Platée de rires par Rameau

 

 

Certaines œuvres comiques m’incitent parfois à croire le temps de leur représentation que les œuvres dites sérieuses n’ont été inventées que pour offrir le plaisir de les parodier ensuite. Ce sont celles dont la bouffonnerie ne tombe pas dans le grotesque et dont l’humour ne tombe jamais à plat, c’est Platée, en l’occurrence, servi par une mise en scène délirante : Laurent Pelly ne recule devant rien, sauf devant l’excès du mauvais goût. L’opéra joue avec les conventions du genre, mais nul besoin d’être un fin connaisseur pour apprécier l’ironie. Quelques mots du contexte musical permettent certes de souligner l’originalité de cette œuvre qui annonce ou parodie les opéras italiens en mélangeant les genres pourtant bien rangés dans leurs cases par les Français. Cependant, si cette mise en perspective historique présente Platée comme un brillant pastiche, l’opéra, comme toute œuvre digne de ce nom, va bien au-delà de la caricature et peut être apprécié pour lui-même, sans avoir forcément besoin d’être référé à ce qu’il pastiche.


 

Quoi, moi ? – Oui, toi !

 

Le rideau se lève sur… une salle de spectacle, dont les gradins sont peu à peu remplis par des spectateurs retardataires (on notera le souci de vraisemblance), que placent, déplacent et replacent une escouade d’ouvreuses hyperactives et bientôt épuisées de gambader dans leurs petits uniformes d’hôtesses de l’air. Le calme ne se fait pas dans les rangs, loin de là, c’est même la débandade : on descend les escaliers sur les fesses comme des enfants boudeurs ou l’on avance entre les sièges à quatre pattes (l’étroitesse des rangées ne le permettrait pas, dommage, l’idée était bonne), l’ouvreuse-meneuse de revue la lampe torche dans la gueule, comme une rose à la bouche d’un séducteur de pacotille.

 

Au premier rang, affalé sur plusieurs sièges, Thespis cuve son vin. La troupe de spectateurs vient le réveiller en chœur et réclame une histoire pour célébrer Bacchus. L’inventeur de la comédie finit par accéder à la requête des spectateurs, qui ne sont autres que la transposition de vendangeurs – serions-nous rustres ? à en juger par l’imbécile heureux à qui j’ai du arracher son enveloppe pour qu’il cesse d’en faire bruire l’ouverture en papier cristal, l’insinuation n’est pas dénuée de fond ; se trouver dans l’enclos optima avec ses nobles moutons cravatés et emperlousés n’y change rien (premier rang de premier balcon, ces places –Palpatine fait le pluriel- de dernière minute étaient un véritable cadeau de Noël, le guichetier en a convenu). Il faut dire aussi que Thespis, mal embouché d’être éveillé après tant de bouteilles débouchées a prévenu que tout le monde en prendrait pour son grade – Dieux comme mortels. Personnages comme spectateurs, pourrait-on ajouter, s’il est vrai que l’adage de corriger les hommes par le rire prend un certain relief avec le mont Cithéron transformé une salle de théâtre. On a moins une mise en abyme (même si à un moment, une miniature de scène tombe du ciel, enfin des tringles, pour encadrer les spectateurs regroupés en chœur) qu’une inversion des perspectives : ceux que nous observons à leur tour nous observent et nous renvoient ainsi notre regard.

L’impression est assez curieuse, quoique moins forte qu’à la séance de cinéma où quelques personnes arrivées en retard, au lieu de se faire discrètes, ont pris le parti de jouer leur rôle d’emmerdeurs, et ont fait savoir sur le ton de l’aparté mais à toute la salle qu’ils étaient en quête d’une place. Le rire s’est propagé dans les gradins, avec une bonne humeur suffisante pour que la bouffonnerie soit poussée jusqu’à leur faire une haie de déshonneur et qu’elles accèdent aux places centrales vacantes. Si le dérangement, quoique abusif, n’a pas été perçu avec animosité, c’est peut-être aussi qu’il constituait un dérangement des habitudes. Ainsi, le rire des spectateurs installés visait moins à se moquer des retardataires qu’à prévenir toute gêne –celle de se sentir observé alors que les salles obscures sont par excellence le lieu où l’on voit sans être vus (les couples d’amoureux affalés l’un sur l’autre sans aucune retenue sont un bon indice de la prégnance de ce sentiment d’être dissimulé). L’irruption des retardataires qui se sont adressés aux spectateurs au lieu de faire rapidement et tacitement corps avec eux a transformé les gradins du cinéma en amphi qui rit d’être pris sur le fait (rien de répréhensible – les spectateurs pris à parti sont comme des écoliers soudainement interrogés par un professeur qui, ce faisant, les distingue du groupe dans lequel ils se fondaient, invisibles). Cette impression est moins forte sur scène où, contrairement à l’image des acteurs qui ne risquent pas de nous répondre, de véritables personnes évoluent sous nos yeux. Il n’en reste pas moins que le renversement des perspectives produit un drôle d’effet en enfreignant la convention habituelle selon laquelle les comédiens ou chanteurs se laissent regarder en faisant semblant de ne pas sentir les regards posés sur eux. La scène constituée en salle fonctionne donc comme un miroir, et c’est donc bien le spectateur que le spectacle représente – et moque, en l’occurrence. Le spectateur, spectateur de lui-même grâce au spectacle dont il se croit le témoin et non l’objet : *Proust power*.

