L’héroïne qui boit son café dès les premières pages, ça m’insupporte, mais à la fin du premier chapitre, j’étais happée.
C’est par un pitch du genre que Pink Lady m’a vendu The Girl on the Train – enfin me l’a donné : je suis pour ainsi dire incapable de résister à des livres sur le point d’être abandonnés et mes étagères prennent des allures de brocante à mesure qu’elle Marie-Kondoïse son studio.
Buveuse de thé, je n’avais jamais prêté attention à la hype de l’héroïne-qui-boit-son-café. J’ai souri lorsqu’elle en a pris une gorgée et, à la fin du premier chapitre, j’étais happée. Aucun suspens ou mystère haletant, pourtant ; Paula Hawkins a l’art et la manière de vous mettre le neurone (sur)interprétatif en branle sur un simple trajet de train quotidien. Plongés in media res dans la routine observatrice de la narratrice, on élabore sans s’en rendre compte une foultitude d’hypothèses pour combler les lacunes minuscules savamment laissées par le récit : ces personnes qu’elle observe sur son trajet se nomment-elles réellement Jess et Jason ? A-t-elle habité le quartier pour sembler si bien le connaître ? Si, oui, pourquoi l’avoir quitté ? Ou n’est-ce que fantaisie ? Délire de qui a un peu trop bu ? Certaines de ces questions reçoivent des réponses quelques pages plus loin, complètes ou partielles ; le lecteur s’en empare comme d’une friandise pour le chien qui a bien flairé ce qu’on lui indiquait. C’est trop peu pour rassasier notre curiosité naissante, mais suffisant pour savoir qu’on ne sera pas laissé en plan par l’auteur, qui sollicite notre implication sans exiger d’effort.
Pendant une large partie du récit, le mystère, c’est qu’il n’y en a aucun : tous les codes du thriller sont là, et quoi ? La narration indique que quelque chose se trame dans l’entrecroisement des points de vue, mais on peine à discerner un motif. Et quand, enfin, on l’aperçoit, il n’y a pas de sang, de cadavre : juste un trou dans la trame, une disparition. Je me suis mise à prier pour qu’on ne découvre pas de cadavre : non pour épargner un personnage auquel je me serais attachée par le biais des narrations croisées subtilement désynchronisées, mais pour empêcher le suspens psychologique de se résorber dans une classique enquête policière, oubliée sitôt le coupable désigné. J’étais moins curieuse de découvrir si un corps serait retrouvé que de savoir si la première narratrice allait réussir à sortir de son addiction, et la vérité de ses affabulations.
Je me suis retrouvée assise sur mon canapé, à lire bien au-delà des demies-heures à combler, prise comme je ne l’avais pas été depuis longtemps. Ma lecture terminée, j’ai été prise d’un vague dégoût pour les heures dilapidées, comme après avoir binge-watché plusieurs épisodes d’une série : pourquoi ce temps gâché ? Et pourquoi l’impression de ce temps gâché alors que c’ont été des heures de plaisir – et que la lecture d’un roman classique, tout aussi chronophage, ne me laisse pas cette même impression ? L’aspect compulsif de la chose, j’imagine. En me focalisant sur l’aspect psychologique de l’intrigue, le dégoût s’est estompé ; j’ai pu savourer le fait d’avoir côtoyé un personnage que j’aurais spontanément méprisé si je n’en avais pas épousé les pensées, et percevoir la charge sociale sous-jacente (si les narratrices ne sont pas reluisantes, que dire des personnages masculins ?).
Il s’agissait bien d’un roman sous le déguisement d’un thriller. Peut-être le café serait-il ma tasse de thé, après tout.