Journal d’août 1/4

Mardi 1er août

Cours de posture, plutôt axé sur le haut du corps.

Le soir, humeur à la chouine, flambée de TOC et insomnie, du genre à se demander de qui et comment je me rapprocherais en cas de fin du monde : Mum-McGyver, en cas de fin du monde incertaine, qui nécessite de la combativité ? le boyfriend, en cas de fin du monde certaine, à finir enlacés ensemble comme le vieux couple de Titanic ? Mais pitié, pas la noyade, ça me semble trop horriblement douloureux. Ou alors on dînerait tous ensemble, avec des amis encore, comme à la fin de Don’t look up ? On dirait les peurs enfantines conjurées à grand renfort d’alternatives impossibles : tu préférerais être sourd ou aveugle ? ne plus manger de toute ta vie du chocolat ou des pâtes ?

Vers 1h30 (2h ?), je prends mon téléphone et tombe sur ce tweet :

Tweet d'Austin Kleon : "This full moon can kiss my ass"

Après recherche, il s’avère que c’est carrément une super lune. Je me suis plantée dans la filmographie : c’est Melancholia qu’il fallait invoquer.

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Mercredi 2 août

Je pense finir de rédiger mon journal de juillet, et tombe dans une faille spatio-temporelle en m’attaquant aux jours en Touraine. Je sens qu’il faudrait que je fasse une pause, mais je ne peux pas lâcher avant d’avoir réussi à décortiquer ce qui s’est joué, qui se (re)joue au moment où j’écris, le mélange des émotions, je voulais simplement raconter, je ne pensais pas être embarquée dans un imbroglio qui aurait sûrement plus sa place chez un psy. Il est 12h30. Il est 13h30. Besoin d’analyser, de comprendre, de réussir à formuler sans complaisance mais sans non plus redoubler la méchanceté, j’essaye. Il est 14h. Et tout de suite après : 16h. La vessie pleine à exploser sans avoir eu l’envie de faire pipi. L’estomac vide sans aucune sensation de faim — c’est le plus étrange pour moi. J’avale un déjeuner-goûter à toute blinde, le rythme de l’obsession fait long feu. C’était manifestement une session thérapeutique.

2h30 au téléphone avec Luce. On ne se téléphone pas souvent, mais quand c’est le cas, ce n’est pas pour faire semblant de prendre des nouvelles ; ce sont des discussions-fleuve comme si nous étions côte-à-côte sur le canapé avec une tasse de thé à la main et un gâteau entamé sur la table basse. Sauf qu’elle est en Croatie, moi à Roubaix, et qu’on cause potentiel estuaire.

Le soir, le boyfriend en visio résume : en fait, t’as fait deux trucs de ta journée. Tout à fait.

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Jeudi 3 août

Encouragée par la lecture des Barres flexibles de Wilfride Piollet, je tente une « barre » au milieu (essentiellement en première et seconde position) et : ça fait travailler les appuis d’une manière qui n’a rien à voir avec la barre… ni le milieu, en réalité. Et ça vient ! Les sensations liées à la rotation du mollet en ouverture, le repoussé des orteils même lorsque le pied est immobile à plat, et  la construction du dos avec l’empilement des volumes au-dessus du bassin : ce ne sont plus des cubes qui tiennent en équilibre jusqu’à ce qu’un transfert de poids y mette un coup de pied, mais une structure en tenségrité. Je sens par moments que dos et jambes se prolongent l’un l’autre, comme si des porte-jarretelles venaient relier bas et bretelles. La stabilité que je lutte pour trouver à chaque exercice de dégagé au milieu semble enfin à portée de travail.

Barbie au cinéma

Danseuse à genou en tutu blanc avec des motifs géométriques noirs, mains flex, bijoux et rouge à lèvres

Première illustration vectorielle depuis longtemps : j’ai perdu l’aisance qui me faisait placer les nœuds de manière quasi-intuitive, mais je suis rassurée, je n’ai pas oublié comment manier l’outil-plume.

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Vendredi 4 août

Je profite des éclaircies pour lire Les danses d’après I dehors. Enfin du soleil. Cette lecture me transporte, de si bien mettre en lumière les spécifités du monde du ballet.

