Des lapins, Descartes, des rythmes ternaires bancals

Cinq heures de philosophie dont une extra, comme ça, pour le plaisir d’avoir parcouru la sixième méditation de la journée : l’esprit dans un état second – mais d’abord, l’entendement ou la raison ? et la volonté dans tout ça ? – non, pas Dieu, on lui a réglé son compte dans la troisième méditation (le chiffre de la sainte trinité) et depuis, il nous est bien utile en tout. En fait, Dieu en philo, c’est le mot fourre-tout dans lequel on range tout ce que nous ne pouvons pas comprendre même si on peut à la vérité le saisir par la pensée. La faille à tout système parfait, que l’on colmate et recouvre du tableau de la toute-puissance de son propriétaire. Au final, la faille a disparu sous l’aveuglement de tant de perfection, c’est magique. Tout comme l’imperturbable et tranquille résistance de notre professeur de philosophie, à côté de qui le lapin Duracell ferait pâle figure.

Dans une classe où, en lapins de piètre qualité (parce que sans marque sauf celle que Dieu a laissé sur son ouvrage), nous gisons batterie à plat (d’où que les batteries tiendraient neuf heures maintenant ?) sur nos feuilles et nos incompréhensions, il continue sa course, en gambadant gaiement entre les difficultés de la pensée de Descartes, folâtre gaiement dans les buissons de définitions, franchit les ponts entre les différentes méditations puis s’abreuve avec délectation (grâce soit rendue à l’institution de la nature qui me signale la soif par un desséchement du gosier) à la fontaine de mots. Je ne peux pas dire que je ne boirai jamais de son eau : le lapin qui n’a rien d’un lièvre est en fait une tortue refoulée (l’allure, le cou –pas le débit de paroles, malheureusement pour nos poignets crispés). Imaginez le scandale, que le lapin Duracell soit une tortue refoulée… il ne manquerait plus qu’Orphée module ses chants sur la creuse écaille de sa lyre, et on aurait tout vu. Heureusement, on a morflé MOrphée.

Girouette cacahuète

Il était une sale gamine
Girouette cacahuète
Il était une sale gamine
Qui n’avait pas envie d’khûber
Qui n’avait pas envie d’khûber
On lui fit entendre raison
Girouette cacahuète
On lui fit entendre raison
Et elle revint dans son lycée
Et elle revint dans son lycée


Blocage sur d’la philo
Girouette cacahuète
Blocage sur d’la philo
Et survint la crise de nerfs
Et survint la crise de nerfs
Elle voulut aller en fac
Girouette cacahuète
Elle voulut aller en fac

On lui fit entendre raison
On lui fit entendre raison

 

Elle resta dans son lycée
Girouette cacahuète
Elle resta dans son lycée
Sale gamine pourrie gâtée
Sale gamine pourrie gâtée
Elle n’sait plus travailler
Girouette cacahuète
Elle n’sait plus travailler
A moins qu’elle n’ait envie d’glander
A moins qu’elle n’ait envie d’gander

Mais l’année n’est pas terminée
Girouette cacahuète
Mais l’année n’est pas terminée
Verra bien c’qui lui est réservé
Verra bien c’qui lui est réservé
Mon histoire, elle, est terminée
Girouette cacahuète
Mon histoire, elle, est terminée
Messieurs, mesdames applaudissez
Messieurs, mesdames applaudissez

Un coup de khûbe n’abolira jamais le hasard

 

        C’est le vice du jeu, j’ai repris un ticket de loto – avec un peu de chance je pourrai aller déguisée en poussin jaune crier « au revoir, au revoir, examinateur ! » .

Entrée dans la troisième dimension, donc. Reste à espérer qu’après avoir parcouru les polys en long et en large, la profondeur sera toute métaphorique : aucune envie de m’enfoncer et de continuer à creuser. La profondeur est une illusion en ce qu’elle n’est que le réagencement des deux autres dimensions, conjonction de différents points de vue sur la longueur et la largeur. Les kharrés feraient bien de lire et de ne rien comprendre à ma façon à Merleau-Ponty : ils verraient que le khûbe, ce n’est qu’un khârré un peu secoué. A les voir nous écouter, on dirait qu’ils attendent la parole du messie. Ou comment en répondant le jour de la rentrée à une innocente question comme « est-ce que tu as plus travaillé en khâgne qu’en hypo ? », on se retrouve encerclé. Petite khûbe au milieu, voilà la quadrature du cercle.

