Bibliographiphilie

 

En haut de la première page du dossier enfin corrigé, il y a une note qui me replonge à l’époque de la terminale. Et en bas de la dernière, une question qui m’a fait ricaner et que j’aurais tellement aimé qu’on me pose oralement :

« – Et la bibliographie ?

– Parce que vous croyez que je m’avale une bibliographie pour faire un commentaire composé de trois chapitres du Grand Meaulnes ? » (les italiques sont déjà requises par le titre, mais imaginez une accentuation volontaire pour cet ouvrage préalablement étudié en quatrième)

 

Les universitaires baignent dans le culte de la bibliographie. Il faut la remplir, comme une nomenclature, y mettre tout ce qui se rapporte à son sujet, même de loin, même si on ne le lit pas. Ma directrice de recherche me l’a répété aujourd’hui, on lit beaucoup avant d’écrire soi-même cinquante ou soixante pages. Je constate du même coup qu’on relit bien peu. Il ne semble venir à l’idée de personne que l’œuvre sur laquelle on travaille engage à elle seule à de multiples lectures, qui puissent dégager les renvois internes à l’œuvre avant de nous renvoyer aux rayons d’une bibliothèque utopiquement complète. On préfère rester sous l’avalanche de l’intertextualité et ouvrir de ridicules parapluies critiques plutôt que de s’abriter dans les pages accueillantes de notre auteur – notre, car il faut bien se l’approprier, et pas comme un domaine d’étude que l’on se réserve après avoir vérifié le désert critique sur le sujet. Il faudrait savoir : travaille-t-on sur un texte ou sur ce qu’en ont dit les critiques ? Parce que si les critiques ont eux-mêmes planché sur ce qu’avaient dit les critiques, au jeu de la poule et de l’œuf, on finit par oublier la source d’où tant d’encre s’est mise à couler. Il faut toujours resituer, recontextualiser, remettre en perspective ; pourquoi personne ne s’aperçoit-il que le préfixe nous fait radoter ? Si l’on veut dire quelque chose sur un auteur, encore faudrait-il laisser traîner une oreille pour écouter ce qu’il a à nous dire. Je dois être bizarre ou orgueilleuse à vouloir m’aventurer seule dans un texte, et vais finir par penser comme Sara, à savoir que je ne suis pas faite pour chercher mais pour trouver. Il se produit la même situation vicieuse que pour la lecture en prépa : on bouquinerait bien pour soi, mais comme il faudrait d’abord s’avaler la pile prévue pour les cours, on résout le dilemme en le supprimant. Plus de lecture, plus de recherche, pas de risque de trouver.

13 réflexions sur « Bibliographiphilie »

    1. Sans compter les heures à passer pendant lesquelles on t’explique en long et en large comment écrire une bibliographie! Ca ne devrait être qu’un simple exercice formel, ça devient un monolithe…

      Bref, vi je suis entièrement d’accord. 🙂

    2. Hi hi la mienne n’était pas aux normes non plus ce matin en réunion de recherches, j’avais opté pour le fouillis monolithique sur deux pages, va falloir ranger ça comme une Billy d’ikéa fraichement cloutée, par ordre, par couleurs et par catégorie 🙂

    3. Pas complètement d’accord, mais c’est peut-être parce que ma biblio est d’historiens: moins que des résultats à reprendre, j’y cherche des points de comparaison, des méthodes, des choses à réfuter même. Parce qu’on essaie de travailler sur des sources nouvelles, ou avec des questions très différentes, et j’ai moins l’impression d’être phagocytée par ce qui a déjà été écrit. (Mes sources, en gros, je suis la seule à vraiment les connaître. Ce qui est très effrayant mais aussi terriblement grisant.) Et peut-être aussi que j’ai trop intégré ce bon vieux principe médiéval de la compilation, les nains sur les épaules des géants, tout ça…

    4. Layart >> Les sciences posards bibliographient aussi à tour de bras ?

      Bambou >> La bibliographie : bientôt un genre littéraire à part entière ?

      Melendili >> MDR ! Toi aussi tu comptais sur le non-rangement des Farfouillettes ?

      Mo >> Des comparaisons et des points de méthodes : tout à fait d’accord dès qu’il s’agit d’outils de compréhension. J’ai également trouvé des concepts qui me permettent de nommer des impressions confuses, et de pouvoir saisir et manier les points qui font l’originalité de mon auteur. Là, c’est fécond. Pas comme la lecture remplissage, pour faire enfler sa biblio jusqu’au bœuf. Croa ? Je mets les autres œuvres de Kundera, même celles que je n’étudie pas ? Et aussi les lectures qui constituent son univers littéraire, la pléiade de l’Europe de l’est ? ah, et de la théorie littéraire générale ? Vous m’en mettrez quatre kilos, heu livres, pardon, c’est qu’il faut du liant. Franchement, est-ce qu’on fait une recette en jetant tout ce qui traîne dans le frigo ?

