Londres, début novembre

Logo doré de la République française sur le carnet que je tends au douanier britannique, béret fuchsia.

– You look very French.
– …
– (smile)
– Oh, because of the hat!

Son collègue britannique et leurs homologues français tirent la tronche. On imagine policier comme un métier de terrain, arme au poing, et on se retrouve enfermé dans une cage en verre à longueur de journée, à faire coulisser des passeports dans la fente d’une machine  à peu près le même mouvement que pour obtenir un billet avec la carte UGC. Je suis, quoi ? la trois cents-cinquante-deuxième personne de la journée, à même pas 10h ? On n’arrive pas à imaginer la répétition. Bonjour, merci, bonjour, merci, Ctrl C, Ctrl V, Ctrl V, Ctrl, contrôle, contrôler, ne plus dire bonjour ni merci, devenir un automate qui prend, glisse, tend, et augmenter la pénibilité en cherchant à l’oublier. Ou s’amuser des bérets fuchsia et faire sourire ceux qui les portent, pour sourire par réverbération.

À peine installée dans l’Eurostar, je reçois un DM de @parisbroadway me souhaitant bon voyage. Mais… ? À Saint-Pancras, brève rencontre sur le quai, je comprends mieux ma distraction parisienne : lunettes et veste zippée constituent presque un déguisement pour un éternel costumé !

Ballet, expositions et librairies sont au programme, mais en arrivant, j’avoue avoir surtout envie de faire du shopping. Ce que je n’avais pas anticipé, c’est que pour ma princesse préférée, faire du shopping est une activité à part entière, comme faire du sport ou faire du sexe (expression de JoPrincesse, que je trouve toujours aussi incongrue : baiser peut certes être sportif, mais je ne me vois pas faire du sexe  tout juste l’amour, comme mise en branle d’une fabrique d’endorphines).

Alors que je pensais compulser les cintres de LK Bennett, en rangeant de-ci de-là une étiquette trop optimistement sortie, je me retrouve à prendre la pause dans une robe moulante argentée avec un décolleté résille en V, devant le smartphone de la princesse en robe lamée dorée. Le pire, c’est que cela nous va bien. Moins qu’aux deux gamines qui font deux tête de moins et deux bonnets de plus que nous, mais suffisamment pour flatter mon goût pour la fringue-de-pétasse-matez-moi-ce-petit-cul (que j’entretiens et tempère en passant de temps à autres chez Morgan). Devant la profusion de velours, de paillettes et de lamé, pas certaine de bien comprendre les règles d’un jeu auquel je n’ai jamais vraiment joué en étant adolescente, ni de savoir exactement quand le sexy bascule dans le vulgaire (même si la composition sur l’étiquette est un bon indice), je repars prudemment avec une robe-salopette violette. New Look… aux z’oubliettes !

Le meilleur du shopping, en fait, c’est de se laisser porter dans une Oxford street pleine de bonnets en grignotant des Ben’s cookies aux saveurs de Noël, et de bifurquer, raisin-cannelle, gingembre confit, dans une rue désencombrée.

Le meilleur du shopping, on y revient toujours, c’est de tirer à soi les couvertures hyper lookées chez Foyles. Arrivée devant le rayon danse comme devant une vitrine de jouet, je tire à un à un les dos prometteurs, retourne, feuillette, et les réinsère de travers pour leur faire récupérer par un effet de mini-levier leur place sur l’étagère. Une Bible du jeune danseur… une histoire queer du ballet (!)… la biographie de Misty Copland et Dancers among us en couverture souple, qui me font oublier le peu de place sur mes étagères. Après quelques années à m’enthousiasmer sur Twitter et Instagram, je devais bien cet achat à Jordan Matter. (Dans les autres rayons, une couverture élégamment pailletée-pointillée pour un essai sérieux et une Roaring mouse pour une histoire de Disney déconseillée aux enfants.)(Et tous ces livres de data visualization… je pourrai emporter le rayon en entier.)