 

            Les premiers jours, j’étais en visite. Retrouver le Vates, ne pas trouver Melendili, arriver toujours aussi essoufflée en haut des marches, dire bonjour aux professeurs, remplir des petites fiches comme on a fait des tests dans les magazines, entamer plein de copies double à la fois pour noter un titre et une introduction. Ne pas relire, regarder par la fenêtre, oublier son stylo, des feuilles, son livre, sa trousse – en touriste.

            Puis la visite guidée m’a lassée, sale gamine qui traîne les pieds, ronchonne et s’attarde dans la boutique-souvenirs tenue par un certain Gibert plus très jeune, avant de se ruer à table (autem la sentence divine de la jardinière de légumes n’est pas tombée).

            Enfin il y a eu les subtilités de Descartes pour me titiller les neurones en grève larvée, et Melendili pour mettre les questions existentielles à plat pendant qu’on allégeait l’autre de sa tarte aux poires. Et depuis, il y a les délires de la Bacchante en cours de français, les brouillons qui se multiplient dans les environs de mon bureau, les sourires échangés en passant avec Piperata puella, qui porte décidemment bien son surnom, les cours qui s’empilent – un regain de motivation en presse-papiers.

 

Bien sûr dans la troisième partie de notre prépa comme dans celle de nos dissertations, il y a toujours du pour et du contre :

 

Un jour on extrait de cinq pauvres mots « Omnia communia amicorum sunt » une demi-douzaine de traductions, en regrettant l’interminable discours indirect libre qur lequel on s’est magistralement planté à l’oral.

Le lendemain, on a la plume qui sautille de joie d’avoir enfin compris en plein milieu d’un texte sur les devoirs (acrobatiquement rattaché au thème de l’amour par le biais de l’amour de la patrie) qu’aucune personne errante ne prend feu mais qu’il s’agit une comparaison : on aide l’autre si cela ne nous porte pas préjudice, comme on rallume la torche d’un inconnu qui s’est paumé sous la pluie en appliquant la technique des bougies de gâteau d’anniversaire –il est beau, l’esprit olympique.

 

Un jour on sait d’avance quelle blague Mimi va nous sortir.

Le lendemain… soit on se satisfait des variations, soit on ne vient plus en cours. Il faudra se fendre d’une lettre à la proviseurE pour obtenir l’autorisation spéciale. Eh oui, on passe presque tous ses caprices au khûbe – et ceux des féministes de pacotille qui écorchent les règles du français dès les premières phrases d’un discours de rentrée, devant une assemblée de profs, de français inclus.

 

Un jour on n’a pas bien suivi l’explication de texte d’anglais – et pour cause, il aurait fallu le préparer.

Le lendemain, on s’aperçoit de son idiotie en se demandant si le « clergyman » qui fait sa demande en mariage à l’admiratrice secrète de Darcy est un « prêtre » ou un « pasteur »…

 

Un jour, on blogue pour raconter son khûbage, demain, on se dira qu’on n’aurait pas dû. Ah ! le conditionnel et l’irréel du passé… ils nous auraient presque manqué.

Psycho khâgneuse is back

      L’ennui guette. Pour détourner l’attention de ce redoutable espion, je me livre à toutes sortes d’activités allant de l’écoquillage d’escargot à la lecture d’un ouvrage de philosophie.  Je vous réserve mes découvertes d’héliciculture pour une autre fois et passe directement Du monde clos à l’univers infini de la bibliographie philosophique estivale. Je ne compte pas vous faire un exposé sur le bouquin lui-même, vous êtes tout de même en vacances (ou pire en vacances studieuses ou laborieuses) et j’en serais de toute façon incapable – Vade retro, satanée fiche. En fait, je me disais juste que ce que j’adore, c’est la mauvaise foi des philosophes. Toujours à s’envoyer des piques et à pianailler sur le vocabulaire pour ne pas admettre que la thèse de leur adversaire est plus juste. Alexandre Koyré, sans vraiment faire exception à la règle en est néanmoins conscient, et c’est doublement délicieux pour le lecteur qui, en plus des formulations dudit Koyré, a droit à quelques formulations malheureuses heureusement soulignées (des auteurs qu’il cite). Du coup, outre les traditionnels encadrés, soulignés, traits dans la marge et autres vaguelettes un peu lassées, il prolifère des petits ^^ amusés. Quelques extraits pour le fun (il y en a d’autres, mais 1° je ne les retrouve pas 2° je suis loin d’avoir fini le livre):

« Giordano Bruno, j’ai le regret de le dire, n’est pas un très bon philosophe. »

A propos de Gassendi : « c’est un esprit assez timoré »

A More, Descartes répond « sur un ton étonnament moderé et courtois ».

