Candide et les loisirs de masse

 Je révise activement et sélectionne pour cela avec soin mes loisirs. Je lis Tintin au pays des Soviets, et mon père m’a passé un magazine de BD sur Mai 68 – je finirai peut-être par savoir orthographier le nom de David Cohn-Bendit. On voit également que la période est aux révisions quand l’animateur télé demande quelle ligne fait face à la ligne Maginot, « duo, carré ou cash », je bondis « cash : Siegfried ! ». Le doute existentiel face au trou noir « Attends, attends, le pacte de Bagdad, quelle année ? … attends… créé pour faire pièce à l’OTAN… c’est en… 50, OTAN… Bagdad : 55 !! C’est mon dernier mot, Jean-Pierre (Richard seulement avec une minuscule) ». Devant Le monde sans Johnny, quand Luchini comprend que Johnny n’est pas devenu Halliday par un détail, que l’enchainement des causes et des effets est parti en free style et que du coup, il n’y a pas de Johnny dans ce monde-ci, je hurle « Leibniz ». Ma monade sans porte ni fenêtre ne voit que par son oeil de Judas. Cette traitresse d’harmonie pré-établie me conduit à ma perte : j’engraisse mes neurones et symétriquement, mon corps imite l’âme et réclame sa dose de Nutella, crème de marron, gâteau aux noix, coca et confiture du jardin en tous genres. J’ai inventé le concept de la disharmonie pré-établie. Mais comme Dieu ne permet le mal que pour obtenir le meilleur des mondes, je ne doute point que le sacrifice de mes cinquièmes positions trouvera sa suprême raison d’être, et je m’en remets à lui pour intégrer normale. Si tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes et que Leibniz s’avère n’être qu’un Pangloss, ce sera la faute à Voltaire.   

 

Travailler au soleil – tout un programme

       J’ai passé une majeure partie de l’après-midi en position de travail, au soleil. N’allez pas croire  à une folle frénésie de bachotage pré-concours. Même entre guillemets, des « vacances » résistent et  demeurent en partie ce qu’elles devraient être. Assise sur le blanc en plastique devant la maison, des photocopies de Kant sur les genoux, un stabilo à la main et des lunettes de soleil sur le nez, tout va bien. Kant est même compréhensible : la Métaphysique des moeurs ne s’est pas encore envolées  dans les trop hautes sphères des idées kantiennes, où je suis sûre que les noumènes ravis de se payer ma tête et ses neurones grillés à point partagent sans distinction aucune leur hilarité avec la raison théorique pratiquement impraticable. La motivation n’a cependant pas été la seule à être chauffée  par le soleil. Le trafic aérien est intense et la tour de contrôle est une véritable ruche – ça bourdonne sec dans le pot de fleurs à ma gauche. Hormis un simili de crise cardiaque pour cause de surgissement de bestiole non identifiée en plein bonheur-qui-n’est-pas-l’enjeu-de-la-morale, la concentration régnait. La tâche est devenue un peu plus difficile lorsqu’on est passé au niveau supérieur dans la taille des bestioles. Un proverbe dit que lorsque l’on veut la meilleure place, il faut déloger le chat. Or j’étais visiblement à la meilleure place. Donc, en bon syllogisme, vous ne conclurez pas que je suis un chat, mais que naturellement, le chat est venu me déloger. Comme j’ai une stature exceptionnellement développée pour une souris, le chat n°1 a d’autorité siégé sur mes genoux et a valeureusement défendu sa nouvelle conquête. En parfaite sentinelle, elle n’a pas arrêté de bouger. En parfaite guerrière, elle a tenu à ce que je me présente à tout instant les mains vides et partait après les fuyardes dès qu’elles menaçaient de s’emparer du trieur voisin. Sur ce, cet espèce d’ours qui est officiellement reconnu comme un bouvier bernois s’est mis en devoir d’exprimer au monde entier (sous forme de la monade de la maisonée) sa jalousie. Liberté d’expression oblige. Le chat n°1 a fini par regagner ses pénates et sa descendance, j’ai nommé deux boules de poils officiellement reconnues comme des chatons de quelques jours. Je suis passée à le lecture de Machiavel. Il s’est rapidement avéré que j’aurais dû faire appel aux dieux et non à leur fraction- demi-dieu philosophique : dès que Pascal a été glissé en haut du trieur à l’ordre du jour, le chat n°2 a sauté sur la feuille et l’occasion. Impossible ne serait-ce que de souligner quelque heureuse formulation. Le moi égoïste du chat qui se fait le centre de tout a repris le dessus. Il a essuyé son trop-plein de poils sur mon pantalon, et une fois qu’il y en avait plus que de pages à réviser avant le concours, il est reparti avec son intérêt bien compris. J’ai continué, mais laissez-moi vous dire que l’effroi du silence des espaces infinis dans la campagne riante, c’est une vaste blague. Chien, chat, mouches, (les escargots sont silencieux, une chance), tondeuse, éclats de rire et de soleil – et au milieu de tout cela, le bon sauvage qui me fait un pied de nez. Rousseau ma chèvre m’achève.

