Bach, Fantaisie BWV 572
Le silence, les creux et les déliés que les oeuvres de Bach font entendre lorsqu’elles sont jouées au clavecin ou au piano sont immédiatement envahis dans ses pièces pour orgue. On a l’âme ascendante qui monte avec les tuyaux de l’orgue et ne redescend plus ensuite, relancée sous les voûtes ecclésiales, parcourant sans fin colonnes et ogives.
Glass, Music in Contrary Motion
Mouvement contradictoire… ou contrariant. La répétition semble toujours se défaire à contretemps, trop tôt ou tard tard, ce qui rend l’écoute mi-excitante mi-frustrante – un brin éprouvante. Il faut se concentrer pour que la fascination ne se désagrège pas en irritation. C’est agaçant dans toute la polysémie du mot : ça titille et stimule jusqu’à saturation des sens ; c’est un peu énervant de justement ne pas totalement l’être (énervant).
Bach, Passacaille et fugue BWV 582
Enterrement et mariage tout à la fois. La travée de l’église est dégagée ; le regard droit, lointain, planté, on sait qu’il endure parce qu’il n’en laisse rien paraître ; le héros est humain.
Glass, Dance no. 4
Une myriade de papillons fluo qui battent sur place, à la verticale et chacun à leur rythme leurs ailes de plastique.
Un flipper où la bille est balancée vers des voûtes d’église et se trouve coincée, bruyamment relancée entre la pierre et les décorations des colonnes, le score en asymptote.
Un collage d’étages de building, sans rue ni ciel à gratter, du verre et de l’acier, des fenêtres seulement, et pour seules touches de couleur : des téléphones qui sonnent en quiconque à qui mieux mieux, une symphonie de sonneries où il n’y a pas âme qui réponde.
Tout cela convoqué par une organiste qui aurait l’air inoffensive autrement, avec sa couronne de cheveux blonds et le col bénitier de sa combinaison verte qui lui descend dans le dos. Elle joue franc jeu en revenant après l’entracte avec une veste façon redingote à queue-de-pie à se damner – je veux la même.
Bach, Toccata, Adagio et Fugue BWV 564
Plein de passages qui se jouent avec les pieds !
Un adagio d’une douceur presque douloureuse.
Des notes soutenues comme un train ou un paquebot qui ne partirait pas (ce serait une voix que cela confinerait au cri).
Je ne sais plus si c’est là aussi que le plafond de la Philharmonie, creusé de petits carrés irréguliers, s’est mis à ressembler à une partition à trous pour orgue de barbarie.
Glass, Stayagraha, acte III, conclusion
Le Glass que je préfère : la répétition ne s’entend pas comme telle car elle déclenche une écoute hypnotique. Les modulations font que le son n’en finit pas de grandir, ça s’auréole et se réverbère – aurore boréale musicale -, et l’air n’en finit pas de rentrer dans mes poumons, la cage thoracique se gonfle et se confond avec les volumes vides des voûtes, on confine à l’aspiration mystique, dans un mélange synthétisé d’église et de science-fiction (j’ai toujours l’image superposée des synthétiseurs où les touches se colorent et de Rencontres du troisième type lors de la tentative de communication avec les extraterrestres).
Bach, Toccata et fugue BWV 565
La famille Adams à la messe. Ca dégénère en tempête divine, avivée par l’hybris, le génie et l’obstination qui continuent de se dresser au milieu de l’église, au sec, tandis que les rafales fouettent les vitraux – jusqu’à ce que le temps avec l’organiste fou perde la tête et que le soleil se mette à projeter des taches de couleur au sol et sur les murs, sans que cesse la tempête. Le grain, les notes, le ciel dégringolent. Personne ne gagne, tout le monde persévère.
Bach, Cantate BWV 208 « Schafe konnen sicher weiden »
Iveta Apkalna a le sens de la clôture et nous offre une fin de concert apaisante. Le bis nous ramène en effet des voûtes sur terre, et nous fait même sortir du temple : si les collines que la musique parcourt sont vues de l’intérieur, c’est depuis une fenêtre à carreaux croisés en losanges, un battant ouvert pour que l’esprit, la ritournelle (familiale ou communale) circulent, irriguent les collines alentours et que la nature vienne en retour élargir l’espace domestique – image de vie simple, non dénuée de spiritualité. Une fin ouverte, en somme.