Mon préféré, c’est tout de même la prise de position (qui est en fait une belle esquive) de Descartes sur un problème épique de l’époque relatif à la finitude ou l’infinité du monde, à savoir ce qui se passerait si une épée traversait la paroi du bout de l’univers (presque aussi tordu que l’histoire du cube d’Aristote dans le vide). En gros Descartes répond que cette supposition est idiote parce que cela revient à considérer le « vide » comme un espace et à plaider pour l’infinité. Commentaire de Koyré : « Il est rare qu’un philosophe réussise à en persuader un autre : inutile de dire que More ne fut pas convaincu. »
Je me suis prise à rire (pas à sourire, non, à rire) à celui-ci. Et je me suis dit que finir par se marrer pour de tels trucs, assise dans une chaise longue, c’était a little bit flipping. Psycho khâgneuse is back !

Back², même :
 *interruption des programmes due à un pote de mon frère qui ne peut plus faire redémarrer sa mob et, ayant la chance inouïe d’avoir le permis, je suis bonne pour le ramener at home*
*ayant la chance inouïe d’avoir un papa qui a oublié de m’assurer pour la conduite de sa voiture, l’interruption aura été de courte durée*

1, 2, 3 : prêts ? non ? Partez !

    Juste après le délire enthousiaste, il y a eu la peur panique, puis le gavage d’oies avec tout le programme d’HK et de K d’histoire, la grammaire latine (Il faudra un jour m’expliquer pourquoi je connais par cœur la composition de cette grammaire au point de l’ouvrir presque instinctivement à la page que je cherche, mais que je ne connais toujours pas ce qu’il y a marqué dessus.), de la philo, de la philo spé (et ses délicieux cours particuliers) et un rapide regard pour (le dessus) de mes classeurs de français et d’anglais. Révisions frénétiques.
    Pendant ce temps, le Vates a (révisé et) explosé son forfait en messages de détresse à tous en général et notre professeur de français en particulier – dont certaines réponses ont été croustillantes. Parmi mes préférées : « tu vois que tu es admissible, ducon » et « si je te disais ce que je penses, je serais renvoyée de l’éducation nationale ».

 

La réunion des admissibles

    A Ulm. Technique d’espionnage développée depuis le Panthéon. Si, si, je t’assure, ceux-là, ils ont une tête d’admissible. On a feinté, passé sur le trottoir d’en face, marché jusqu’à la boulangerie pour que je me prenne un escargot au chocolat (c’est comme un pain au raisin, mais… au chocolat), mangé devant les grilles du 45. J’ai repéré monsieur Babybel, qui composait à ma gauche à Arcueil. Il se jetait avec voracité sur son brouillon pour n’en plus décoller que vers midi – 1h, où il sortait son petit filet et mangeait quelques babibels d’un air digne – non, si, je vous assure, je n’ai pas fait qu’observer mes congénères, j’ai aussi travaillé. Premier d’un certain nombre de tarés. Cinq minutes avant l’heure précise, on a fini par rentrer dans l’endroit mythique. 173 candidats, 75 admis : 98 à virer. On a discuté avec une kharré d’H IV, qui,en plus d’être sympathique, a fait mentir le célèbre adage  :  elle était en effet avec son copain, lui aussi admissible, et a visiblement été admise puisque je ne l’ai pas croisée à la confession. Bref. On nous a distribué notre emploi du temps, répété que le jury n’était pas là pour nous enfoncer, que la reprise était extrêmement importante, que le niveau d’exigence était élevé (chaque membre du jury attend juste le niveau d’un bac+6 qui ne travaillerait que sa matière, mais à part ça…) et qu’ une « attitude d’humilité » était recommandée face au jury. On s’est regardés un peu ébahis (sauf quelques coqs sûrs d’eux, persuadés d’être l’égal des « nombreux génies » passés par la rue d’Ulm) : il me semblait qu’il serait déjà difficile de ne pas avoir l’air terrorisé. Surtout quand, en appelant à la sortie le prof d’histoire pour lui demander ce qu’il fallait que je révise en priorité parce que je commençais par cela, il m’a répondu « rien, de toute façon il est trop tard ».