Une place contre une chroniquette, c’était le deal. Je ne suis pas devenue blogueuse influente, rassurez-vous, seulement la repreneuse de la place d’Orlando Paladino de Joël. Lequel m’a bien précisé que la mise en scène était de Kamel Ouali, afin que j’accepte en toute connaissance de cause et ne crie pas au don empoisonné. J’avais déjà vu Autant en emporte le vent et, s’il s’agissait indéniablement d’une daube sur le plan musical (la chanteuse principale, notamment, sélectionnée pour sa généalogie ascendante, chantait à peu près aussi juste que moi), la mise en scène m’avait plutôt plu dans son genre (une sorte de Petite danseuse de Degas en musical, quoi). Et puis j’aime bien Haydn. C’est-à-dire que j’ai un a priori positif sur Haydn d’après le CD que j’avais emprunté à la médiathèque à l’époque où graver un CD donnait autant de frissons d’extase qu’une belle histoire de pirates des Caraïbes. J’avais même confectionné une jaquette violette et argentée pour le CD, trop contente de pouvoir utiliser ma plume à portée ; les notes devaient représenter quelque chose d’aussi complexe qu’Au clair de la lune, mais j’étais ravie… Mais trêve de souvenirs introductifs, cette chroniquette prend des allures de jeudi confession alors qu’elle devrait plutôt se faire Jedi pour taper sur Orlando, ktisssch un coup de sabre laser dans ta face, avec un vrai morceau de Wagner dedans sur la mise en scène.
Il faudrait expliquer une ou deux choses à Kamel Ouali, une ou deux spécificités de l’opéra ; au hasard, que c’est mieux quand on entend la musique. Et que, donc, on ne demande pas à la chanteuse de mettre ses mains devant sa bouche pour crier son effarement. On ne fait pas non plus sauter des moutons sur scène, surtout lorsque les moutons bêlent en choeur, ne retombent pas en rythme et que leur toison rendent la soupe très chevelue. Car j’ai un scoop pour vous, Kamel : à l’opéra, il n’y a pas de bouton à tourner pour jeter des décibels à en défriser les moutons. Mais je vous accorde que j’ai bien ri au contrepoint comique de leurs bêlements (surtout que vu d’en haut, le costume est très crédible), comme aux mille et une âneries qui adviennent en votre étable. Je passerai donc sur l’histoire (un couple mineur qui aide un couple majeur à ne pas se faire dézinguer par Orlando, pas content du tout de se voir préférer un autre), pour faire une revue du bestiaire.
Honneur à la bergère Eurilla qui, avec ses cornes de bouc-macarons à la Leïla, ses cuissardes en plastique vert et sa cape de chauve-souris en ciré assortie, ressemble plutôt à une grenouille. Pasquale, l’écuyer d’Orlando, qui la verrait plutôt en chienne, jure gentillement en jaune, un peu moins vaniteux mais aussi poltron que Rodomonte, dont l’épée bande mou. Medoro est une sorte de mangaka marin aux cheveux bleus assez insipide, mais il a chaviré le coeur d’Angelica dont le costume rouge (comme les lanternes du décor) aurait beaucoup plus à Palpatine (d’une manière générale, Kamel Ouali a trouvé des chanteuses hyper bien gaulées — tout le monde ne peut pas se permettre de faire des vocalises en justaucorps et cuissardes) : haut de kimono, tablier de soubrette et faux-cul façon fourmiz pour cette geisha coiffée d’un fronton de temple japonais. Les deux amoureux sont aidés par Alcina, venue en paix avec une capuche en balle de golfe, comme les fauteuils-oeufs des années 1970. Elle les défend contre Orlando, monstre noir et blanc légèrement moins toc que le technicolor Rodomonte, mais affublé de longues manches hérissées comme le dos d’un dinosaure si bien que les bras qui lui en tombent tout le long du spectacle cliquetent par terre.
A ce stade, vous devriez en arriver à la même conclusion que moi : what the fuck ? Il y a pourtant de bonnes idées qui, en les faisant rire, font taire pour quelques secondes l’affreuse troupe de collégiens à mèche qui grignotent comme au ciné et n’ont pas plus de considération pour l’introduction musicale que pour les bande-annonces et publicités. Le problème, en réalité, c’est qu’il y a trop de (potentiellement bonnes) idées. On distingue au moins deux univers qui auraient chacun constitué un axe suffisamment fort de relecture.