Que le khâgneux a foi dans les mathématiques

Le khâgneux passe un concours improbable, i.e. subjectivement impossible.
Mais comme il sait qu’il a mathématiquement une chance, objectivement calculée à partir du nombre de khâgneux de France et de Navarre et du nombre de places à pourvoir, il continue.
Le kâgneux se vautre dans son amour des lettres pour quelques chiffres hermétiques.
C’était une démonstration hautement transcendante, je vous l’accorde.

[ Je ne vous ferai tout de même pas l’affront de démontrer que le prépateux commercial a foi dans les lettres – hormis celles de motivation.]  

Sage critique des amateurs de sagesse

Ou le langage des philosophes
Ou comment ne pas travailler sur sa dissertation
Ou comment briser la binarité du « ou bien »
Hou comment avoir l’air débile en faisant le fantôme

Herméneutique pneumatique : des textes gonflés (légèrement bourrés)
Bibliographie : tous, mais particulièrement Kant

Le philosophe, c’est d’abord un texte qui vous rappelle que, si le meilleur ami de l’homme est le chien, celui du khâgneux est le dictionnaire. Des mots longs, aussi tarabiscotés que leur sens, et à consonance grecque, une petite touche d’exotisme est toujours rafraîchissante. Des mots qui font leur langue de vipère : Larousse serait une fausse blonde, avec un certain déficit en mots inconnus du commun des mortels. Lui préférer sinon l’austérité, du moins le sérieux de Robert. Mieux : adorer le prof qui daigne vous les expliquer, parce qu’il n’est pas toujours évident d’acquérir transcendentalement un sens qui vous transcende (même s’il faut reconnaître que ce n’est pas transcendant, pour parler comme la créature mortelle que je suis – mortellement chiante aussi, mais là n’est pas le sujet, car tel n’est pas mon bon plaisir).

Les mots prennent la tangente
Bibliographie : Sartre et Valéry

Le philosophe aime à souligner – mais toujours en italique, c’est le privilège des penseurs édités. Ou bien, si son propos est encore clair comme de l’eau de roche (méfiez-vous, l’anguille n’est jamais loin), il vous prend pour un imbécile (je ne citerai personne, mais je pense très fort à Valéry), ou bien, si vous ne comprenez rien, c’est une tentative désespérée pour attirer votre attention sur la valeur équivoque du terme en question. « Equivoque », pour le philosophe, équivaut souvent à « définition personnelle ». Car non solum le philosophe vous fait aimer le dictionnaire, sed etiam il entend vous faire lire le sien propre. Les dissertations consistent donc plus à trouver pourquoi diable chaque auteur a pu employer tel mot alors que, dans la thèse adverse, (les thèses sont toujours adverses, les philosophes ayant la fâcheuse tendance de vouloir avoir toujours raison) il a un tout autre sens, qu’à créer une argumentation ex nihilo. J’allais oublier : ces férus de dictionnaire ont beaucoup fréquenté Félix et Anatole et tiennent à vous le faire savoir. La grammaire, en revanche, a été quelque peu négligée et il n’est pas rare de trouver des verbes substantivés là où un nom aurait été commun. *Sortant de la lecture du poly sur mai 68, j’aurais été tentée par un petit « non au nom ! » mais, nom de Dieu, je crains d’en être affublée par de toutes sortes*
Vocabulaire contre grammaire : un penser contre un rendu. (Eh oui, le verbe et l’italique peuvent se combiner).

