Parasite, de Bong Joon-ho
Dix petits nègres coréen et bouffon, Parasite passe de la farce potache à l’escroquerie au jeu de massacre dans une parfaite continuité, un monde sans couture aussi lisse que la maison d’architecte dans laquelle se déroule ce quasi huis-clos. Je craignais d’avoir peur ; j’ai plutôt ri (même si je me suis recroquevillée une ou deux fois sur mon siège pour faire bonne mesure et ne pas attraper la manche d’Ethylist).
Avant la séance, essayant de trouver dans la salle vide deux sièges contigus qui ne grincent pas : « Mais c’est toi qui les fais couiner. »
Les Faussaires de Manhattan (Can you ever forget me?), de Marielle Heller
La faussaire, c’est Lee Isreal, auteure (réelle) mal en point qui se met à enrichir la correspondance de romanciers célèbres de lettres de son cru : les bibliophiles n’y voient que du feu ; elle peut à nouveau payer son loyer de sa plume, aux dépends assez délectables d’une communauté qui ne l’a jamais vraiment lue. Alcoolique et mal-aimable, notre anti-héroïne a pour seul ami un dandy vieux fou vieille folle, lui aussi alcoolique : un parfait acolyte. Leur tandem est parfait, tout comme le film, un bon petit kiff qui mine de rien fait beaucoup de bien à se concentrer avec moult rides sur autre chose que la séduction, le pouvoir, la gloire ou la beauté.
So long, my son, de Wang Xiaoshuai
La bande-annonce avait quelque chose des Éternels : rien d’autre qu’une fresque chinoise, en réalité, mais cela a suffi pour implanter en moi un a priori positif. Puis j’ai lu chez Palpatine que c’était fort réussi « pour ceux qui aiment prendre le temps des sentiments », alors je suis allée m’enfermer trois heures juste avant de partir pour rejoindre ma grand-mère dans ses premiers jours de veuvage. Ce sont moins les sentiments qui infusent que les non-dits, mais il y a de ça, de ces solidarités mystérieuses, évidences rentrées et persévérances au long cours qui nimbent de beauté ceux qui les endurent. On pourrait jeter tout un tas de mots à la tête du film, résilience, identité, trahison, pardon, amour, culpabilité, absence et deuil qu’on n’en aurait rien dit – même si cela réactivera probablement des émotions diffuses chez ceux qui ont pris le temps de le vivre dans une salle.
Trois heures, c’est à la fois très long et très court pour narrer trois décennies et deux familles, intriquées depuis la naissance simultanée de leurs fils. Je ne suis pas bien sûre duquel meurt au début du film, ou plutôt, je vois bien quel enfant mais je ne suis plus sûre de quelle famille, et le film n’aide pas : les scènes se succèdent sans que les retours en arrière ou les ellipses temporelles soient signalés comme tels. Le scénario joue en outre de la confusion sur l’identité de l’enfant devenu grand : est-ce le même qu’on a vu enfant – auquel cas c’est l’autre famille qui a vécu le deuil, et celle-ci ne souffre pas de l’absence mais de culpabilité ? Ou est-ce un enfant adopté, voire l’autre enfant échangé ? « Ce n’est pas notre Xingxings » : les parents ne reconnaissent-ils plus l’enfant qu’ils ont éduqué ou n’est-ce vraiment pas leur enfant biologique ? J’aurais aimé appuyer sur pause et rembobiner jusqu’à la scène qui aurait dissipé une partie de mes interrogations : revoir quel couple, à l’hôpital, s’évanouissait flou à l’arrière-plan sur la mort de leur enfant ; quel couple, au premier plan, s’arrêtait à distance du chagrin de leurs voisins. Évidemment, c’était impossible : j’ai bien mis la moitié du film (soit une heure et demie, tout de même) avant d’arrêter mon interprétation, définitivement confirmée dans le dernier tiers. La lenteur des plans, soudain vidés des mille hypothèses contradictoires testées à toute allure en essayant de ne louper aucun nouvel élément (et en revoyant tout à chaque instant à la lumière de celui-ci), la lenteur s’est alors mise à surgir comme telle, et il m’a fallu un temps de réadaptation : poursuivre était-il vraiment nécessaire ? On se rend compte à la fin que ça l’était : il fallait boucler la boucle, revenir à l’origine des cheveux blancs, pour que le destin se referme et que la vie se rouvre aux possibles, à une continuité qui ne soit plus simplement endurance. Sourire enfin : « après tout, on a encore peur de mourir ». Encore quelque chose à vivre.
Je promets d’être sage, de Ronan Le Page
Après les faussaires de Manhattan, voici les faussaires du musée de Dijon. Le drame l’a entièrement cédé à la comédie, et l’on s’amuse ce qu’il faut en compagnie de Léa Drucker (j’aime beaucoup la palette expressive de son visage) et Pio Marmaï (abonné à la même partition que Hugh Grant, dont il constituerait un équivalent latin : le mec perpétuellement étonné qui s’en prend conséquemment plein la tronche ; loose ou bonheur incongru, tout lui tombe toujours dessus, et ça patauge, pour notre plus grand plaisir)(ou presque, mon plus grand plaisir restant attaché au charme britannique).
Après les faussaires de Manhattan, voici les faussaires du musée de Dijon. Le drame l’a entièrement cédé à la comédie, et l’on s’amuse ce qu’il faut en compagnie de Léa Drucker (j’aime beaucoup la palette expressive de son visage) et Pio Marmaï (abonné à la même partition que Hugh Grant, dont il constituerait un équivalent latin : le mec perpétuellement étonné qui s’en prend conséquemment plein la tronche ; loose ou bonheur incongru, tout lui tombe toujours dessus, et ça patauge, pour notre plus grand plaisir)(ou presque, mon plus grand plaisir restant attaché au charme britannique).
La Vie scolaire, de Grand Corps malade et Mehdi Idir
Oh la blessure… s’exclament élèves comme profs lorsqu’une remarque atteint de plein fouet l’un de leur pair – manifestement l’équivalent de « cassé » pour la génération post-Brice de Nice : le parler jeune vieillit vite. Grand Corps Malade et Medhi Idir sont manifestement sans âge : ça vanne jeune et juste, sans que ça se veuille jeune et que ça fasse vieux ; mieux encore : la vanne vaut répartie. Le mélange des niveaux de langue est formel, le monde des adultes se reflète dans celui des ados dont ils ont la charge ; tout le monde en prend pour son grade – à un rythme tel qu’on n’a plus le temps de compter les doigts de nez ou d’honneur au politiquement correct. Le casting dépote, à la mesure des répliques. Après Les Patients, La Vie scolaire confirme le tandem Grand Corps Malade et Medhi Idir comme excellents réalisateurs de comédies sarcastiques, option vanne-slam.
Mention spéciale pour le générique, qui fait défiler les noms en chair et en os, en vignettes animées façon photos de classe : on retrouve les acteurs, évidemment, mais aussi les équipes techniques, des électriciens aux post-productrices (avec leur banderole « On verra ça en post-prod » parce qu’il n’est jamais trop tard pour vanner).