C’est l’Orchestre de Paris qui m’a fait découvrir Patricia Petibon mais c’est dans Dialogues des Carmélites que je suis définitivement tombée sous son charme, sous son chant (étymologiquement). Le poulain de Poulenc, maîtresse ès fantaisie, est revenu à Pleyel avec un récital réjouissant, où Satie et Fauré piaillent gaiement avec Fernandel et Leo Ferré. Chapeaux et faux nez sont de la partie, avec la complicité de Susan Manoff, qui a transformé son piano en malle de grenier, et de cinq autres musiciens venus en renfort pour guincher. Plus Olivier Py qui, non content d’avoir joliment enguirlandé la scène, tombe la chemise pour chanter d’irrésistibles duos avec l’héroïne de la soirée (je ne savais pas du tout qu’il chantait !).
De ce programme coloré, il ressort que Patricia Petibon a un grain – un grain de folie comme un grain de beauté, qui donne à chaque morceau la grâce d’un rire échevelé. Elle saute à cloche-pied dans les ornières et s’en sort d’une pirouette vocale. Elle peut flirter tant qu’elle veut avec le potache ou le graveleux : d’un bond, elle s’en écarte instamment ; pas une seconde sa voix ne s’y perd. On dirait un toon qui aurait conservé l’élégance de la Belle Époque. Sous son ombrelle, elle nous emmène sur une plage peuplée de regrets et de corbeaux, fait revivre des étreintes passées, vingt-quatre heures dans la vie d’une femme ayant aimé, et l’instant d’après, on secoue son vague à l’âme dans les années 1920, les années folles – folles à délier la langue : barrée, jetée, azimutée, extravagante, belle, excentrique, oups, osons, allons-y chocotte, chochotte, allons-y : c’est une bien belle excentrique que nous avons là !
On retrouve la verve et la gouaille de la vieille chanson française, enlevées par la technique cristalline de l’opéra – Pleyel fait cabaret, piquant à souhait. Le récital n’exige pas de nous l’attention que requiert d’ordinaire le chant lyrique : alors que dans l’opéra, ai-je l’impression, la voix est souvent traitée comme un instrument, une ligne musicale parmi d’autres, qu’il faut encore synthétiser, elle s’identifie ici à la mélodie, l’embrasse de telle sorte que le plaisir est plus immédiat. C’est en ce sens peut-être que cette musique est plus facile : pour l’auditeur, non pour la voix. La difficulté, c’est pour elle : avec générosité, Patricia Petibon nous offre la tournée et, déchargé de toute responsabilité d’écoute, on attend d’être ému et de rire.
Jamais je n’ai autant ri à Pleyel. Ce que j’ai pu rire avec le Tango corse ! J’ai ri, mais j’ai ri ! Et puis, j’ai souri doucement aussi, quand elle a interprété Over the rainbow, et davantage encore quand, tranquillement assise sur son tabouret, elle a fredonné Colchique dans les prés, dont j’ai souvent entendu le premier couplet quand j’étais petite. Soupir. Ce qu’elle est belle. Ce qu’elle est folle. Ce qu’elle est douée.
Ce n’est pas Palpatine qui viendrait me contredire.