Le train-train philosophique
Bibliographie : les philosophes allemands en général, Kant en particulier

Le philosophe a, et c’est le propre de sa première syllabe, une fâcheuse tendance s’emmêler. Vous aurez beau lire la chose au peigne fin, de nœud en nœud insoluble, vous devrez vous couper les cheveux en quatre pour ne pas avoir à vous les arracher. (La métaphore est un peu capillo-tractée, pour un peu on se croirait dans une pub pour Dop – à ceci près que le texte vous pique presque les yeux, et que si on évite les nœuds, il n’y a plus de texte).

Le philosophe rumine ses idées depuis si longtemps qu’elles sont assez souples pour prendre n’importe quelle forme (et vous coller sur table). Les subordonnées s’enchaînent, tout roule, à ceci près qu’on ne voit pas les rails (on peut éventuellement pressentir ceux, de cocaïne, de l’auteur). Les subordonnées sont comme des wagons, on peut les accrocher dans n’importe quel ordre, pourvu qu’on trouve une locomotive principale pour les tirer. Mais les philosophes semblent avoir fait un stage à la sncf et prendre un malin plaisir à dissimuler la locomotive au milieu du convoi, et à lier wagon-lit, wagon de transport de marchandises et wagon-restaurant n’importe comment de sorte à ce que le voyageur ne puisse pas atteindre le wagon-restaurant, de toute manière hors de prix. Le train philosophique qu’on attrape en marche, comme le train électrique, c’est très amusant lorsqu’on peut jouer avec, mais rester à quai à observer provoque une certaine frustration et un ennui profond.

Les soleils noirs de la philosophie
ou les ténors, j’hésite, alors je ne choisis pas (autre caractéristique du philosophe : la juxtaposition supposément explicative, au mieux non contradictoire).
Bibliographie : Merleau-Ponty et Nietzsche bien sûr !

Mais le pire est peut-être le philosophe qui écrit bien. En effet, après avoir pris un retard monstrueux qu’on mettra sur le compte de la « présence de personnes dans les voies »*, on finit par comprendre l’intrigue du roman de gare philosophique. On a pressé le texte de toutes parts et, s’il serait exagéré de dire que l’idée générale en a jailli, elle en a été extraite. Le philosophe sachant écrire est plus fourbe. Les mots en sont si léchés que la pensée est élastique comme un chewing-gum mâché à point : vous pouvez tirer dessus autant que vous voulez, l’idée ne se détache pas des mots. Vous êtes condamnés à mâchouiller à perpétuité ; vos fiches seront à peine moins épaisses que le volume qu’elles sont censées condenser.

 
* sic Dans les voies. J’imagine des morceaux de chair incrustés dans les rails, et pour que l’horreur soit jouissive, je la coiffe d’une casquette de cheminot. Dans les voies. Alors qu’un suicide se dit « incident de personne », comme s’il fallait déjà réduire le malheureux au néant du partitif.

Balles à blanc

Rapport de l’état-major

Nombre d’épreuves : 6

Heures passées en concours : 30

Galettes de riz englouties : une quinzaine

Carrés de chocolat croqués : une dizaine

Cartouches usées : 2

Copies doubles scribouillées : 14

Soupirs poussés : pas de données chiffrées disponible – estimation haute

 

