Concert du 26 mai
Dans ses voyages à remonter le temps culturels, Palpatine visite généralement le XVIIe siècle et les alentours avec son binôme baroque, le XIXe, XXe et XXIe avec moi. Cette répartition, qui s’est mise en place d’elle-même, m’a bien arrangée bien pour ce qui est de la peinture, n’étant pas sensible le moins du monde à la peinture classique (il me faut le storytelling érudit d’un Daniel Arasse pour m’y intéresser), et cela ne m’a pas dérangé pour ce qui est de la musique : même si, du peu que j’en ai entendu, je sens que cela pourrait me plaire, je n’ai pas a priori de prédilection pour ce genre et le répertoire symphonique a laissé à ma curiosité un champ d’exploration assez vaste pour commencer à me faire une culture musicale.
Le pli est pris et puis un jour, l’Orchestre de chambre de Paris décide de programmer un concert dont les compositeurs ne sont pas contemporains mais compatriotes. Et surtout, invite Ian Bostridge pour chanter. Ian Bostridge, sur le programme du TCE de Palpatine, c’est le ténor en face duquel une souris porte un petit cœur. No way que je le loupe à Paris dans du Britten, tant pis pour l’équilibre de mon univers. Le jour J, j’ai un CD de Ian Bostridge dans mon sac au cas où, une place à 30 € pour être sûre de l’entendre et de le voir, une princesse à mes côtés, quatre sablés de la paix de chez Gosselin (c’est comme des calumets de la paix pour non-fumeurs), hâte et le trac, comme si j’allais passer un examen. Sauf que l’examen, comme la guerre de Troie, n’aura pas lieu : personne ne croise ni le fer ni le regard. J’aurais dû m’en douter, l’ironie du sort ne pouvait qu’être britannique. Rien, donc, n’a lieu, sinon la prise de conscience que rien n’aurait jamais lieu, déjà passé. Cette leçon vaut bien un fromage un sablé sans doute.
Bien, me direz-vous, mais que joue-t-on à une soirée de l’entente cordiale ?
Une Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis de Vaughan Williams (de l’importance des italiques). Je ne connaissais ni l’un ni l’autre, mais c’est beau comme une nuit qui se lève – je sais que le jour se lève et que la nuit tombe, mais là, je vous assure que c’était la nuit qui se levait, comme on aurait levé un malentendu : tout est soudain plus respirable, plus ample, et ça enfle de beauté. (Par moments, on dirait presque du Arvo Pärt).
Abdelaze ou la Revanche du Maure, de Purcell. Cela correspond davantage à ce que j’imagine spontanément sous l’étiquette baroque : une ritournelle savante qui délasse comme un massage1 – un vrai massage, hein, qui tapote les muscles quand il faut et vous surprend par sa poigne, pas une caresse pseudo-sensuelle qui irrite à la longue (quand le CD qu’on a mis en fond sonore avec replay automatique tourne depuis deux heures).
La Symphonie n° 103 de Haydn, « Roulement de timbales ». Sir Roger Norrington s’en donne à cœur joie. Le chef qu’on croyait pépère, parce que confortablement installé sur sa chaise pour diriger (première fois que je vois un chef diriger assis), se révèle un cabotin de première, qu’on adopterait volontiers comme grand-père pour des veillées loufoques pas piquées des hannetons. À chaque fin de mouvement ou presque, il se retourne vers le spectateur : tadaaaaa, c’est trois fois rien mais je vous ai bien eu, hein ? À la fois roublard et bienveillant, il s’amuse, on s’amuse et ça fait plaisir. Je n’avais pas fait un concert aussi joyeux depuis longtemps !
Mais où est le Hugh Grant du monde lyrique ?
C’est dans le Nocturne de Britten que chante le ténor qu’on attendait toutes tous (en vrai, il était programmé avant l’entracte, mais il faut bien faire monter le désir ménager un peu le suspens). Nocturne. L’obscurité se confond avec la noirceur – moins dans les thèmes des poèmes, même si on y trouve massacres et linceuls au milieu des abeilles et des rossignols, que dans les sonorités, beaucoup plus abruptes. La voix de Ian Bostridge tranche, éructe, s’étire, parfois à la limite du récitatif : la séduction qu’elle exerce n’a rien de facile ni d’enjôleur. Elle déçoit les fantasmes pour aviver l’admiration (qui, la représentation s’éloignant, pourra à nouveau se parer de petits cœurs). Voilà encore un artiste dont on ne peut pas être fan, en dépit de tous les fantasmes fanatiques que son élégance britannique pourra susciter à côté. (La veste cintrée, la pochette, tout est comme la voix si juste…) Ian Bostridge n’entretient pas la groupie attitude. Seulement voilà, Nocturne incluait le poème Midnight’s bell goes ting, ting, ting de Thomas Middleton et ledit poème incluait ces vers :
The nibbling mouse is not asleep,
But he goes peep, peep, peep, peep
Si Ian n’avait pas parlé de moi, je n’aurais pas sautillé partout à l’entracte en faisant peep, peep, peep et l’absence d’humeur sautillante ne m’aurait pas poussé à demander un autographe – ce que je ne fais jamais2, parce que je trouve toujours cela décevant, ces gribouillis qui ne constituent en aucun cas une trace de ce qu’un chanteur nous a donné à entendre3. Sans compter que la bonne élève qui sommeille en moi, celle qui comptait les carreaux et a failli faire un AVC le jour où le prof d’anglais a défiguré son cahier par un énorme ASV4 en travers de la page, a toujours peur que ça déborde : pas sur la photo ! pas sur le livret !
Après une bafouille gênée contenant great, really great et thank you, la souris jura mais un peu tard qu’on ne l’y prendrait plus. Halte à la dédicace et vivent les tags sur les programmes. Tous en c(h)oeur : Iaaaaan <3
Pour une chroniquette qui s’attaque à de vrais enjeux d’interprétation, allez faire un tour chez Carnet sur sol.
1 J’étais en thalassothérapie la veille – ceci expliquant peut-être cela.
2 Je crois que le dernier était de Gwendal Peizerat, parce qu’il patinait bien, avait des cheveux longs comme mon papa et faisait très gentiment des dédicaces aux gamines de sept ans.
3 Je le conçois plus pour un auteur (même pas en rêve je prête mon Daniel Pennac avec dessin-dédicace).
4 Auxiliaire, sujet, verbe : c’était une séance sur la forme interrogative.