 

 

Quoi, l’on se rit de nous ? Et l’on fait bien – de ne pas prendre au sérieux le sérieux des hommes *Kundera power* – de rire même de cette tentative trop sérieuse de le montrer. La mise en scène le montre assez bien à elle seule : de la mousse verte envahit peu à peu les sièges et transforme la salle en épave, qui elle-même va partir en morceaux –de choix- tout au long de l’opéra. Le naufrage emporte avec le décor l’ambition d’éduquer les hommes par le rire – ne surnage que le divertissement. Le plaisir de l’histoire : Thalie, déesse de la comédie (Melendili, you were perfect), Momus, dieu de la satire (je ne le connaissais pas celui-là), et Amour, impertinente dans ses sous-vêtements encadrés d’une veste noire, veillent au grain (de folie). Et Thespis s’est assuré l’inspiration à l’aide de quelques ingurgitations : il a fait venir une longue table recouverte de verres de vin, d’où a surgi une grenouille (sic). L’élément perturbateur est annoncé.

 

 

Le croassement de l’histoire

 

Jupiter éternel séducteur, Junon, perpétuelle jalouse, Amour, joueur de fléchette… l’histoire est bien connue et le mythe, bien rôdé. Seulement, l’argument, c’est tout une histoire : les cases sont respectées, mais le livret d’Adrien-Joseph Le Valois d’Orville (le dernier ferme la porte) d’après une pièce de Jacques Autreau les remplit avec la légèreté d’un questionnaire de Cosmo quand il aurait fallu l’attention d’une déclaration d’impôts. La distribution se révèle cocasse : dans le rôle de la belle qui ravit le dieu des dieux, Platée, une « nymphe batracienne », être aussi fleur bleue que verdâtre, affublé d’un tutu de pétales roses.


Paul Agnew « mi-clochard, mi-reine d’Angleterre »
(on n’aurait su dire mieux, le petit sac vert est too much)

 

Forcément, dans ces conditions, l’histoire bégaie, le tragique tourne au comique – et la salle s’esclaffe de la plaisanterie montée par Cithéron et Jupiter, avec Platée pour objet et Junon pour destinataire, qui consiste à faire croire à celle-ci que Jupiter s’est épris de celle-là. La méprise n’aura d’égale que le mépris du dieu pour sa nouvelle conquête.

Platée ne court pas dans la combine, elle y saute à pieds joints, de son saut de batracien. C’est ce qui la rend ridicule, bien plus que appâts véreux – à chaque fois qu’il en était question, je ne pouvais pas m’empêcher de visualiser un vers visqueux se tortillant au bout d’un hameçon. Devient risible toute tentation de prendre quoi ou qui que ce soit au sérieux : Platée persuadée de sa beauté, l’amour et ses foudres, un des thèmes de prédilection de l’opéra et ses grands airs. Tout part en déliquescence, tout prête à rire. La destruction progressive du décor l’a pourtant planté : on nous laisse nous enliser à notre aise dans l’histoire, dans les marais de Platée.

Dans cette noble et putride demeure, il pleut, il mouille, c’est la fête à la grenouille. Tous ses amis sont réunis pour l’occasion, une piscine leur est même aménagée par le retrait de quelques rangées de fauteuils et dans l’euphorie, les assonances en « oi » pullulent. Le jeu du cri des animaux continue avec les métamorphoses de Jupiter tandis qu’il se manifeste pour la première fois à Platée. La chouette l’est déjà pas mal (chouette), mais l’âne est impayable ; je ris tellement que je ne dois plus être très loin des grands hochements de tête de Jupiter dont la nature asine est déjà inscrite dans la partition. Croassements, ululements et braiements doivent avoir une sonorité particulièrement marquante ; ce sont précisément leurs onomatopées qui ont servi d’indices pour reconstituer la prononciation du latin (ne pas sous-estimer le potentiel comique d’un poly). De curieuses choses me passent par la tête en spectacle, je vous l’accorde, mais cela aurait pu être pire, j’aurais pu me revoir dans le Songe d’une nuit d’été en train de me pâmer devant l’âne.