Les courbatures du froid, de la danse et du pilates se mélangent dans une même fatigue musculaire. Ce sont les premières journées de vrai froid. J’hésite, au dernier entracte d’Anastasia, entre somnoler sur place et me dégourdir les jambes pour me réveiller. Ensuite, il faut encore rentrer, et c’est la tisane près de l’Holy Bible de rigueur et trop d’amusement pour écouter la fatigue. Le lendemain, dans un rayon de soleil inespéré en ce week-end déclaré de pluie, j’agite les oreilles de mon bonnet nounours sans vraiment réussir à me réchauffer. On traverse Regent’s Park, lac, canards, gamins et saule pleureur avec leur ombre, pris dans la beauté de la lumière d’hiver, cette lumière qui, dès le matin, ressemble à la lumière d’été en fin de journée, le sens de ce qui ne durera pas, qui est presque trop beau, trop éphémère pour être vrai et en profiter sans nostalgie anticipée. (Quand on ressort du brunch en sous-sol, il fait gris ; du métro pour aller à la British Library, je sors le parapluie.)

Bien énoncé, sans trop de généricité ni d’origines mystifiantes dans les ingrédients, un menu peut me faire rêver, comme petite les catalogues de jouet. 

Prononcez cela doucement en détachant le goût de chaque syllabe : 
gaufre
de patate douce,
rondelles de banane plantain,
peanut butter léger léger aérien,
sirop de yacon ombrant les creux,
saupoudré de noix de coco tant qu’on y est.

En bouche, les saveurs se fondent les unes dans les autres, se rehaussent et s’oublient dans une simple sensation de bien-être. Rien à voir avec la gaufre de à la châtaigne de la veille, dont les accompagnements restaient cloisonnés en bouche comme dans leur coin du damier.

Il faudra que je revienne au Pachamama pour goûter la gaufre de quinoa-chocolat-péruvien-glace-au-quinoa-grillé. Et tirer les vers du nez au cuistot concernant le yoghurt fumé qui enveloppait les aubergines grillées, saupoudrées de noix de pécan (et de chili non annoncé, comme la veille dans une ratatouille trop relevée).

Au-delà des bonnes choses dans le gosier et de la chaleur qui désengourdit, être posé, c’est donner une occasion à la conversation de s’épanouir, doucement. On n’a pas arrêté de causer du week-end, mais, comme souvent, la parole s’est dénouée à la fin. Au Fortnum & Mason de St Pancras, les valises taille cabine entre les tables, l’eau demandée à part pour ne pas finir une fois de plus avec un thé trop infusé, on verse et la parole pours, reprend et dévide, brûlant, ce qui avait achoppé quelques jours plus tôt, lorsque l’on n’était pas en phase, pas en face. On reprend comme on plonge à nouveau la petite passoire de thé déjà infusée, et ça reprend, plus doux, plus doucement, jusqu’à satiété de la curiosité et de la vessie. La fatigue de soi, de l’autre, de la violence qu’il faut se faire pour ne pas risquer de blesser, ni se vexer, la fatigue est noyée dans le thé. Retour à la normale : on se retrouve à parler avec verve de verges au milieu de la porcelaine. Le St Pancras blend n’est pas mauvais, mais ne vaut pas un bon Earl ou Countess Grey ; j’essayerai de ne pas l’oublier.

Week-end à Brussels

Lampadaire à la fenêtre. So Magritte, vous ne trouvez pas ?

« Ah ! Mais ici, c’est différent. On n’a pas un président, on a un roi. On n’est pas en France », précise d’un air moqueur le restaurateur1 après que je lui ai demandé une carafe d’eau – concept qui n’existe pas toujours à l’étranger, et pas en Belgique, donc. En Belgique, il y a un roi et des gaufres. Et des speculoos. Et le dernier opéra de Dusapin à la Monnaie, qui motivait ma venue et qui est presque devenu un prétexte une fois sur place, avec @_gohu.

