





Chroniquettes de la souris










J’aurais pu rester un temps infini devant Second Story Sunlight, à baigner dans sa lumière…
Solitude, mystère, nostalgie. Et un bingo Hopper pour l’exposition présentée à Rome, un ! J’aurais mauvais jeu de critiquer une exposition fort bien ficelée, avec un audioguide bien calibré et une scénographie agréable de savoir se faire oublier, mais c’est plus fort que moi : la solitude est une telle tarte à la crème hopperienne que j’ai envie de dessiner des petits bâtons à chaque occurrence de l’audioguide ou des cartels. On prend parfois un peu de distance avec les cadrages cinématographiques, mais la tentation est trop forte de chercher à savoir ce qu’il y a derrière et on revient buter dessus : la solitude, le mystère des silhouettes isolées. Il ne vient manifestement pas à l’idée de grand monde que le mystère ne tient pas ce qu’il y a derrière (derrière les angles morts, derrière les corps barrés de peinture) mais devant (devant nous) : ce qui est, et qui n’est rien d’autre.
Plus ça va, plus je suis persuadée que la peinture de Hopper est contingence pure. On n’y voit même pas quelqu’un : une silhouette ; même pas une silhouette : un bâtiment ; même pas un bâtiment : un pan de mur ; même pas un pan de mur : un pan de mur éclairé.
« an attempt to paint sunlight as white with almost no yellow pigment in the white. »
Pas le soleil, juste la lumière. Juste ce qui rend visible ce qui est, et ce miracle : qu’il y ait quelque chose. Et nous, qui tentons de nous y insérer, de nous y mouvoir (trouver sa place). D’où les cadrages, la mise en scène : on tourne autour et on est déjà dedans.


OK, la photo souvenir a un petit côté Disneyland, mais c’est ludique et intelligemment fait. Cœur surtout sur la personne qui a eu l’idée de disposer trois tables lumineuses à la sortie, sur lesquelles décalquer une œuvre ; j’ai rapporté chez moi une maison mal crayonnée, mais qui m’a beaucoup amusée. Non, vraiment, sans la climatisation, cela aurait été parfait. Cette exposition valait bien un rhume, sans doute.
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Maybe I am not very human – what I wanted to do was to paint sunlight on the side of a house.
Ce qui est. La lumière. C’est énorme et c’est tout con. Toute la beauté du truc. Toute la difficulté aussi, parce qu’on a du mal à s’y arrêter. La contingence appelle la genèse ; on a envie de faire parler ce matériau brut, de l’animer, le prolonger (d’où le fort appel narratif de cette peinture). On a beaucoup de mal à se retenir d’y projeter des pensées et des sentiments qui n’y sont pas – pas sous un prisme psychologisant, en tous cas, pas comme ça, même s’ils infusent toute la peinture, la font manifestation d’une intériorité. De voir cette exposition avec Palpatine, je me suis dit que les tableaux de Hopper sont probablement la meilleure illustration-transcription de ce en quoi son profil INTP* peut être difficile à saisir : aussi lisse et intense qu’un mur ensoleillé. Maybe not very human.
* Profil MBTI, nouvelle marotte de Palpatine. J’y reviendrai.
Peu importe le parfum, une glace a toujours le goût des vacances. À la place d’un repas, compte double. Et en hiver, joyeusement improbable, compte triple. Le hasard a été royal : le dernier jour, alors que nous pressions le pas pour remonter vers la gare, j’ai brusquement crié halte en apercevant l’enseigne Giolitti, conseillée dans le guide. Ni une ni deux, trois parfums chacun. Surtout, ne vous fiez pas aux apparences. Une bonne glace, régal pour le palais, n’est pas nécessairement un régal pour les yeux. Je me souviens du conseil en apercevant la menthe toute blanche et le choisit en dépit de non-matching avec le reste : on dirait un sorbet aux pastilles Vichy ! Je me rends compte trop tard qu’il manque une boule chocolat pour faire la transition menthe-chocolat, chocolat-noisette. Parce que mes amis, la noisette… la noisette… si c’est ça, je demande ma réincarnation en écureuil. Elle s’est fondue à la châtaigne, douce et parfumée (là où celle d’Angelina a davantage la texture de la crème de marrons), dans un bain brun dont je n’ai pas laissé une goutte. Seconde dégustation d’autant plus plaisante qu’impromptue.
La veille, la ricotta au miel du petit-déjeuner un peu loin, l’envie de glace a commencé à se faire pressente. On tournicote un peu, avisons un glacier artisanal, de bons commentaires sur tripadvisor, quand soudain : une boutique DEHA ! Pour ceux qui ne savent pas, c’est une marque de fringues de danse, enfin de sportswear, spin-off de Dimensione danza ; j’ai passé mon adolescence habillée de la tête aux pieds avec leurs pantalons d’échauffement et leur gilet à zip, pierre angulaire de ma garde-robe que j’ai beaucoup pleuré une fois troué à divers endroits (il est toujours dans mon armoire). Pas de coup de cœur dans ce shopping-pèlerinage, mais un signe du destin : les quelques mètres parcourus nous font découvrir en sortant un chocolatier-glacier qui gère la fougère sur tripadvisor.
Surexcitée devant les marmites de glace comme une gamine devant les vitrines de Noël, je ne sais pas où donner des papilles et change d’avis à chaque parfum que nous fait généreusement goûter la patronne. J’écarquille les yeux à la pistache : il y a du sel ! J’amuse manifestement la patronne : peu de gens l’identifient, mais cette pointe de sel est effectivement le secret du chef pour rehausser le goût. Je sautille sur place les mains en applaudissements miniatures tandis que mon cornet se transforme en montagne glacée.
Tandis que j’approuve à grands coups de langue la glace aux pignons de pins, la pistache peut-être un brin trop salée une fois la surprise passée, le sorbet chocolat intense, quelle bonne idée d’être tombée chez un chocolatier, tout de même, c’est tout de suite une autre qualité, l’épice plutôt que le sucre, et la noisette oh mon dieu la noisette, j’aurais dû la demander en premier pour finir par elle, mais c’est tellement bon, ça fait taire la machine à conditionnel passé, c’est reposant, c’est dingue, ça n’en est que meilleur, je suis surexcitée par les saveurs sans penser aux alternatives perdues ni à la fin imminente qui d’ailleurs ne l’est plus, c’est tellement rare, les glaces éternelles… tandis que je savoure, la patronne nous raconte ses aventures gastronomiques en France, d’où elle est originaire (heureusement que je ne l’ai pas complimentée pour son français parfait), notamment le restaurant étoilé qu’elle s’est offert avant une opération, comme ça si jamais, au moins… À la bonne adresse place des Vosges, je me demande combien ça rapporte, chocolatier, n’ayant pas immédiatement prêté attention à sa tenue bourgeoise un brin décalée pour servir des glaces. Nous finissions les nôtres installés à une petite table tandis que la discussion et les dégustations continuent avec d’autres clients. Le nez devant les chocolats, je ne résiste pas à prendre quelques orangettes, pamplemoussettes, gingembrettes (ne vous fiez pas au diminutif mignon, ça arrache la gueule), parachevant ainsi cette visite un peu surréaliste et très joyeuse. Les chocolateries franco-italiennes à nom aztèques are the best.