L’apparition de Jupiter est ainsi céleste. Il est vraiment dans les airs, puisque descendu dans le lustre de la salle initiale. A bord de cette nacelle de récupération, il a l’air d’une caricature de pin-up dans une coupe de champagne. D’autant qu’il le vaut bien : le monsieur Loyal de tout ce cirque, en costume violet à paillettes (Mercure n’est pas mal non plus, très cloclo, tout argenté) a le sourire Colgate et la coiffure de Ken (hilarant jeu de scène lorsqu’il s’efforce de cajoler Platée : il caresse ses cheveux comme il le ferait d’un chien, puis après que celle-ci ait répliqué, il s’empresse de rectifier sa coiffure et de la débarrasser de la saleté éventuelle que la sale bête aurait pu lui laisser. Il se passe toujours quelque chose sur scène, toujours un détail croustillant à dénicher). Avec le lustre- nacelle de montgolfière, on a un nouveau clin d’œil aux artifices du théâtre, qui tout en s’en moquant, renoue avec la tradition des grands effets de machinerie. Jupiter est décidé à nous en mettre plein la vue, et bougie pétillante sur le gâteau, il fait même jaillir le feu de ses mains avant qu’une pluie d’étincelles s’abatte sur scène (c’est l’instant de la photo que l’on retrouve comme affiche et programme) – que voulez-vous, les feux de l’amour sont démonstratifs.

 

 

 

Aimer à la Folie

 

L’objet d’amour tient de l’affreux bibelot et Platée est tout juste un sujet : elle aime sur autorité du livret, avant même d’avoir aperçu Jupiter. Ce dernier est là pour nous rassurer, l’amour n’est pas aveugle, et souligner l’absurdité d’aimer à la folie. Toute marguerite vous confirmera la proximité de « pas du tout » avec la Folie. Si cette dernière surgit au mariage du couple improbable, ce n’est pas pour chanter les délices de l’amour, mais les délires d’une blague farfelue, après avoir piqué sa lyre à Apollon. Un peu de brutalité dans ce monde de douceur. Incarnation de la diva, Mireille Delunsch est magnifiquement excessive avec sa perruque blanche et sa robe en feuillets de partition. Elle mène tout le monde à la baguette, y compris le chef d’orchestre. Tandis que ce dernier, s’essayant à la comédie, s’arrache les cheveux pour la faire chanter en mesure avec l’orchestre, elle, arrache une des feuilles de son costume et consulte ainsi son antisèche.

 

 

Campée sur une petite avancée qui donne sur la fosse, vague souvenir d’un podium de défilé, ses grands airs et ses petites mimiques sont délicieuses. Plusieurs fois, elle revient sur son promontoire, prête à plonger dans la musique, mais c’est la grenouille du banquet initial qui plongera au sens propre. Apparue au balcon de la première baignoire côté jardin, elle lance une corde, descend dans l’orchestre et sans interrompre le bon cours de la musique, sème la zizanie, ébouriffe les cheveux d’un violoniste, change la partition d’un autre, zig-zag, fait de l’ombre au chef d’orchestre et finit par le saluer son travail en lui rendant sa baguette.

Voilà, j’ai trouvé ce que je voudrais faire quand je serai petite : grenouille dans Platée. La sœur du Vates voulait bien devenir flocon de neige dans la parade de Disneyland – nous avons de l’ambition. Je suis prédestinée, mon père m’appelait « la grenouille » quand j’étais bébé et que je dormais les pattes en losange. Puis cette grenouille qui efface les frontières bien définies de la représentation (qui paraissent toujours plus aisées à transgresser quand on est de l’autre côté de la rampe, d’ailleurs, où les coulisses ne constituent pas l’envers du décor mais une zone trouble où s’amorcent les métamorphoses), transforme d’un coup de baguette magique le chef en apprenti comédien, et fait de la fosse aux lions tout un cirque m’est très sympathique.

 

 

Un ballet-bouffon

 