Deuxième barre au milieu, il y a définitivement un truc à creuser. Je mélange le seul exercice de barre flexible dont je me souviens d’un stage à Cannes (par un élève de Wilfride Piollet, j’imagine), avec des exercices classiques simplifiés à l’extrême et effectués au ralenti. Ce qui est génial, c’est que ça me donne envie d’expérimenter, et ça m’enlève la pression de ne pas être assez bonne pour transmettre : si je fais un peu autre chose, ça cesse d’être directement comparable et donc forcément moins bien.

Sauvegarde des fichiers Vectornator (mes illustrations vectorielles de danse) : c’est un gros chantiers par le nombre de fichiers en jeu et la tendance de l’iPad à planquer les fichiers natifs, mais je suis plus détendue ainsi à l’idée de repartir avec ordinateur et tablette (c’était un peu inconscient de ne pas l’avoir fait avant, même si j’en avais exporté une partie en SVG).

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Samedi 5 août

Oyster card, carte Navigo pour Paris et carte Pass pass pour les Hauts-de-France

Je rallie Montrouge la veille de mon anniversaire. En arrivant dans le hall de l’immeuble, ça sent bon le gâteau au four. C’est inhabituel : le boyfriend cuisine uniquement du salé, et l’appartement d’à côté a jusqu’ici été loué en AirBnB. En entrant, l’odeur s’intensifie, c’est bien ici ! je suis accueillie par l’odeur du gâteau au chocolat — sorti du four sous mes yeux, à peine entrée. Le boyfriend s’est équipé, a été acheter des saladiers et une balance de cuisine juste pour moi, pour me faire un gâteau d’anniversaire. Ça me touche beaucoup — encore plus quand j’apprends que, préparation Alsa mise à part, c’est vraiment son tout premier gâteau, chocolat ou pas. Jusqu’ici, il n’avait jamais osé, pris dans l’ombre d’un père aux réalisations pâtissières particulièrement imposantes (cuisinier aux aspirations contrariées, rivées à un bureau de banque, c’était vraiment le chef de la famille). Ça me touche énormément, l’attention et l’héritage endossé-surmonté, et ça m’en cale un coin, avec 6 œufs (presque autant que les 8 de la recette maternelle) montés en neige à la main !

Le boyfriend n’a de cesse de trouver des jeux vidéos qui pourraient me plaire et me convertir, convaincu que, c’est comme la lecture, il suffit de trouver ce qui fera mouche. Me voilà en train de cliquer sur des cartons et d’en sortir tout un tas d’objets auquel je tente de trouver une place, dans une chambre d’enfant puis d’étudiante. L’amusement vient surtout de commenter les choix avec le boyfriend, qui en a fait d’autres lors de sa partie. Peluche cochon avec les autres peluches pour une douce ménagerie versus avec les autres figurines cochon pour débuter une collection, les évidences sont parfois autres. D’un déménagement à l’autre, des objets disparaissent, d’autres s’ajoutent et des tendances apparaissent : le matériel de dessin persiste et s’étoffe, le mètre linéaire de jeux vidéos s’approche du mètre, la collection de poussins grandit. Je range les livres comme on penche la tête devant les rayonnages de qui nous a invité, crois reconnaître The Handmaid’s Tale et la biographie de Michèle Obama pixelisées.

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Dimanche 6 août

Douce journée d’anniversaire : brunch chez Krème avec C. à croiser les souvenirs de son récent voyage au Japon et du mien plus ancien, le boyfriend partageant son expérience en Corée en contrepoint — nuances de similitudes, dissemblances et dissonances, sur fond d’étonnement renouvelé.

Tandis que le boyfriend allongé derrière moi cuve le brunch par une sieste, je finis Unpacking. Au quatrième déménagement, la mécanique m’a un peu lassée, mais la narration s’est entre-temps installée, chaque objet devenant un indice potentiel sur l’évolution du personnage que l’on déménage. Se dessine en filigrane le portrait de son compagnon (qui ne lui laisse guère de place, puisque ses affaires à lui sont inamovibles, entraînant des rangements précaires) puis celui… de sa compagne, l’indice de la culotte rayée LGBT se trouvant confirmé par une double rangée de soutiens-gorges.

La faim n’y est pas (je suis trop vieille pour le pic calorique des brunchs désormais), mais le cœur si : je souffle mes bougies sur le gâteau-Packman d’avoir été entamé la veille. Une lichette pour dire. Les bougies pour acter : trente-cinq années révolues.