Hugo, aka le lapin, est un scientifique qui n’aime pas l’Art Nouveau parce que ce n’est pas assez carré, et te fait un cours d’optique dans le Thalys pour t’expliquer le maniement de son super appareil photo2 (je pense rester admirative et vaguement envieuse des gens qui savent faire de la photo – trop de calculs et d’ajustements existentiels pour moi). C’est aussi un gentleman qui te prête sa veste parce que le personnel du musée n’a pas voulu te laisser entrer avec ton manteau (encore une question de sécurité – ça mériterait de devenir un sujet de philo à l’ENS, tiens !) et se relève pour aller masquer la lumière du chargeur de téléphone, qui rend la pièce toute verte. Et un sommelier à tisanes qui a raison : le tilleul, c’est très bon (je vous dirai pour les autres ; j’ai embarqué tous les sachets à l’exception de la verveine).

 

Cette photo ne présente aucun intérêt autre que de partager mon étonnement de voir des feuilles de menthe fraîches dans un thé à la menthe (le sachet de thé vert était servi à part pour laisser l’infusion à discrétion). Pour 3,50 €. Avec un speculoos. Pourquoi est-ce que j’habite Paris, déjà ?

 

Reflets Art nouveau dans le-super-appareil-photo, au dernier étage du musée de la Musique.

 

Ce n’est pas toujours évident, en voyage, d’être synchro niveau rythme et envies, mais le binôme lapin-souris s’est révélé une réussite. On était raccord : pour prendre des photos bizarres (les bulles de ta limonade sont assorties aux gouttes de pluie, vas-y, shoote-les !) ; pour repérer les ornements phalliques dans les balustrades en fer forgé des balcons ; pour sécher l’audioguide au musée de la musique et faire des blagues devant des instruments aux formes tarabiscotées (quand on a des ocarinas, il faut laver ses draps avec de l’eau très chaude – j’ai pouffé) ; pour prendre le même plat au restaurant italien (pâtes à la ricotta et cœurs d’artichaut, ça aurait plu à Palpatine) ; pour s’exclamer « Lapin ! » dès qu’on voyait deux longues oreilles dans une vitrine (entre la proximité de Pâques et la densité des chocolatiers à Bruxelles, autant dire qu’Hugo a beaucoup crié au lapin) ; pour embarquer tous les gels douche (Hermès !) de l’hôtel, petits flacons bien pratiques pour la danse et la piscine ; ou encore pour faire un comparatif très sérieux entre la gaufre de Bruxelles et la gaufre de Liège chez Dandoy, supplément chantilly à l’appui3.

 

Après la montre molle de Dali, le violon, mesdames et messieurs. À sa droite, celui de Picasso.
(J’ai aussi une photo visant à prouver que certaines flûtes sont appelées flageolets.)

 

On a vu des lapins, mais par esprit de contradiction, je vous mets ces adorables canards en meringue. Encore une victoire de canard !

 

Il y avait aussi des balcons sans forme phallique, hein.

 

Je situe la gaufre idéale entre les deux : plus moelleuse que la gaufre de Bruxelles, au damier croustillant, mais plus légère que la gaufre de Liège, dense et caramélisée. Il n’est pas impossible que la boule de glace aux speculoos accompagnant la seconde gaufre ait induit un biais dans cette très sérieuse étude. Mais comment ne pas y goûter chez le spécialiste du speculoos ?

 

Rideau de soleil chez Dandoy (premier rayon du week-end).

 

Les pauses gourmandes ne sont même pas des pauses, à Bruxelles ; elles font partie intégrante de la douceur du week-end. La capitale belge a pour un Parisien des allures de ville de province : elle me fait passer la frénésie de tout voir et tout visiter (le musée de la bande dessinée reste un prétexte valable pour une prochaine visite), si bien que j’en garde l’image d’une ville où il est doux de s’ennuyer.

 

Deuxième photo préférée du week-end, depuis le dernier étage du musée de la Musique.