Les rires ont besoin de danse pour devenir véritable fête : les ouvreuses hyperactives ont fait leur barre pendant le prologue, tandis que c’était le bar que leurs collègues masculins tenaient plus ou moins – dans l’esprit des serveurs de Roland Petit dans la Chauve-Souris. La bonne blague, la danse des canards grenouilles a fait régresser Mimy au stade de Mimicracra, l’eau elle aime ça, tant pis si ça mouille, elle fait des patouilles. Avec les trombes d’eau de la tempête souffle un vent à décoiffer les feuilles mortes (mais les perruques à l’horizontale tiennent bon), qui piétinent sur un rythme jubilatoire avant de se laisser emporter dans leurs robes déjà asymétriques sous l’effet de rafales anticipées par un costumier inspiré – elles reviendront ensuite équipées de tutus-parapluie. Les intermèdes de ballet suivants ont été un régal, pas la cerise sur le gâteau, non, le gâteau de mariage lui-même, crémeux à souhait. La ronde de danseurs qui accompagne la Folie, tous fardés de blanc, se lance dans une relecture du baroque où pointe l’hilarante bouffonnerie des ballets du Trocadéro : on s’endort dans les symétries, on s’entrechoque dans les lignes d’arrivée, et on attend sagement à sa place les bras bas et le dos rond. Suggérer la possibilité de l’ennui dans les divertissements brillants et systématiques du mariage est une façon pleine d’humour de souligner le caractère conventionnel de ce passage quasi-obligé dans une histoire, prétexte parfait à caser un patchwork de numéros décousus. Et si ce n’est pas un mariage, ce sera quelque autre grande fête, pratique et commode comme un beignet qu’on peut fourrer à tout et n’importe quoi (cf. Casse-Noisette, et son melting-pot de danse arabe, chinoise, espagnole… il y en a pour tous les goûts). La noce traîne en longueur pour Platée, impatiente sous son voile, et tend un peu trop dangereusement vers la prononciation des vœux pour Jupiter. Mais tout n’est que paix et amour. A moins que ce ne soit stratégie de séduction et désir de victoire écrasante : quoique vêtus de vert comme des herbes follement sauvages, le batifolage champêtre des danseurs est de courte durée. Bientôt, on s’excite les uns contre les autres, et l’un des messieurs se prend une volée de coups de sac à mains avant que le cortège ne défile en bon ordre pour les tendre (les mains) à Jupiter, félicitations. Cette partie me ferait davantage penser à l’enjouement d’un Mathew Bourne dans les scènes de société de son Swan Lake. Le metteur en scène et la chorégraphe, Laura Scozzi s’en donnent à cœur joie dans le dernier acte, leurs trouvailles trahissent une imagination délirante totalement débridée : les trois grâces sont des hommes maigrelets qui s’emmêlent le bras dans leur pas de trois et Cupidon, ayant été porté aux abonnés absents a dépêché un remplaçant qui n’a même pas eu le temps de finir de s’habiller et débarque en marcel, slip blancs et chaussettes noires – glamour attitude. Une platée de nouilles.

 

Tandis qu’on s’amuse, Platée s’impatiente, réclame l’amour et l’hymen ou « au moins l’un des deux » et Jupiter s’inquiète d’avoir à offrir quoi que ce soit. Heureusement, Junon surgit à temps. Violette de rage, prête à pousser sa rivale du canon de son fusil, elle ne fait que pousser un cri d’épouvante et de soulagement en découvrant le visage de cette dernière. La voilà bien attrapée : jamais plus elle ne pourra devenir verte de jalousie, sous peine d’être assimilée à la nymphe ridiculisée. Mais elle ne l’est déjà plus, non par l’effet de sa mansuétude divine, mais simplement parce qu’elle est rassurée – sa jalousie pourrait bien n’être que le résultat éclatant d’un complexe d’infériorité. Tout est bien qui finit bien. Platée ? Humiliée, rouée de coups de pieds… l’argument n’est pas une mince affaire, Platée a une certaine stature, il faut bien la fouler aux pieds pour conclure sur un pied de nez aux livrets trop bien léchés. C’est bête et méchant ? N’ayez crainte, comme Blanqui, la grenouille est increvable et s’accommodera très bien des yeux mouillés de Platée – celle-ci passe à la trappe, une dernière gerbe d’eau avant le noir final – retour à son élément.

 

Le sérieux de l’opéra dans tout cela ? Soyons sérieux une minute, il faut rire.

 

 

BerioOoo0O0o°oooo’secours !

Je ne connaissais pas la musique de Berio, ni même son nom, mais cela ne m’aurait pas manqué. La Sequenza I pour flûte m’avait pourtant plu : le flûtiste seul en scène, debout, un chat avec une queue de pie, donnait ses notes comme des coups de serpe, pour écarter les lianes d’une jungle visiblement vide, mais sait-on jamais, les fausses alertes déboulent et rebondissent, une présence peut toujours se cacher derrière une note et se débusquer au détour d’une absence d’harmonie.

 

Le temps se gâte avec la Sequenza VII : le hautboïste, qui arrive la chemise dépenaillée, a du perdre quelques notes en même temps que sa veste. Elles sont en nombre restreint, et l’instrument nasillard s’en plaint. Bon (parce que) bref.

 

Les ténèbres tombent avec la Sequenza XII pour basson (les chiffres romains… je préfère ne pas imaginer qu’on ait pu commettre d’autres morceaux dans le genre). Lumière tamisée sur des lunettes qui le font ressembler à un aveugle, le musicien est encore plus statique que ces prédécesseurs –mais en plein accord avec sa musique, i.e. des sons démesurément allongés et parfois modulés. L’éternité s’installe, et comme qui dirait, c’est long, surtout vers la fin. Qui s’annonce plusieurs fois mais se transforme en pause – fatalement suivie d’une reprise des hostilités. L’assimilation des rangées de projecteurs à des chauves-souris suspendues au plafond me surprend le nez en l’air, et mon esprit divague, pêche des comparaisons plus idiotes les une que les autres : vol d’une mouche unijambiste de l’aile, vol d’un bourdon (malheureusement, j’ééééééétais là) ou de toute autre bestiole que je fais voler de la main près de Palpatine après avoir constaté qu’il suppliait sa montre de se hâter. Cette sale bête m’a accusée d’avoir attiré le vol du basson à cause de mon T-shirt rayé. Voilà une nouvelle comparaison : l’abeille. Le registre animal ayant été passé en revue sans que nul applaudissement insecticide n’ait fait le ménage sur scène, un autre registre image s’est imposée à moi : les réacteurs d’un avion au décollage ou la corne de brume d’un navire en partance.