En bouche et empalés

Mon estomac se devait de témoigner des épreuves qu’il a traversées. Peu courageux mais braillard. Il a fait un tel boucan que j’ai dû prendre des mesures et lui tendre dès 9h du matin des galettes de riz soufflées en guise de bâillon. Il faut dire que je l’ai mal dressé durant ce concours : en voyant le sujet déprimant de la deuxième épreuve, j’ai commencé par le chocolat. Déviance de souris lorsqu’un lapin (et non un de vos semblables, ânes que vous faites) carburait à la carotte. Et puis, il était désorienté ce pauvre estomac. Se voir accorder comme cela le droit de déjeuner à trois heures de l’après-midi, ce n’est pas humain – on pourrait m’objecter que l’estomac n’est pas humain, certes, mais dans la définition de mon humanité, l’estomac occupe une place aussi démesurée que son appétit. Le déjeuner à trois heures est une expérience à part. Non tant à cause de l’heure à laquelle elle se déroule qu’à celle de sa nature. Des plateaux entreposés comme pour une performance contemporaine où l’on exhibe les restes fossilisés du repas de midi : du fromage-savonnette préservé sous blister ou encore du riz à vague coloration indienne, mais plutôt chinois quant à sa texture gluante. Le tout se déroulant dans l’enclos professoral, avec participation exceptionnelle du micro-onde professeur-only, inclus température et temps de réchauffage.

 

La drôle de guerre

Résister à l’ennui pendant six heures, si vous vous souvenez bien (le cas n’échéant pas, vous pouvez donner un petit coup de molette pour descendre jusqu’à l’article précédent). C’était ne pas encore savoir que l’on aurait en français un sujet dont le seul problème était justement de ne pas en avoir. A l’ouverture (comme à la conclusion) rien de bien nouveau. Quelques obus le lendemain, sous forme d’éclats de rire latins. Il n’y a rien à faire, l’humour des Romains est une forteresse inexpugnable. Après les blagues carambars de Quintilien, nous avons eu le devoir de rire avec Sénèque, bien connu pour sa jovialité rabelaisienne et son rire débonnaire – ce que ne peut que suggérer un intitulé tel que « Le sage ne doit pas avoir peur face à la vieillesse et la mort ». A la réflexion, en se demandant s’il parlait d’un platane ou d’un homme, nous avons plus ri de Sénèque que cum illum. Une sorte d’allié peu franc du collier ou d’ennemi en trêve de plaisanterie. La seconde solution s’est imposée le lendemain lorsque Cicéron a filé à l’anglaise pour se retrouver dans les lignes d’une légion version étrangère. Je dois avouer n’avoir plus compris grand-chose à la bataille quand le lendemain un espion grec s’est égaré entre la bataille de Salamine et celle des Carthaginois.

 

Espionnage : les signes qui augurent mal

Quelques informations sont passées au travers des rayons X des yeux professoraux. Qui se sont plaint des désertions. Exagération de l’état-major : tout juste un repos à l’arrière. Mais entre corps ankylosés dans la crispation et les grandes rasades de gnôle pour se donner du courage, on n’a que faire d’entendre crier au feu : « Que d’eau ! que d’eau ! ».

Le service secret a joué à l’antique et s’est contenté de relever les augures. L’avis des douze Césars :

         L’hystérique historique prophétie

         Lorsque j’étais en attente de quelque inspiration divine, le soleil s’est mis à clignoter du morse sur le clocher de Notre-Dame. Note à moi-même : penser à apprendre le morse.

         Lorsque la carotte a été brandie par une lettre classique ayant apporté son déjeuner parce que disposant d’une heure de plus que les lettres modernes et les optionnaires philosophes, ces derniers y ont lu leur perte : les carottes sont crues.

 

Théâtre des opérations

Pour le sens figuré, figurez-vous un quartier de généraux penchés voire racornis sur leurs études, à faire et à refaire leur plan, pour, une fois dans le feu de l’action, ne plus chercher qu’à sauver leur peau. Marathon et sprint dans la même épreuve.

Pour le sens propre, nous sommes allés regarder les camps troyen et grec s’entredéchirer dans Troilus and Cressilla. Trois heures de Shakespeare sur-titré. Fin des hostilités vers minuit. Couvre-feu une heure plus tard. Une sortie scolaire au théâtre en plein concours blanc, mais c’est la débandade ! Où est passée la discipline militaire ?

 

Bilan : à venir – prions pour que les stylos des correcteurs ne déversent pas des flots de sang innocent (ou inconscient, au choix). On connaîtra peut-être également le nom du soldat inconnu.