 

Il pleut des cordes sur le génie / De la place / De la Bastille (de Bruxelles, certes).

 

J’ai beaucoup aimé les pommes de pin en fer forgé du musée de la Musique, et alors ?

 

On ne s’est pas trop fait violence, il faut bien l’avouer. Lorsque la femme de ménage a toqué à midi moins dix pour faire la chambre, on s’apprêtait seulement à partir.
– La femme de chambre est hyper mignonne, commenté-je spontanément une fois la porte refermée sur une jeune femme souriante.
– Tu ne peux pas dire ça.
– Pourquoi ?
– On est au Sofitel…

Je ne sais pas si c’est le Sofitel qui veut ça, mais le personnel arbore en permanence une mine contrite, comme s’excusant à l’avance d’un possible mécontentement. Au check-in, l’hôtesse d’accueil, nous prenant probablement pour un couple, fronce les sourcils en regardant la réservation, puis, relevant la tête, demande d’une petite voix : « Vous avez demandé deux lits séparés ? » On confirme, son visage se détend, pour se crisper à nouveau deux secondes plus tard : « il y a bien deux lits séparés, mais ils sont collés ; doit-on chercher et préparer une autre chambre ? » Elle attend notre réponse, sourcils froncés, et j’ai envie de lui dire, relax max ! C’est mauvais pour les rides, toute cette contrariété. En vacances, passé entre les gouttes, gâté de quelques rayons de soleil, avec du chocolat et un bel opéra, par quoi pourrait-on bien être contrarié ?

Ah, si ! Par la linguistique. Je me suis fait reprendre par Hugo à chaque occurrence de gaufre de Bruxelles, arguant qu’il fallait prononcer la ville comme Auxerre, avec deux « s ». J’ai protesté-persiflé à grands renforts de kss, kss, ksssss – en vain : les linguistes sont formels, on dit bien [brussel] et non [bruksel]. Autant Manneeken-pisser dans un xylophone, je retournerai à Bruxelles, kss, kss, ksss.

 

Coca-Cola cariatides

Coca-Cola-cariatides

 

Above

 

Je dois avoir une photo de ce genre pour chaque ville où je suis passée, depuis Toronto, où j’avais été frappée par le contraste d’un building et d’une vieille vieille, ainsi que le reflet de celle-ci dans celui-là.

 

J’aime toujours beaucoup la lumière des vitraux – souvent moins leurs dessins, trop plein d’épines et de saints pour moi. Ces motifs géométriques m’ont ravie, et le fait que chaque vitrail ait le sien propre, sans qu’il y paraisse.

 

Même s’ils sont très prosaïquement enduits d’un revêtement protecteur, ces arbres en chaussettes blanches m’évoquent Magritte.

 

Partition pour pigeons

 

À prononcer à voix haute (je décline toute responsabilité en cas de soudaine envie de glace).

 

La rue de la Huchette locale

 

 

Trompe-l’œil de modiste

 

Arbre d’indécision anarchiste.

 

Rien à faire, j’ai l’impression que ce chevalier joue à Super Mario Bros (reste plus qu’à dessiner un niveau avec des gaufres à la place des briques).

 

Je vous laisse sur ma photo préférée du week-end, carte postale en contrejour.

 
1 Des Nourritures terrestres (même sans avoir lu le roman de Gide, j’adore), recommandé par @meliemeliie, que je n’ai pas pu rencontrer car elle était en vadrouille. Il faudra revenir (comme si je n’en avais pas déjà envie).
2 La preuve que le grand angle n’est pas fait pour les portraits a été faite à mes dépends – avec un plus gros nez qu’aucun membre de ma famille n’aura jamais. Si cette photo est diffusée, je fais du lapin à la moutarde et aux amandes.
3 Cette période me fait sentir un peu sale, très blogueuse-qui-écrit-à-l’infinitif-du-premier-groupe (@melendili comprendra).