 

J’avais visé juste, parce que l’Altra Voce pour flûte alto, mezzo-soprano et live électronique nous a menés chez les bédouins du désert. A la console pas du tout ludique, des techniciens étiraient le son jusqu’à la plainte, et faisaient résonner le désert païen dans une nef d’Eglise. Durant cette conférence (le flûtiste et la chanteuse se trouvaient assis derrière une table, casque sur les oreilles), je me suis demandé si les ombres projetées sur le mur par les fauteuils du premier balcon ressemblaient davantage à des peintures rupestres ou aux strates de la pierre érodée par le vent du désert. La voix et la flûte se mélangeaient pourtant harmonieusement (contrairement au trio infernal précédent), mais le basson m’avait usé mon capital attention pour un bon moment.

 

Entracte. On a pu croire mourir, mais heureusement, la ligne mélodramatiquedico-cardiaque du compositeur s’est arrêtée avant, le basson maintenu sans modulation en coma artificiel est coupé. Palpatine souffle : avec Schönberg, ce sera le retour à la civilisation. Et Beethoven, donc.

 

 

Ligeti puis Strauss

Samedi dernier.

(A venir : la ville morte – ce n’est plus du retard mais du souvenir, à ce niveau-, le concours de l’Opéra, Joyaux, Amoveo/Répliques/Genus)

 

Space. Zinzin. Je suppose que c’est un peu comme Tristam Shandy en littérature : un pur délire qui nécessite une certaine pratique pour être vraiment jouissif. Il faut avoir lu abondamment et de travers pour s’amuser du détournement des conventions narratives, et je suis presque certaine qu’une oreille exercée trouverait semblable amusement au concerto pour violon de Ligeti. Il y a de drôles d’instruments dans lesquels on souffle comme dans un coquillage, et de curieuses façons d’user des autres ; les violonistes forment ainsi un temps un groupe mexicain, leurs violons devenus de ridicules mini guitares. Tout ce petit monde joue rarement ensemble – mais de façon savamment désynchronisée, de sorte qu’on croit à chaque instant au début d’une mélodie. Mais sitôt l’oreille s’est-elle posée qu’on lui coupe l’herbe sous le pied (métrique) et l’on est tout tendu de ne rien pouvoir attendre ; un autre rythme, un autre instrument aura pris le relais (et nous de court). Ils se courent les uns après les autres, jusqu’à se concurrencer en un déluge au Pays des merveilles – course-poursuite dans le tunnel, les notes se posent des lapins. La baguette du chef d’orchestre avance comme son dos rond, furtivement, et d’un coup Alice se retrouve dans un manoir hanté. Partie solo allumée, il se tient religieusement coi. Quoique… quoi ? Couac ! Le violon n’est fait qu’à sa fantaisie et déclare son indépendance au milieu de l’harmonie. Caprice. Cela part en vrille (non, pas les oreilles), comme le tressautement nerveux de celui qui n’arrive pas à dormir. Sursaut irrité. La Belle au bois dormant se fait la malle ; soyez bons princes, c’est bientôt expédié.

 

 

Ligeti… li-ge-ti… le-gi… le-gi-te… le-gi-to… le-gi-to-te… le-ga-to…les gâteaux… je pense encore à manger. Mais point au salon des snobs, Palpat’ vous ne me traînerez. Une pomme pour la soirée n’est point assez. Eviter la discorde – cela me rend acariâtre. Ou complètement léthargique. Rien de tel que le grand air pour se remettre : Strauss nous emmène faire un tour à la montagne.

 

 

Après Ligeti, eine Alpensinfonie, c’est une promenade de santé. On court dans les hautes herbes, une nymphe s’abreuve au ruisseau chantonnant, et la vache, c’est reposant. Jusqu’à l’orage qui balaye les poussières champêtres et secoue la rosée romantique. C’est grandiose et puis ça se calme, après la pluie. Le beau temps, rayonnant, se réinstalle paisiblement dans le silence.

 

J’ai beaucoup observé le berger en queue de pie (quelle époque, le roman précieux est sans dessus dessous – on ne se déguise même plus). Obséquieux, il s’efface pour laisser passer les violons (à votre service) avant que la main tendue ne se soulève (rébellion) depuis le coude et plonge, condamnant implacablement le gladiateur à mort (un des instruments au silence, suivez un peu, s’il vous plaît – la métaphore est le chef). Puis furtif, il écoute à la porte de quelque grandiose apothéose, mais c’est pour plus tard et, sait-on jaais, il guette et fait le gué entre deux rivages musicaux. Les vaches ne lui font pas d’effet bœuf, il s’adoucit et le miel de la musique le fait sourire. Mais c’est l’œil de la tempête et, à nouveau, il doit lutter – le corps penché en avant, l’alpiniste lutte contre les vents, reste attaché aux cordes. Jusqu’à suspendre le son d’un main en bec de canard. Et le public fait l’otarie : applaudissements.

