The Shape of Water est un nouvel avatar du monstre dont un regard bienveillant saura voir l’humanité, envers et contre tous. Le titre m’avait fait imaginer une créature polymorphe, qui prendrait la forme de ce qui la contenait, mais il s’agit en réalité d’une métaphore pour l’omniprésence de l’amour, débordant la présence de la personne qui l’inspire — la créature, elle, est une espèce de poisson-lézard-bipède, qui suscite la curiosité puis l’attachement d’Elisa, femme de ménage sur la base militaire aérospatiale où la créature a été traînée comme asset.
Sur cette trame élimée, Guillermo del Toro et Vanessa Taylor brodent un conte amniotique dans lequel on se plait à baigner, bercé par les bribes de comédies musicales qui nous parviennent comme étouffées : Elisa habite au-dessus d’un cinéma au bord de la ruine et se lance volontiers à l’occasion dans quelques pas de tap dance – sans jamais chanter, puisqu’elle est muette1. Même s’il en fait le signe quasi-magique d’une élection, prémonition de l’osmose d’Elisa avec la créature sans paroles, le film n’élude pas le handicap. Il n’élude pas grand-chose, en fait ; c’est un conte dans le sens littéraire du terme, avant que le genre ne soit revendiqué par les fées.
On y voit l’amie d’Elisa (géniale Octavia Spencer) en proie aux stéréotypes raciaux, la solitude aiguë de son voisin homosexuel illustrée par un frigo rempli de parts de tarte infectes, achetées pour la compagnie du serveur, et Elisa se masturber dans son bain tous les matins (enfin les soirs, car elle travaille de nuit), l’orgasme se devant de coïncider avec la sonnerie du minuteur (heureusement pour elle qu’elle mange ses oeufs durs, parce que c’est rapide, tout de même). La pauvreté de ces existences est embellie par une réalisation douce-amère, tonalité toute entière contenue dans le sourire d’Elisa (Sally Cecilia Hawkins), quelque part entre la timidité des Émotifs anonymes et la détermination enjouée d’une Amélie Poulain américaine qui aurait troqué Manet pour Norman Rockwell. All is well.