Laisse-moi te dire… Emporter ou non avec moi ce recueil bilingue de Margaret Atwood ? Debout devant le rayon poésie de la médiathèque, je lis le premier poème, bute sur un arbre (balsam or spruce) que je ne connais pas davantage en français dans le texte (baume ou épinette), j’avance dans les eaux troubles du poème et soudain, me prends un coup que je n’avais pas vu venir :
This Is a Photograph of Me
It was taken some time ago.
[…]
At first it seems to be
a smeared
print : blurred lines and grey flecks
blended with the paper;In the background there is a lake,
and beyond that, some low hills.(The photograph was taken
the day after I drowned.I am in the lake, in the center
[…]
of the picture, just under the surface.
Traduit par Christine Évain :
C’est moi sur la photographie
Elle a été prise il y a quelques temps.
[…]
À première vue on dirait
une photo
ratée : des lignes floues et des points gris
qui se confondent avec la trame du papier ;À l’arrière-plan, il y a un lac,
et, au-delà, quelques petites collines.(La photographie a été prise
la jour après que je me suis noyée.Je suis dans le lac, au centre
[…]
de la photo, juste sous la surface.
Ce n’est pas du poème tout mignon. J’aime que ça envoie du lourd, la force destructrice. J’embarque le recueil. Seulement voilà, il s’avère à la lecture que ce premier poème non seulement oblitère les autres de sa force, mais qu’il est l’un des seuls à vraiment me plaire de tout le recueil (avec « The Explorers » et « You Have Made Your Escape… » qui fonctionnent un peu sur le même principe de chute dans ta face, l’un sur des rescapés de naufrage, l’autre sur les violences conjugales). Pour le reste, je pioche un vers ici ou là (sunlight knitting the leaves before our eyes), m’interroge sur les choix de traduction (pourquoi tisser plutôt que tricoter ?) et désamorce le désintérêt grandissant en m’entraînant à lire à voix haute — jouer sur le plaisir de la langue anglaise à défaut de toujours saisir celle de l’autrice.
released
from the lucidities of the day
Earlier than I could learn
the maps had been coloured in.
your hand floats belly up
but You must die
later or sooner alas
you were born weren’t you
the minutes thunder like guns
coupling won’t help you
La traduction dit :
mais Tu vas mourir
tôt ou tard hélas
de toutes façon tu es née
les minutes grondent comme des canons
l’accouplement ne te sera d’aucune aide
Je me fais la mienne :
mais Tu dois mourir
tard ou tôt hélas
n’es-tu pas née ?
les minutes se tirent comme des armes (explosent ?)
le coït ne te sera d’aucune aide
Ce sera tout pour la joie de vivre.
Ça me fait sourire, le nombre de fois où ça m’est arrivé, prendre un ouvrage car son début / ou un recueil de poésies ou de nouvelles car la première / m’avait captivée et être bien déçue par le reste.
Cela dit, dans le cas du recueil dont tu parles, ça semblait quand même valoir le détour – mais pas pour se remonter le moral -.