 

Salaud mais… la lune sur un plateau d’argent

Strauss met Salomé à l’allemand, quand bien même le livret est tiré de la pièce écrite en français par Oscar Wilde, écrivain et dramaturge anglais (enfin irlandais, mais ne compliquez pas). Le prophète maudit la fille d’Hérodias et nous le prompteur d’être aussi haut – mais aussi, Palpatine et moi sommes au septième rang ; il ne faudrait pas se plaindre d’un léger torticolis quand sur scène, on perd la tête.

 

 

La scène est assortie aux surtitres, tout baigne dans l’orange et l’or, la luxure le luxe de l’Orient, et l’on pourra toujours faire appel aux lumières du scénographe (le programme précise cependant Jean Kalman pour les lumières et Lev Dodin pour lamise en scène) pour lever quelques obscurités : côté cour, lumières mondaines des fenêtres éclairées du palais d’Hérodias, d’où sortent soldats, servants et surtout Salomé ; côté jardin, éclat divin de l’Eden à travers la voix du prophète Iokannan emprisonnéSi elle attire Salomé, ce n’est pas en vertu de la voie du Seigneur qu’elle prépare, mais de ce qu’elle sort d’une bouche que la princesse de Judée ne cessera de vouloir baiser – au grand dam de Narraboth, qui finit (enfin commence, dans notre perspective) par se tuer.

 

Lorsqu’il marche dans le sang de son cadavre, Hérode y voit un présage funeste (sans blague ?) et passé une horreur de convention, demande qu’on le débarrasse du corps. Cette réplique m’a rappelé Palpatine râlant contre je ne sais plus quel metteur en scène qui avait fait un contre-sens total en proposant une lecture du livret sans prendre en compte la partition. Que la musique puisse rendre le texte ironique (ou le nuancer) trouvait ici un exemple : autant le propos d’Hérode pouvait être grave, autant la musique traduit la légèreté avec laquelle le roi prend cette mort qu’il n’avait « pas ordonnée », préparant son objection aux miracles annoncés par le prophètes : il défend que les morts soient ressuscités. C’est que cela pourrait être très gênant, tout ça…

 

Narraboth est vite évacué, il ne reste de lui que sa mort, présage à d’autres, bien plus dramatiques. Les présages sont d’ailleurs légions : le vent souffle comme les ailes de la mort, qu’Hérode seul autant, sa femme étant douée de surdité sélective, et surtout la lune (qui s’avance sur ses petits fils de côté cour à jardin comme une garantie de l’unité de temps) évoque tour à tour une femme morte, ivre, qui cherche des amants. Salomée est avancée – moins que nous, cependant. Obnubilée par Iokanaan, elle en dresse un blason en trois parties (un grand classique) et trois couleurs (c’est d’actualité) : corps blanc (enfin ivoire, c’est plus précieux), cheveux noirs et bouche rouge. Tandis que la métonymie de son obsession se resserre, le prophète essaye de lui dérober son corps en l’entourant de ses bras, puis en rabattant son capuchon, pour l’instant paradoxalement protégé par les barreaux de sa prison (sortie du côté jardin comme un placard Ikéa coulissant de sa colonne).

 

 

 

Le prophète forme un double antagoniste à Salomé : la simplicité de sa robe de bure accuse la richesse de celle de la princesse et les attitudes élevées de celui-ci contrastent avec les désirs charnels de celle-ci, exprimés par une gestuelle très terre à terre (oh, oui, roulons-nous sur sol). Cela se retrouve synthétisé en une image : le prophète de profil, bras à l’horizontale devant lui, paumes tournées vers le ciel et en face de lui, derrière les barreaux (quoique Salomé ne soit guère prisonnière que de son désir), Salomé les mains tendues vers Iokanaan, doigts écartés et corps tendu sous la volonté de le toucher.

 

La lubricité est affaire de famille, et Salomé attire les désirs de son beau-père (et oncle, si j’ai bien suivi) Hérode qui lui demande de danser pour lui, ce à quoi elle se résout après lui avoir fait jurer qu’il lui donnerait tout ce qu’elle pourrait demander. Nous avons là la démonstration qu’on ne s’improvise pas danseuse, et le physique plantureux de la chanteuse n’est pas seul en cause (elle bougeait fort bien jusque là). Il y avait pourtant quelques bonnes idées, comme les mains contre le mur, qui reprenaient son désir se heurtant aux barreaux de la prison, ou les bras en peu à l’égyptienne, main sous la poitrine, dirigée vers la porte de la cellule, tout à la fois offrande et attaque. Mais j’ai du mal à me dire que cela forme une danse, comme le suggère pourtant l’attribution de le « chorégraphie » à « Yury Vasilkov » – on oubliera notamment le passage où Salomé attrape son pied avec sa main.