L’univers du jeu vidéo est à l’origine de l’excellent décor tout en cubes du deuxième acte, qui, avec ses différents niveaux de plateformes, ses vagues cartonnées au-dessus desquelles flottent des créatures comme les cibles d’un stand de tir à la fête foraine, son palmier et même son petit pont en rondins de bois, transforme Medoro en Mario. Quant au démon qu’il combat, c’est évidemment un dragon de jeu vidéo géant, surgi derrière le décor comme King Kong derrière sa tour. L’héroïcomique fonctionne à plein régime. Du coup, la sirène qu’on sort des eaux dans son filet de pêche (probablement la meilleure trouvaille pour intérgrer les galipettes de haute voltige de la fascinante contorsionniste) n’a aucun Ulysse à séduire dans ce monde qui n’est pas le sien.
L’univers du dessin animé est peut-être une meilleure idée encore. Le poids en carton de 500 kg qui écrabouille Orlando une première fois est la parfaite traduction toonesque des infinies péripéties que nous prépare ce personnage à la mort toujours différée. Quant au coup de la douche qui bouge sans arrêt et dans laquelle Pasquale s’efforce de rester pour chanter, quitte à se ratatiner par terre ou à sauter après le cercle envolé, c’est énorme. On dirait un chat qui essaye d’attraper une lumière d’un coup de patte. Et quand il n’est pas là, les souris et leurs amis animés en noir et blanc dansent (je récupérerais bien le masque de ce Mickey générique).
A ce mélange suffisamment déjanté, on a malheureusement ajouté toutes les geekeries auxquelles on pouvait penser : le combat Orlando-Rodomonte est doublé par des voltigeurs à sabre laser, Pasquale et Rodomonte ont leur batmobile, un monstre fait des saltos arrière sur échasses… et on injecte les eaux du Léthé à Orlando avec une seringue tout droit sortie de Dark City. L’opéra devient un clip de R’n’B, cela remue dans tous les sens, on ne sait pas où fixer son regard et on en oublie qu’on a des oreilles. J’imagine que l’idée était de transposer le foisonnement baroque par celui de l’animé, et c’est assez réussi sur l’affiche, mais c’est aussi assez raté dans l’ensemble. Cette profusion relativement sobre en noir et blanc perd sa cohérence dès qu’on y amalgame d’autres univers ; on a complètement perdu de vue l’étoile d’Haydn dans cette galaxie, et je serais bien incapable de dire si j’ai apprécié la musique, alors que les chanteurs (et particulièrement l’interprète d’Alcina) ne devaient pas être mauvais.
J’ai bien essayé de fermer les yeux mais tout ce que j’entendais alors était le bavardage des gamins. Je les aurais bien massacrés, tiens, histoire d’achever la tuerie de Toulouse, au sujet de laquelle le Châtelet-qui-reçoit-plein-de-scolaires a tenu à se montrer concerné par une annonce en début de soirée. Depuis quand est-il de bon ton de s’excuser de vivre ? Je me demande si l’annonce aurait été quand même faite si l’opéra avait été plus sérieux. Assumez la nature du divertissement ! Elle est de se détourner. Et tous les jours nous nous détournons de guerres et de massacres qui ont lieu dans le monde. Ill faut aussi voir ça en face. Le seul moyen qu’on ait trouvé de ne pas faire l’autruche est de scuter la scène médiatique. Le reste du temps, on se détourne pour ne pas se figer dans une fascination morbide, et on vit. Pendant que d’autres meurent. Mais on vit. C’est le seul hommage qu’on puisse rendre à la vie, vivre. Alors on se passera de rotomondades d’aussi bonne foi bien pensantes que déplacées.
Le dernier paragraphe est impeccable. And so very true.
J’en reparlais avec ma mère sur le balcon, hier, et elle ne trouvait pas normal, elle non plus, d’ériger un fait divers, aussi dramatique et suivi par les media soit-il, en fait national. Aucun symbole national n’a été visé, en effet (ce le serait par exemple si le tireur fou avait dégommé des militaires), la République n’a rien à voir là-dedans — seule sa justice aurait eu son mot à dire si l’assassin n’était pas mort. Mon prof d’histoire de prépa avait vraiment raison, nous sommes passés de l’époque des héros à celle des victimes.