Un peu plus et j’oubliais la soirée au Coliseum où l’English National Ballet donnait Cendrillon dans une version de Michael Corder. Grâce à l’amabilité et la compétence du personnel administratif, j’avais pu réserver deux places pour un « pre-performance talk », où l’on nous a présenté le ballet, entendu à la fois comme la troupe, qui maintient un équilibre financier fragile en tournant dans le pays, et comme la relecture du conte par le chorégraphe : on insiste beaucoup sur le symbole de la lune (que l’on peinera à apercevoir depuis le confortable poulailler), repris notamment par les bras en cinquième ouverte, comme une coupe (cela ne m’a pas frappée outre mesure), ainsi que sur le choix de ne pas faire danser les deux sœurs par des danseurs travestis.
Cela n’ôte rien au comique du premier acte, s’il est vrai qu’Adela Ramirez et Sarah MacIlroy rivalisent d’enthousiasme et d’énergie pour martyriser la pauvre Daria Klimentova. Elles sont drôles à force d’être vaniteuses, égoïste, puériles, bêtes et méchantes ; sautent sur leurs pointes avec force conviction (ouille), et plantent leur orgueil en quatrième position bien arrêtée, avant de repartir en désordre pour de nouvelles chamailleries.
Si elle n’est peut-être pas aussi hilarante que dans la version Noureev, la classe de danse n’en est pas moins croustillante, avec maître de ballet désespéré qui finit par être ligoté par les bras de ses élèves sous-douées. Tous ces mouvements brusques et décalés qui requièrent beaucoup d’équilibre pour paraître maladroits doivent être aussi difficiles que réjouissants à danser, quand Cendrillon, en retrait, se contente de « marquer » et d’aviver les regrets du maître de ballet par sa danse élégante, rapidement mémorisée ; as the programm puts it, she « is very accomplished ». D’une manière générale (à l’opposé de la brusquerie des sœurs), son rôle est caractérisé par une grande fluidité dans les entre-pas, et d’incessants changements de direction, comme si la souillon devait être vue sous toutes ses facettes pour se révéler diamant – au cas où l’on n’aurait pas remarqué, le tutu du deuxième acte s’en chargerait pour nous.
Begona Cao, magnifique danse et danseuse,
derrière Daria Klimentova
Comme il était depuis moult fois, en effet, la marraine bonne fée veille au grain, and « transforms the kitchen into a forest where the fairies of the Four Seasons dance for Cinderella before she is transformed into a glittering princess ». La forêt et la princesse étincelante, je vois bien ; les quatre saisons, en revanche m’ont d’abord semblé tomber comme des chevaux dans la soupe aux potirons. Nonethless, le divertissement qui fait se succéder les pas de deux (joli printemps, été mature, automne virevoltant, hiver engourdi) permet d’admirer entre autres la vivacité et les dynamiques portés à l’écart de Shiori Kase, qui vole plutôt qu’elle ne tombe comme une feuille d’automne.
Bal du deuxième acte
– j’ai été surprise par la sobriété de bon goût dans les costumes –
On quitte la nature pour retrouver au deuxième acte la civilisation – ou son simulacre : au bal, les deux sœurs continuent leurs simagrées, se disputant encore leurs éventails sur le motif que celui de l’autre est plus gros ou mieux assorti à sa propre robe, avant de se disputer le Prince (Vadim Muntagirov) et d’accaparer ses deux acolytes.
Quand Cendrillon apparaît, celui-ci lui fait du charme, et elle, de l’effet et de l’arabesque. Comme il ne faudrait pas non plus froisser les susceptibilités, il offre des oranges aux trois jeunes femmes, et si Cendrillon la couve des yeux comme un enfant pauvre pendant la guerre, les chipies se renvoient la balle, parce qu’il est bien connu que le fruit est toujours plus orange chez le voisin. Leurs pitreries m’amusent toujours autant (quand elles sont placées dans un cadre raffiné, les grosses ficelles de pantin pantomime ne manquent pas leur effet – je suis bon public), mais je suis un peu étonné d’entendre rire Palpatine qui avait avoué à l’entracte s’être un peu ennuyé au premier acte. Ne connaissant pas la partition des trois oranges de Prokofiev, j’ai effectivement raté le clin d’œil du chorégraphe. Alors que cela réveille l’intérêt de Palpatine pour la fin du bal, le mien est un peu bercé par les valses du corps de ballet, du couple princier et des étoiles – ah oui, parce qu’en plus des saisons, il y a des étoiles, qui font également les heures lorsque la lune se transforme en horloge pour sonner les douze coups de minuit.
Le spectateur et le Prince sont accueillis au troisième acte par trois princesses, espagnole, égyptienne et orientale. Le triple divertissement a la double fonction de suggérer le chemin parcouru pour trouver pied à sa chaussure (il irait au bout du monde, rien que ça), et les difficultés qu’il rencontre ce faisant, puisque le rêve exotique tourne au cauchemar lorsque les princesses, abusant des quatrièmes, deviennent les deux sœurs et la belle-mère, que l’on retrouve ensuite chez elles, regrettant visiblement de ne pas avoir un marteau pour enfoncer sur leurs grands panard le précieux chausson identificateur.
Lorsque Cendrillon quitte à nouveau ses haillons, elle est transportée dans la forêt, avec ses bonne
s étoiles et la ronde des saisons, deux manèges concentriques, hommes et femmes, qui tournent autour des amants ainsi isolés du monde, seuls loin de la société des sœurs – et voilà ce que vient faire la nature dans un conte de fée du logis : symboliser l’harmonie.
La bande-annonce de l’English National Ballet.
De larges extraits de la chorégraphie de Corder dans une autre production (danseurs espagnols et costumes empesés)
Des filles vaniteuses et qui se chamaillent : c’est forcément de la fiction…
Est-ce pire qu’un fétichiste de la chaussure ? (surtout que ça schlingue, une paire de pointes…)
Ce qui est embêtant avec les pantoufles de vair, c’est que de temps en temps, ya une princesse dedans. Ca râle, ça réclame des câlins et même des Haribo.
C’est pourquoi, personnellement, je ne m’intéresse qu’aux tongs.
Évidemment que ça râle ! des Haribo ! Je veux des rochers, sinon Suchard, du moins Ferrero. Des Haribo, non mais franchement… Pour les câlins, je continuerai de réclamer à votre contraire qui abhorre les tongs (ce qui ne m’empêche pas d’en mettre en vacances – vous devriez savoir que la tongue est la pantoufle d’été de la princesse qui, après s’être fait réchauffer par son prince durant l’hiver, se la coule douce).
‘ »princesse » : C’est bien cet être qui cache, sous une apparence douce et réservée, une meute de molosses absolument furieux ?
C’est une définition possible.
Princesse, n. f.
1. a « être qui cache, sous une apparence douce et réservée, une meute de molosses absolument furieux »
1. b épouse du prince : ne pas oublier que la princesse va avec le prince et que le bel air (physionomie ou chant) de celui-ci ne garantit en rien un charmant caractère. Bref, les molosses ne sont pas là uniquement pour aboyer, ils courent derrière quelqu’un en particulier.
2. (sens modernisé par les comédies romantiques) être aboyant comme une meute de molosses furieux (qu’on ne s’en prenne qu’à son physique) qui devient réservée puis douce (lorsqu’on s’éprend d’elle et qu’on la caresse dans le sens du poil).
« Caresser la princesse dans le sens du poil » est une expression particulièrement heureuse. C’est à la fois le moyen de la séduction – et son objectif ultime 🙂
Heureuse, exact ^^
Mes lapsus et double sens sont parfois plus perspicaces que moi.