 

Notre strip-teaseuse biblique se dévoile face à Hérode jusqu’à ce que sa femme la couvre de sa cape/toge jaune assortie à celle de son mari. Par ce geste, la mère couvre l’impudeur de sa fille (qu’elle a pourtant partagée, comme l’ont rappelé les insultes du prophète), et la reine est défaite : celle-ci est dessaisit de son pouvoir par celle-là et accomplit symboliquement l’inceste. C’est bien en effet la moitié de son royaume qu’Hérode se propose d’offrir à Salomé puis, lorsque celle-ci réclame la tête de Iokanaan, tous les bijoux qui reviennent à la reine courroucée (mais elle se contient, toute réjouie de la demande de sa fille. Telle fille, telle mère). Pas d’échappatoire possible, Salomé est lubrique mais pas vénale, et la répétition implacable de « Ich will den Kopf des Jokanaan » ne saurait être assimilé à un caprice d’enfant gâté.


Hérode, accablé, finit par céder. Il semble préférer être meurtrier que parjure ; et plutôt deux fois qu’une, puisqu’il finit par faire tuer Salomé (il a gaspillé un meurtre ; ces rois sont vraiment trop habitués à la profusion – vous me direz, ça évite les remords ou la condamnation de leur absence, et tuer tout le monde a toujours été un moyen très commode d’achever une histoire, le combat cessant faute de combattants). On lui laisse tout de même un long moment pour s’entretenir avec la tête qu’elle a exigée, et sur un plateau d’argent, s’il vous plaît (enfin non, on ne prie pas quand on exige).

 

On ne peu
t pas vraiment parler de vengeance pour cette femme qui sait ce qu’elle veut, quand bien même cela transforme l’objet de son amour en véritable chose
. A partir du moment où on lui a passé la cape jaune, Camilla Nylund est devenue terriblement belle, rendant sa Salomé proprement formidable. Yeux brillants, sourire ravissant toute trace d’amertume ou d’horreur (et c’est là que celle-ci éclate dans toute sa force) de son visage, elle se tient les mains sous le menton, et pervertit l’attitude enfantine en offrant l’image d’une tête coupée (reproduite sur scène grâce à la curiosité des personnages qui n’émergent de leur cachette que jusqu’au cou).

 

Elle regrette moins que Iokanaan n’ouvre pas les yeux qu’il ne les ait pas ouvert, pour la regarder. Il a refusé de la laisser baiser ses lèvres et maintenant… Alors qu’elle lui vole sa volonté et s’approprie les lèvres du prophète en mordant dedans comme dans un fruit mûr (ce à quoi l’invitait Hérode avant la danse, vieux mais tout aussi libidineux. Le péché n’a même pas besoin d’avoir la dent dure ; tant que vous avez des dents, croquez des pommes, pour détourner un slogan d’une campagne de santé – le péché d’hier est devenu l’hygiène d’aujourd’hui.), mon voisin de gauche, qui doit certainement avoir quelque manque d’attention à se reprocher, se dépêche d’embrasser sa copine : mieux vaut prévenir que mourir. Ce serait pourtant le sort (métaphorique ?) qu’on souhaiterait à certaines personnes du rang suivant, d’où se sont élevés des bruits de déglutition bien supérieurs en nombre comme en décibels à mon seuil de tolérance. Palpatine a été d’accord pour dire que le spectacle aurait été parfait si l’on avait changé la distribution… du public. Les vieux riches du parterre ont parfois tendance à se croire tout permis.

 

 

Soirée Edvard Grieg au théâtre des Champs-Elysées

Jeudi, c’était une autre première pour la souris : concert de musique classique. Un billet de dernière minute – à noter que le TCE a la dernière minute plus souple que l’opéra : les guichets ouvrent une heure et non quinze minutes avant le début du spectacle (à 20h et non 19h30 en plus, ce qui laisse le temps de remonter jusqu’au Pomme de pain s’avaler un sandwich, condition sine qua non pour profiter pleinement de sa soirée). Huit euros plus tard, je me retrouve donc dans un fauteuil d’orchestre.
Ce n’est pas à une journée près que je connais rien de plus à la musique, mais c’est très amusant d’observer une brève rencontre entre l’enthousiasme de Palpatine et celui d’une dame inconnue. Alors qu’il s’empare de son programme et qu’il se demande à haute voix qui dirige (oui, se demande, parce que si la question m’était adressée, elle aurait été purement rhétorique), une dame à côté lui souffle « Kurt Masur », comme elle aurait lu sur le menu un plat particulièrement alléchant. Puis en stichomythie viennent la pianiste et les chanteurs solistes ; petit canon d’enthousiasme. Je ne connais évidemment aucun de ces noms, mais quelque chose me dit que ça promet d’être chouette, parce qu’ils font exactement la même tête que lorsqu’on m’annonce Aurélie Dupont et Nicolas Leriche en distribution.

