Je n’ai pas lu Un voyage dans le passé, nouvelle de Zweig dont est inspiré Une promesse, mais ce que je sais, c’est qu’on trouve dans le film de Patrice Leconte la même justesse des sentiments que chez l’écrivain.
On se doute bien d’où va aller l’histoire de Friederich, jeune homme talentueux à qui Karl, vieil industriel, confie la gestion de son usine et qu’il héberge chez lui, avec son fils et Charlotte, sa ravissante jeune épouse. Ce qui importe, ce sont les mouvements de lèvres de Charlotte, promptes à s’écarter en un large sourire de gêne ou de joie ; son inclinaison lorsqu’elle sert le thé au jeune protégé de son mari, qui fait remarquer les délicats boutons qui ferment le col de sa robe ; les fossettes de Louis, qui lui donnent un regard pénétrant même lorsqu’il parle affaires avec le plus grand sérieux ; sa concentration et sa détermination dans son travail, qui ne saurait en aucun cas être un prétexte pour se rapprocher de la femme du patron ; les regards du vieil homme, qui vont de l’un à l’autre et montrent qu’il comprend très bien ce qui se passent entre eux… Il ne veut pas condamner cet amour mais il ne peut pas pour autant y consentir, tandis que les jeunes gens ne peuvent se passer l’un de l’autre mais ne veulent pas d’adultère.
Séparés par un océan lorsque Friederich part travailler au Mexique, puis par la guerre, ils ne se revoient que bien des années plus tard. Mais alors que le mari de Charlotte est mort, les retrouvailles ne sonnent pas, comme ils l’auraient voulu, comme ils se l’étaient promis l’un à l’autre, le triomphe de leur amour. Le temps a passé, Friederich a évolué et on le sent aussi désappointé que rassuré lorsqu’il constate que rien n’a changé dans la demeure où il a vécu un amour impossible. Apparemment, la nouvelle de Zweig en reste là, au voyage dans un passé que l’on ne peut revivre qu’en souvenir. Dans le film, Friederich admet que, si avides de se reconnaître soient-ils, ils sont devenus des étrangers : ce faisant, il empêche Charlotte de faire comme si rien ne s’était passé et se laisse une chance de nouer une relation où ils soient tous deux l’un avec l’autre plutôt qu’avec le souvenir qu’ils en ont gardé. Le temps ne se rattrape pas ; c’est lui qui vous rattrape – sous la forme d’un défilé d’anciens combattants, où l’on aperçoit quelques croix gammées. Éclopés du cœur ou de la guerre, il ne reste plus qu’à vivre aussi bien que l’on peut : le dernier baiser des amants (leur premier) a déjà un fort goût de nostalgie, il serait dommage que vienne s’y ajouter l’amertume.
Une promesse plutôt qu’Un voyage dans le passé : alors que Friederich et Charlotte ne sont plus ceux qui se sont fait la promesse de s’aimer, ils s’efforcent de se retrouver, au nom de cette promesse et de la personne qu’ils ont été (la promesse est toujours une anticipation sur ce que l’on sera). Amour au-delà de l’amour(-passion), leur engagement ressemble curieusement au serment du mariage, vous ne trouvez pas ? Une promesse comme un fil d’Ariane de tendresse, pour retrouver la trace de l’être aimé par le passé et, qui sait, renouer.