    5. « Franchement, est-ce qu’on fait une recette en jetant tout ce qui traîne dans le frigo »: ça s’appelle un gloubi-boulga, ou l’art d’accommoder les restes, et on est bien d’accord, ce n’est pas notre idéal de chercheur. Mais je reste persuadée qu’une biblio large n’est pas forcément une biblio de remplissage.
      Les nains, c’est ça: http://fr.wikipedia.org/wiki/Des_nains_sur_des_%C3%A9paules_de_g%C3%A9ants, et c’est le signe qu’il faut que je revienne très vite dans le monde réel. Sorry…

    6. Sûr, il serait tout aussi ridicule de se priver de travaux pertinents sous prétexte qu’ils sont trop nombreux – c’est simplement que les bons ouvrages publiés en français sur Kundera, il n’y en a pas des masses, on retombe souvent sur les mêmes. J’avais commencé à lire un très bon mémoire sur mon auteur, où la bibliographie était sommaire (mais intelligente).

      Le lien ne fonctionne pas, mais en retapant l’expression, j’ai trouvé, et je dois dire que ça me plaît beaucoup. Ne reviens pas dans le « monde réel », il n’existe pas, c’est une invention médiocre pour que personne ne s’éloigne de la moyenne.

    7. Le lien est invalide par oublie dun espace avant la virgule (il y a d’ailleurs une norme à ce sujet dans la communication des URLs — y’en a pas une pour les bibliographies ?), qui du coup s’est faite fusionner. La version anglaise, « stand on the shoulders of giants », de Newton, est la citation préférée de Linus Torvalds ; elle résume fort bien la philosophie de l’informatique libre, et figure donc sur mes cours autant que sur mes conf.

    8. Commentaire complètement à côté de la plaque (ou presque), si tu l’as déjà mentionné quelque part, j’ai du le rater. Tu as choisi quelle œuvre de Kundera ?

      Sinon je rejoins ton avis sur la question, ça m’étonne quand même que le culte de la bibliographie soit aussi ancré dans le monde universitaire.
      C’était aussi le cas en prépa ?
      Car à part pour l’histoire, où on a eu une bibliographie monstrueuse l’an dernier (et pourtant je suis certaine que la prof avait lu tous les livres ou presque qu’elle citait vu qu’elle est spécialiste de la période), je ne me souviens pas d’avoir été noyée par une montagne de livres à lire en plus.

      Faut dire qu’en lettres, notre prof insistait fortement sur le fait que l’on devait connaître l’œuvre à fond, bien avant les critiques, pour faire un bon devoir.

      Sinon pour la bibliographie sur Kundera, j’imagine que tu peux trouver des bons critiques en anglais. Je cherchais en anglais pour les dossiers de géo, bien plus d’articles intéressants et stimulants.

    9. Lluciole >> J’ai déjà dû le glisser quelque part à Cavatine, mais c’est le genre de choses qui se radotent avec le sourire : L’Insoutenable légèreté de l’être et L’Immortalité. Et toi, sur quoi ton mémoire ? – à moins que tu ne sois en L3, j’ai un doute, là.

      Même si des biblio circulaient en khâgne, elles ne devenaient jamais l’objet d’obnubilation. La seule que j’ai suivie à la lettre en cochant chaque lecture, c’était celle de littérature pour les vacances AVANT l’entrée en HK, quand on ne sait pas encore à quoi s’attendre.

      Pas mal de références anglaises croisées, effectivement – allemandes, aussi (mais là, je n’ai pas le niveau). Il faudrait que je m’y mette, mais elles sont plus difficiles à trouver et j’ai déjà de quoi faire.

    10. Pas de mémoire encore pour moi (en un sens, ouf !), je pourris en L3 au lieu de « m’épanouir » en khûbe.

      J’ai toujours pas lu L’Insoutenable légèreté de l’être alors qu’il trône/traîne sur mon étagère, surtout qu’un de tes billets m’en avait fortement donné envie.

      Pour les biblio, idem, j’ai seulement suivi celle de littérature (avant l’HK et pendant l’HK (que des romans)).

      Bon courage pour ton mémoire, j’espère que tu nous tiendras au courant de ta progression 🙂

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