Philomena n’est pas l’histoire de la vieille dame éponyme qui cherche la trace du fils qu’on lui a arraché il y a cinquante ans, alors que, mère-fille, ses parents l’avaient envoyée expier son péché chez les nonnes. C’est l’histoire de Martin, journaliste politique viré de la BBC pour avoir fait un parfait bouc émissaire, qui méprise tout ce qui est récit d’expériences personnelles (human interest stories) et qui remet pourtant à plus tard l’écriture de son livre sur l’histoire de la Russie après avoir croisé la fille de Philomenia. Il ne veut ni séduire la fille ni aider la mère et c’est avec le plus grand cynisme qu’il se lance dans cette enquête-reportage, bien décidé à torcher un papier plein de clichés qui l’autoriseront à mépriser encore davantage ceux qui les lisent et s’en émeuvent (ici, verser une larme pour le combat d’une pauvre fille spoliée par des nonnes diaboliques).
Je veux aller en Irlande !
À partir de là, un peu comme dans une comédie romantique, les deux personnages, obligés de cohabiter, vont devoir apprendre à se connaître. Aucun des deux ne tient l’autre en grande estime de prime abord : Martin déplore les effets désastreux sur l’intellect d’une vie à lire le Reader’s Digest et des romans à l’eau de rose, tandis que Philomena désapprouve ce journaliste sans foi ni loi, qui ne sait éprouver que colère, mépris et exaspération. Pourtant, elle va devoir reconnaître la capacité d’empathie de Martin qui, prenant peu à peu les choses à cœur, jure contre ces fucking Catholics qui leur font obstacle et utilise ses techniques de méchant journaliste pour l’aider. La vieille dame, qui n’a pas assez d’esprit et de culture pour comprendre les plaisanteries du journaliste issu d’Oxford (mais assez de jugeote pour savoir qu’il ne la tient pas en grande estime) va le surprendre. Des heures passées devant la télévision et à ses lectures bien-pensantes, Philomena a emmagasiné pas mal de clichés mais aussi élargi son horizon : apprenant l’homosexualité de son fils, elle demande s’il a eu des enfants et devant le regard gênée de son interlocutrice, qui ne sait pas comment faire face au déni d’une mère, explique qu’elle a eu des collègues homosexuels et que l’un d’eux était « bi-curieux ». Et Martin d’être à nouveau scié quand la vieille dame se montre parfaitement au courant des implications politiques du sida sur la communauté gay.
Exemple de scène cocasse : la narration du roman à l’eau de rose dans le terminal de l’aéroport, en petite voiture.
Le réalisateur joue ainsi avec nos a priori (attentes ou préjugés) et, si je n’ai pas beaucoup entendu la salle rire, je me suis payée bon nombre de fous rires silencieux avec Palpatine (« Mon estomac se réveille toujours avant moi »). C’est toujours avec beaucoup de cocasserie que la tentation du cynisme comme de la mièvrerie est évitée, à l’image de la fin du film où Martin demande à Philomena de lui raconter son énième lecture à l’eau de rose pour ne pas avoir à refuser d’emprunter le livre. La quête n’a pour ainsi dire rien donné, si ce n’est une certaine tranquillité d’esprit à la vieille dame et un article que Martin avait finalement décidé de ne pas écrire pour épargner Philomena mais que celle-ci insiste pour faire publier – à la fois pour faire connaître le scandale d’enfants irlandais vendus par des nonnes à des familles américaines et pour remercier Martin. Sans Martin, pas de Philomena. C’est grâce à lui que, transformant le fait divers en histoire, Stephen Frears fait un bon film et pas seulement du bon sentiment.