En première partie de soirée, Elisabeth Leonskaja et l’orchestre nous ont joué le concerto pour piano et orchestre en la mineur (j’ai le programme sous les yeux, vous vous en doutez bien – mais avec un peu de chance, je vais retenir – il faut se rappeler qu’à une époque (pas si) lointaine (une décennie, quoi), je ne connaissais pas le nom des étoiles de l’opéra). Passé un petit accrochage visuel en observant la pianiste bientôt cramoisie marteler son instrument jusqu’à en faire ostensiblement trembler le couvercle, la vision cesse de m’être encombrante. Elle ne me détourne plus de la musique mais m’aide à l’entendre : pour une quiche très Van Goghienne dans mon genre, voir qui a l’archer à la main et quand soufflent les cuivres aide à les discerner quand ils jouent en même temps. Par exemple, un certain son rapide et récurrent s’associe très clairement aux brefs coups d’archer des contrebasses.
Cette espèce de collage visuel et auditif trahit évidemment d’où je pars. Ressurgit alors le charmant souvenir de l’année test de formation musicale pour les danseurs au CNR : je suis absolument infoutue de discerner clairement les instruments lors de l’écoute d’un morceau. Question d’entraînement, vous me direz – peut-être que d’aller au concert et de voir l’orchestre me permettrait de développer une mémoire auditive via la mémoire visuelle (aucun doute que c’est celle qui marche le mieux chez moi, je n’ai pas eu besoin d’attendre les inutiles et ennuyeux cours de méthodologie en 6ème pour le savoir, moi que ça dérangeait, lorsqu’on me faisait réciter mes leçons, que l’on ne tourne pas la page au bon moment, puisque j’avais à l’esprit l’exacte disposition des lignes écrites dans la page : cela me prouvait qu’on ne m’écoutait pas vraiment et que l’on avait donc pu laisser glisser des inexactitudes – imaginez un peu le drame. Non, vraiment, psycho-khâgneuse était presque zen à côté).
J’étais donc tout à fait ravie que l’orchestre ait été sorti de sa fosse – enfin par rapport à l’opéra, parce qu’au TCE, on utilise bien peu la fosse (que je n’avais donc pas même remarquée) : hors concert, on ne fait rugir les lions que bande enregistrée, ce qui nous a valu un enregistrement pourri pour certaines parties du gala des étoiles. Genre son repiqué sur un cassette audio de répétition. Et qu’on n’aille pas me dire qu’on ne trouvait pas d’autres enregistrements de Paquita. Bref ; je digresse beaucoup aujourd’hui (ou seulement plus que d’habitude). Pour revenir à nos moutons tous de noir vêtus (mais pas brebis galeuses, hein, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit), je dirai bien platement que le concerto m’a bien plu. On peut apparemment le réécouter sur radio France, même si vous ne verrez pas l’éclat des instruments sur le fond noir des tenues de concert, ni la main de la pianiste, qui se suspend en l’air après que la dernière note ait résonné, et qui reste là quelques instants avant que les applaudissements ne viennent la déstatufier.

Suivait en seconde partie de soirée Peer Gynt, dont je connaissais sans le savoir certaines parties – par conséquent, vous aussi : si vous ne me croyez pas, allez vérifier (écoutez le matin et ce qui se passe dans la halle du roi des montagnes). L’histoire de Peer Gynt est totalement loufoque, traversée de femmes après qui court le personnage éponyme à travers le monde ou encore de trolls qui courent après lui, de leur pas si léger mais tellement enthousiasmant. En bref, ça courrait en tous sens, et cependant virevoltaient les archers. Après, ne me demandez pas pourquoi le récitant, Eric Génovèse, avec son visage tout lisse et pourtant exceptionnellement expressif, me faisait penser à une grenouille de dessin animé. Peut-être était-ce à cause de ses mimiques impayables, lorsqu’il mimait la frayeur de son personnage, ou qu’il attendait son tour de parole, assis derrière son pupitre, battant la mesure du pied droit, le visage réjoui levé vers le plafond, comme si la musique était un lâcher d’oiseaux qu’il regardait s’envoler. Ce n’est pas pour rien qu’il sort de la Comédie-Française. Sa diction répondait avec vivacité à la musique et s’y accordait parfaitement dans les moments où texte et musique se chevauchaient.
La part qu’occupent récitation, musique et voix (en même temps, sauf un passage du chœur a capella) varie sans cesse, et le « mélange de verve, de truculence et d’ironie », pour citer le programme and cut it short, était des plus réussis. On se laisse complètement emporter par cette histoire abracadabrante, dont on perd d’ailleurs vite le fil, soulevés par la musique qui s’enfle –j’adore quand la mer des archers devient houleuse. Y’a pas à dire, je me suis éclatée les mains en applaudissant. Saluts à n’en plus finir, et on repart jusqu’au rer comme de sales petits trolls.