Ou le langage des philosophes
Ou comment ne pas travailler sur sa dissertation
Ou comment briser la binarité du « ou bien »
Hou comment avoir l’air débile en faisant le fantôme
Herméneutique pneumatique : des textes gonflés (légèrement bourrés)
Bibliographie : tous, mais particulièrement Kant
Le philosophe, c’est d’abord un texte qui vous rappelle que, si le meilleur ami de l’homme est le chien, celui du khâgneux est le dictionnaire. Des mots longs, aussi tarabiscotés que leur sens, et à consonance grecque, une petite touche d’exotisme est toujours rafraîchissante. Des mots qui font leur langue de vipère : Larousse serait une fausse blonde, avec un certain déficit en mots inconnus du commun des mortels. Lui préférer sinon l’austérité, du moins le sérieux de Robert. Mieux : adorer le prof qui daigne vous les expliquer, parce qu’il n’est pas toujours évident d’acquérir transcendentalement un sens qui vous transcende (même s’il faut reconnaître que ce n’est pas transcendant, pour parler comme la créature mortelle que je suis – mortellement chiante aussi, mais là n’est pas le sujet, car tel n’est pas mon bon plaisir).
Les mots prennent la tangente
Bibliographie : Sartre et Valéry
Le philosophe aime à souligner – mais toujours en italique, c’est le privilège des penseurs édités. Ou bien, si son propos est encore clair comme de l’eau de roche (méfiez-vous, l’anguille n’est jamais loin), il vous prend pour un imbécile (je ne citerai personne, mais je pense très fort à Valéry), ou bien, si vous ne comprenez rien, c’est une tentative désespérée pour attirer votre attention sur la valeur équivoque du terme en question. « Equivoque », pour le philosophe, équivaut souvent à « définition personnelle ». Car non solum le philosophe vous fait aimer le dictionnaire, sed etiam il entend vous faire lire le sien propre. Les dissertations consistent donc plus à trouver pourquoi diable chaque auteur a pu employer tel mot alors que, dans la thèse adverse, (les thèses sont toujours adverses, les philosophes ayant la fâcheuse tendance de vouloir avoir toujours raison) il a un tout autre sens, qu’à créer une argumentation ex nihilo. J’allais oublier : ces férus de dictionnaire ont beaucoup fréquenté Félix et Anatole et tiennent à vous le faire savoir. La grammaire, en revanche, a été quelque peu négligée et il n’est pas rare de trouver des verbes substantivés là où un nom aurait été commun. *Sortant de la lecture du poly sur mai 68, j’aurais été tentée par un petit « non au nom ! » mais, nom de Dieu, je crains d’en être affublée par de toutes sortes*
Vocabulaire contre grammaire : un penser contre un rendu. (Eh oui, le verbe et l’italique peuvent se combiner).
Le train-train philosophique
Bibliographie : les philosophes allemands en général, Kant en particulier
Le philosophe a, et c’est le propre de sa première syllabe, une fâcheuse tendance s’emmêler. Vous aurez beau lire la chose au peigne fin, de nœud en nœud insoluble, vous devrez vous couper les cheveux en quatre pour ne pas avoir à vous les arracher. (La métaphore est un peu capillo-tractée, pour un peu on se croirait dans une pub pour Dop – à ceci près que le texte vous pique presque les yeux, et que si on évite les nœuds, il n’y a plus de texte).
Le philosophe rumine ses idées depuis si longtemps qu’elles sont assez souples pour prendre n’importe quelle forme (et vous coller sur table). Les subordonnées s’enchaînent, tout roule, à ceci près qu’on ne voit pas les rails (on peut éventuellement pressentir ceux, de cocaïne, de l’auteur). Les subordonnées sont comme des wagons, on peut les accrocher dans n’importe quel ordre, pourvu qu’on trouve une locomotive principale pour les tirer. Mais les philosophes semblent avoir fait un stage à la sncf et prendre un malin plaisir à dissimuler la locomotive au milieu du convoi, et à lier wagon-lit, wagon de transport de marchandises et wagon-restaurant n’importe comment de sorte à ce que le voyageur ne puisse pas atteindre le wagon-restaurant, de toute manière hors de prix. Le train philosophique qu’on attrape en marche, comme le train électrique, c’est très amusant lorsqu’on peut jouer avec, mais rester à quai à observer provoque une certaine frustration et un ennui profond.
Les soleils noirs de la philosophie –
ou les ténors, j’hésite, alors je ne choisis pas (autre caractéristique du philosophe : la juxtaposition supposément explicative, au mieux non contradictoire).
Bibliographie : Merleau-Ponty et Nietzsche bien sûr !
Mais le pire est peut-être le philosophe qui écrit bien. En effet, après avoir pris un retard monstrueux qu’on mettra sur le compte de la « présence de personnes dans les voies »*, on finit par comprendre l’intrigue du roman de gare philosophique. On a pressé le texte de toutes parts et, s’il serait exagéré de dire que l’idée générale en a jailli, elle en a été extraite. Le philosophe sachant écrire est plus fourbe. Les mots en sont si léchés que la pensée est élastique comme un chewing-gum mâché à point : vous pouvez tirer dessus autant que vous voulez, l’idée ne se détache pas des mots. Vous êtes condamnés à mâchouiller à perpétuité ; vos fiches seront à peine moins épaisses que le volume qu’elles sont censées condenser.
* sic Dans les voies. J’imagine des morceaux de chair incrustés dans les rails, et pour que l’horreur soit jouissive, je la coiffe d’une casquette de cheminot. Dans les voies. Alors qu’un suicide se dit « incident de personne », comme s’il fallait déjà réduire le malheureux au néant du partitif.