Bulles de BD : Au-dedans

Couverture de "Au-dedans" de Will McPhail
Will McPhail (Mc Fail !) si ce n’est pas un nom pour être dessinateur au New Yorker…

D’abord il y a eu cette planche que j’ai prise en photo pour l’envoyer à C. :

Illustration pleine page d'un immeuble en briques avec un bar au rez-de-chaussée. "De nos jour, dans le présent. Il me faut un bon bar où être triste."Nom du bar, en néons : Tous tes potes sont parents - bar -" Sur les vitres : angoisse existentielle & cocktails.
Je ne sais pas si on lit bien. Le nom du bar : « Tous tes potes sont parents » Sur les vitres : « angoisse existentielle & cocktails »

Puis il y a eu cette description de café bobo new-yorkais :

« Gentrificchiato » propose une atmosphère subtilement hostile ainsi que douze sortes de lait diffférents, aucune ne provenant d’un pis. L’endroit est géré / hanté par une cohorte de Timothée Chalamet qui vous conseillent le lait de cactus avant de refuser catégoriquement de dénaturer le café avec.
[…] Les tarifs ? Éprouvants.
Le code du wifi ? ampoule_à_filament

Là, j’ai ri. Pas dans mon fort intérieur avec des douves douteuses, non, à haute et inintelligible voix. Les devantures tournées en dérision deviennent une running joke (très efficace) et le rire se déplace. Par ici, par exemple :

Des voisins sont réunis devant une porte close d'où s'échappe une grande flaque d'eau. " - Il est peut-être mort. - Pas du tout, je l'ai vu mardi. - On peut très bien mourir le mercredi."

Ou là :

Une jeune femme s'empare du carnet à dessin de Nick.Elle : Je suis docteure… en oncologie. Lui : Ah ouais, genre t'es… Elle : Une adulte ? Lui : Ouais ! Elle : T'as pas idée, mon petit. Il récupère son carnet à dessin : elle y a dessiné une bite.
Adulting very hard.

J’ai beaucoup aimé la mise en scène du date comme script immuable qui se joue comme une comédie pour on ne sait qui davantage que pour soi ou son partenaire.

Succession de vignettes muettes avec une scène et des rideaux de théâtre. 1. Les protagonistes saluent en arrivant sur un plateau avec une table et deux chaises. 2. Ils boivent et dansent sur les chaises. 3. Ils paient. 4. Elle rejoue Singing in the rain, suspendue à un lampadaire. 5. Il l'embrace, en portant une voiture en carton "Uber". 6. Ils regardent la télé assis sur le canapé. 7. Ils sont nus. Dépitée, elle le voit faire un drame en serrant un préservatif géant. 8. Sexe comme au cirque : sur le lit, lui fait le poirier les jambes en grand écart et elle se tient en grand écart-équilibre sur lui, bras en l'air façon tadaaaa. 9. Noir. 10. Ils se tiennent debout nus face au public. 11. Ils saluent. 12. Le rideau se ferme tandis qu'ils tiennent la pose.

J’étais bien installée dans ce second degré en noir et blanc quand soudain, wow :

Double page qui n'est plus dessinée mais peinte. Sur la page de gauche, une toute petite silhouette dans un immense paysage montagneux : une roche sombre au premier plan et un sommet enneigé éclairé par une incroyable lumière (de soleil levant, je dirais). Sur la page de droite, les zooms sur le personnage, éclairé par cette même lumière, alternent avec des plans de la montagne.

Ces panoramas surgissent à chaque fois que le protagoniste parvient à établir un contact authentique avec quelqu’un. Quand au détour d’un échange anodin, il ravale une formule toute faite, et par l’expression d’un ressenti personnel invite son interlocuteur à faire de même.

Vignette 1 : visage d'un homme moustachu en noir et blanc, avec les pupilles vertes. Vignette 2 : plongée aquatique dans des eaux bleu-vert, avec de longues algues qui encadrent

Vignette 1 : un visage de femme en noir et blanc, pupille violette.Vignette 2 : un paysage de cabanes et passerelles entre des poteaux électriques, avec un ciel violet parsemé de quelques nuages roses
Chaque fois, ces yeux ronds récurrents.

C’est beau, c’est grisant. On y devient facilement accro, à ces moments d’intimité. Cela rend très juste la maladresse du perso lorsqu’il cherche à déclencher ces moments même lorsque la personne en face de lui n’est pas en mesure de s’ouvrir à cette vulnérabilité. On veut se nourrir de l’autre en oubliant que l’autre n’en a pas forcément les ressources.

"La plupart du temps, tonton Nick pense un peu trop à lui."

La prise de conscience est concomitante avec un événement qui n’a plus rien de drôle. Et alors, après avoir ri, après m’être émerveillée, je me suis retrouvée l’émotion aqueuse stockée au bord des yeux.

Double page de peinture bleu et rouge sombre. En pleine page, l'illustration d'un bâtiment (temple ? théâtre ?) illuminé de rouge, avec le fronton noir dans la nuit bleue. Le bâtiment repose sur l'eau et une silhouette à contrejour, l'eau jusqu'à la taille, s'émerveille devant cette apparition.

Même image, mais le fronton et un bout de mur s'est effondré. Même image, mais l'essentiel du bâtiment s'est effondré. Seules quatre colonnes tiennent encore.

Même image, avec seulement quelques ruines basses sur la lagune, menacées d'y être entièrement englouties.

Nick : Ce n'est pas le manque, le problème. Elle, regard silencieux. Nick : C'est tout ce qui n'était pas encore arrivé que je regrette.

…

Pour la drôlerie ce qui se veut in, tendance ; pour la beauté de cette plongée in, en intériorité : lisez In (Au-dedans).

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