Attention, cette chroniquette est un spoiler géant.
Des pétards éclatent autour d’eux lorsque Baku croise le regard d’Asako : c’est le coup de foudre. Quelques temps plus tard, le jeune homme disparaît sans prévenir. Lorsqu’il revient, il avertit qu’il disparaîtra probablement à nouveau dans le futur, mais promet de toujours revenir, même si cela prend plus de temps. Au bout de quelques années d’absence, tout de même, Asako s’est remise à vivre sa vie, a déménagé et se retrouve un jour nez-à-nez avec Baku… en réalité Ryôhei, un jeune homme qui lui ressemble à s’y méprendre (et pour cause, il est joué par le même acteur). Lui tombe amoureux ; elle, bat en retraite ; il insiste et cela advient : il se mettent ensemble, vivent ensemble et partagent des moments dans la récurrence desquels se devine et s’installe l’intime, ce lien discret qui s’oublie et se renforce au quotidien.
Un jour, Baku réapparaît… sur les murs de la ville : il est devenu la starlette du moment. Lorsqu’Asako, alertée de sa présence par deux collégiennes fan girl, traverse le parc d’un pas décidé, je suis persuadée qu’elle va le retrouver et lui en coller une. Que nenni : elle le manque et lui fait de grands signes de bras alors que la voiture s’éloigne. Un signe d’adieu pour elle ; de retrouvailles pour lui : il débarque peu après, déclare être revenu comme promis et lui tend la main sous le nez de Ryôhei. En un instant, Asako renvoie la vie qu’elle s’est construite au statut de parenthèse et repars avec Baku.
Je suis déçue ; le scénario me déçoit. J’essaye de trouver une certaine beauté à cette forme de destin, mais le c’était écrit ne me satisfait guère. Encore une fois, l’amour-passion l’emporte sur l’amour-intime – l’intensité de l’amour fantasmé indépendamment de son objet, sur l’infinie tendresse, diffuse, qui sauve de soi. Je ne suis pas la fille sur laquelle on fantasme ; je suis celle avec qui l’on vit. Et je n’y peux rien, je ne comprends pas la fascination pour l’amour-passion ; je la conçois mais je ne peux pas, je ne veux pas la comprendre. À chaque fois qu’un personnage de fiction embrasse cette voix-là (et c’est souvent le propre du personnage de fiction), je ne peux pas m’empêcher d’être agacée ou déçue ; cet Autre fantasmé, je le perçois instinctivement comme une menace – qu’elle soit leurre ou rivale, d’ailleurs.
Mais voilà qu’intervient le retournement du retournement : Asako prend soudain conscience que Baku, à qui Ryôhei jusque-là ressemblait, ne ressemble pas Ryôhei. La référence s’inverse. Asako, renvoyant Baku, escalade seule la digue d’un bord de mer que l’on ne verra pas : l’amour-passion reflue devant l’amour-intime, affolé d’avoir perdu son sujet, ne pouvant se satisfaire de cet objet de substitution, un fantasme de magazine dont elle ne sait au fond plus rien. Asako s’est trompée, et l’erreur n’est pas réparable : elle force son chemin auprès d’un Ryôhei qui ne veut plus la voir. L’erreur est belle, pourtant, d’un point de vue narratif : dans le moment même où elle le brise, elle prouve que l’amour vécu n’a pas été rêvé ; c’était réel parce que cela ne l’est plus. Quelque chose s’est éprouvé là et s’est brisé : la confiance amoureuse supporte encore moins bien la preuve que le doute, qu’elle rend permanent, insoutenable. Assurément, Asako aime Ryôhei mais, n’ayant pas parié sur lui aveuglément (c’est-à-dire avec confiance) comme lui sur elle, Ryôhei se trouve condamné à se savoir un second choix – non plus chronologique mais absolu, en quelque sorte. Tout ça pour avoir initialement confondu coup de foudre et coup de pétard – mouillé.