Le vent se lève, de Miyazaki
Le vent se lève !… et emporte le chapeau de Jiro, rattrapé par une jeune fille du wagon suivant. Des années plus tard, c’est son parasol qu’il attrape au vol, alors que Nahoko, en train de peindre, est surprise par un orage. S’ensuit une cour assidue sous le balcon de la demoiselle, un avion en papier en guise de mandoline.
Il faut tenter de vivre ! malgré la tuberculose de Nahoko, mise entre parenthèses pendant son séjour sur cette montagne magique, mais qui l’oblige à rester alitée si elle veut être aux côté de son jeune époux.
Le vent se lève !… et la montagne gronde comme un monstre divin et terrifiant, soulevant les maisons qui se trouvent sur son flanc, soudain de fragiles embarcations sur des vagues de collines.
Il faut tenter de vivre ! de survivre au séisme de Kanto – un tremblement qui en annonce d’autres, moins naturels.
Le vent se lève !… et fait vibrer la carlingue de l’avion que Jiro s’ingénie à améliorer pour rattraper le retard technique du Japon et dépasser les réalisations des Européens (qui n’ont pas besoin de bœufs pour tirer leurs avions jusqu’au champ de test). Le jeune ingénieur talentueux apprend de sa visite chez un constructeur allemand (encore des verboten qui traînent) mais c’est un Italien (à chapeau melon et grande moustache) qui l’accompagne comme mentor dans ses rêves depuis tout petit.
Il faut tenter de vivre ! de travailler et de s’améliorer, échouer et tenter à nouveau pour que l’avion dépasse la vitesse de ceux des concurrents. Toute inspiration est bonne à prendre, y compris une arrête de poisson à la courbe parfaite pour une aile d’avion. Le dessin technique devient soudain poétique et on se verrait bien, nous aussi, une équerre et une réglette à la main.
Le vent se lève !… et emporte le fantôme de Nahoko.
Il faut tenter de vivre ! sans elle.
Le vent se lève !… et l’échiquier politique est renversé.
Il faut tenter de vivre ! en sachant que les avions qu’on a créés sont partis pour ne jamais revenir. (Je ne savais pas que les kamikazes étaient littéralement les dieux du vent.) Ni inconscient ni fataliste, l’ingénieur aéronautique endosse une responsabilité résignée pour l’usage militaire de ses réalisations.
Le vent se lève !… et les rêves se sont envolés.
Il faut tenter de vivre ! malgré les conséquences de ce qui reste, depuis Icare, une transgression.
Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre ! Le cimetière des carlingues rejoint le vers du Cimetière marin. Prononcé avec un fort accent nippon, le vers de Valéry crée pour le spectateur français un instant de drôlerie qui, s’évanouissant rapidement, fait ressortir toute la beauté et la tristesse de cette éphémère période pendant laquelle l’artiste ou l’ingénieur réalise ses plus belles créations (qui engendreront aussi d’une façon ou d’une autre des destructions – la leur ou celle d’autres vies). Voici la condition humaine condensée en une décennie et celle-ci, à nouveau, en deux heures de métaphores aussi réalistes dans leur constat qu’oniriques en plein vol.
Mit Palpatine