Les deux adresses :
Pour ses 33 ans, Palpatine voulait une soutane avec 33 boutons, âge du Christ oblige. Comme le look prêtre-pervers a ses limites pour un athée convaincu, la soutane était envisagée avec un twist et devenait : le manteau de Néo dans Matrix, globalement une soutane… ouverte. Mais comme Palpatine est fasciné par le prestige de ce qu’il adore détester*, la soutane-Matrix devait se faire chez… le tailleur du pape. Rien que ça. En réalité une petite boutique à côté du Panthéon, où j’avais été missionnée en octobre dernier pour aller acheter des chaussettes (en trois couleurs : noir prêtre, violet évêque, rouge pape).
Sitôt les affaires déposées à l’hôtel, on cavale et nous voilà au-dessus du comptoir, à peloter des tissus noirs. Palpatine explique, hésite, la matière, la forme, la longueur du manteau, la hauteur du col, les revers des manches, les boutons… Difficile de savoir si le tailleur est amusé par cette demande loufoque ou s’il considère le commanditaire de cette hérésie vestimentaire comme un fou. Un peu des deux, sûrement.
Les palabres se poursuivent au bout de la boutique dans la fitting room, avec un mètre et le bâti d’une autre commande. Épuisée, je me suis laissée tomber sur le seul fauteuil de la boutique, près de porte. J’entends des bribes de voix, un You’re too skinny ! et l’auto-rire de Palpatine à écarts réguliers : une situation que j’ai l’impression d’avoir déjà vécue moult fois. Mais cette fois-ci, un prêtre italien fait sortir des cartons rouges à pompon qu’il déplie et pose sur son crâne. Plus tard ou plus tôt, je ne sais plus, un autre se dit que finalement, il procéderait bien à l’essayage maintenant. Il hésite aussi sur les tissus : c’est qu’il fait froid en Angleterre… Celui que je prends à tort pour le patron (à cause de sa mise impeccable, costume gris, chevalière et lunettes noires carrées à la Tom Ford), très au fait, le rassure sur l’étiquette : si, si, cela se porte aussi avec un manteau au Royaume-Uni, c’est autorisé ; avec les températures en Écosse, vous pensez bien. Tout le monde finit par sortir de la pièce ou partir, les deux prêtres-clients successifs et les couturières au compte-goutte, seules présence féminines (invisibles) en ces lieux où je fais tache. Ne reste plus qu’un vendeur-tailleur derrière son comptoir, qui noue, tire, dénoue et renoue une puis des doubles cordes. Je ne parviens pas à savoir s’il échoue à reproduire un tressage canonique ou s’il trouve là une contenance…
Palpatine et son tailleur finissent par revenir, les voix sont plus fortes, les échantillons sous mon nez, il s’agit de boutons à présent, que Palpatine manipule pour se donner une idée des reflets. Panique dans le regard du tailleur qui, au bout d’une demi-heure commence à anticiper la bestiole : don’t ask me to put all of them in the same way; they’re gonna kill me up there! Plein de miséricorde, Palpatine finit l’inventaire de ses demandes sans que la vie de quiconque soit mise en danger. On enverra juste la doublure par la Poste, le violet-foncé-presque-noir n’étant pas une couleur réglementaire. Essayage dans deux mois au plus tôt après réception du colis : nous voilà pourvu d’un nouveau prétexte pour y retourner !
* Cela vaut aussi pour les grandes écoles et diplômes prestigieux. Tous des idiots intelligents, mais quand même… l’ENA… une agrég…