perd pied et le spectateur prend le sien. On est pris de nostalgie pour l’époque du rétroprojecteur (on déplace des pièces sur film transparent pour reproduire et commenter les parties) et de tendresse pour les personnages dont on se moque fraternellement : le président du concours, qui prend son rôle très au sérieux ; l’original qui erre dans le motel plein de chats, à la recherche d’une chambre à squatter parce sa réservation n’a pas été prise en compte ; le parano-mégalo persuadé, joint au bec, que le Pentagone surveille ses algorithmes ; le jeunot qui ne comprend pas plus le programme sur lequel il travaille que les filles (c’est-à-dire l’unique fille du concours – trimballer un ordi d’une chambre à l’autre constitue leur seule activité nocturne) ou encore le mystique qui considère que les voies de l’informatique sont, comme celles du seigneur, impénétrables et prône la vie de famille comme remède à la folie lorsque le jeunot lui explique que leur programme est mauvais parce qu’il ne veut pas jouer contre d’autres programmes. Face à la complexité qu’on ne s’explique pas, l’ordinateur se voit attribuer une volonté propre, et l’autre, avec lequel on interagit à l’aveuglette, est bientôt vu, lui aussi, comme une machine – l’homme, cette curieuse boîte noire.
Mi-fou mi-roi, Andrew Bujalski est apparu à la suite de la projection, via webcam, pour répondre aux questions qu’on n’osait pas poser. Ce n’est pas un vieux barbu, comme j’aurais cru, mais un jeune gars hyper sympa, qui répond au comment et élude le pourquoi. Ouais, pas besoin d’explication. Allez, viens, on va boire une bière, je prendrai un Coca.
Mit Palpatine, qui essayait de deviner avec quel langage les nerds programmaient.