Première fois que je mettais les pieds à Beaubourg (c’est le moment de vous indigner). Et dernière fois que j’irai en talons. Soucieuse d’éviter les pavés, hostiles, je me suis rabattue sur les dalles sans voir qu’il n’y avait pas de joints entre elles. Résultat : un talon enfoncé dans un intervalle, un bout de nubuck arraché. Sur des chaussures neuves, tout va bien. Je vous raconte ça pour vous faire partager mon désarroi, mais également pour ne pas oblitérer une circonstance de moindre bienvaillance envers Beaubourg et ses entrailles artistiques. Car, autant vous le dire tout de suite, l’exposition m’a intellectuellement intéressée, mais elle ne m’a pas donné cette sensation si particulière aux musées de liberté et de malléabilité de l’esprit, cette sensation de rafraîchissement qui fait tout l’intérêt du Savon de Ponge. Quel dommage que là où il est question de l’art du mouvement et des corps, le déclic propre à nous dérouiller soit absent et nous prive de cette sorte de délassement si agréable.
L’exposition manque clairement d’un fil conducteur, au-delà de la structuration temporelle et stylistique. Ni vision de la danse à travers les arts plastiques ni influence de celle-là sur ceux-ci ou de ceux-ci sur celle-là, Danser sa vie annonce une persepctive qui ne correspond en réalité qu’à la première partie, axée sur la danse comme expression de soi. Pour ce qui est de l’abstraction (2e partie) et de la performance (3e partie), il faudra m’expliquer. A moins de se vouloir la métaphore simpliste de la répétition mécanique du quotidien moderne, je vois mal à quelle vie pourrait bien faire référence la géométrie en carton-pâte du Bauhaus, et je doute que la danseuse de Fabre qui se roule dans l’huile, entièrement nue et les jambes si bien écartées que l’érotisme l’est aussi, ait quoi que ce soit à nous faire découvrir en dehors de son anatomie.
Je râle, je râle, mais j’y suis tout de même restée trois heures, à cette exposition. Ma déception vient peut-être de ce que j’ai découvert derrière les grands noms des débuts de la danse moderne/contemporaine. Les masques grimaçants de Marie Wigman, les rondes de Rudolf Laban, les sautillements d’Isadora Duncan dans la nature, rien de tout cela ne m’émeut. Je les vois comme des passages nécessaires pour ouvrir la voie à d’autres chorégraphes, des curiosités historiques plus qu’artistiques. En revanche, la danse de Loïe Fuller est hypnotisante. Enfin, les danses qu’elle a inspirées, puisqu’elle a refusé de se faire filmer — ce qui n’est pas toujours une mauvaise chose, il suffit de voir Anna Pavlova et ses battements d’ailes affolés que ne renieraient pas les ballets de Trockadéro pour se convaincre que le talent de l’interprète peut être occulté par l’évolution technique de la discipline. Rien de tel pourtant dans le cas des danses fulleriennes ; même la colorisation du film sur pellicule n’ôte rien à la poésie du mouvement, au contraire. Je comprends mieux les exaltations de Mallarmé devant ces voiles plus fascinants que les flammes d’un feu de cheminée : tantôt fleur, la danseuse s’ouvre, tantôt la plante carnivore la dévore, la faisant brusquement disparaître — métamorphose continuelle.
Photo chipée ici.
De la première partie de l’exposition également, des sculptures miniatures de Rodin. Son Nijinsky colle bien au Projet Rodin de Maliphant (chronique à venir), mais c’est une autre pièce, sans titre précis, qui m’a tapée dans l’oeil : avec le bras qui enserre le genou ramené vers soi et la tête inclinée sur l’épaule, cette statur donne davantage le sens du mouvement que bien des vidéos diffusées dans les salles. Amusant à ce propos, d’ailleurs, de noter que l’encastrement dans le mur des écrans donne à ces télévisions, et à ce qu’elles difusent, la légitimité d’une oeuvre picturale encadrée et accrochée.
Je passe vite sur le Sacre du printemps de Pina Bausch, dont la captation n’égalera jamais le spectacle (même la répétition) ainsi que sur L’Après-midi d’un faune, que j’ai eu l’occasion de voir à l’opéra, et m’arrête devant une chorégraphie d’Anna Teresa de Kersmaeker en pleine nature : proximité de l’étang ou parenté d’un mouvement sec du poignet avec les cygnes de M. Bourne, le canard s’impose en idée peu volatile (mais une danse des canards par Anna Teresa de Kersmaeker, quoi). On ne peut pas dire non plus que cela m’en bouche un coin coin.
Vient s’ajouter à mes enthousiasmes une peinture à moitié abstraite d’un bal dont je m’étais promis de retenir le nom et que j’ai évidemment oublié : les formes font émerger des couples qui se fondent dans le mouvement des couleurs. Allers et retours de la forme à l’informe, la danse est là.
La leçon de William Forsythe est un régal, qui explique, traits virtuels à l’appui, façon La Linea, comment se construit le mouvement à partir de lignes dessinées par ou dans le corps. Ligne de l’avant-bras, ligne établie dans l’espacement des deux coudes, ligne que l’on dessine en creux, en l’évitant tout en l’approchant au plus près (du limbo artistique, si vous voulez)… (dessins obligent ?) on voit parfaitement ce qu’il veut dire, et quand on le voit, on n’a aucune difficulté à le ressentir ; les lignes deviennent des ondes de choc. Voilà le genre de démonstration qu’il faudrait diffuser pour rendre la danse lisible et accessible par tous. Pas de discours métaphysique, c’est simple, efficace, on comprend le principe, on apprécie.
Un extrait de The show must go on de Jérôme Bel nous permet de retrouver Cédrix Andrieux (dans le coin, côté cour). Les danseurs immobiles en arc de cercle qui se mettent à gesticuler quand se fit entendre le refrain Let’s dance !, je n’y peux rien, ça me fait marrer. Tout comme d’observer que, malgré la palette de mouvements dont est capable un danseur professionnel, lorsqu’ils se mettent à bouger comme en boîte de nuit, c’est toujours selon un petit nombre de mouvements définis, qui se combinent en séquences répétitives. Quelques mouvements trouvés par le corps selon ses facilités (petits sauts, flexions très ancrées dans le sol, déhanchés… il y a toujours une dominante) et adoptés selon les personnalités (plus ou moins timide, expansive, extravertie…). Très amusant.
A la fin de l’expo, crevés, Palpatine et moi nous sommes affalés à proximité d’un grand écran où était projeté une chorégraphie de Lucinda Childs sur un morceau de Philip Glass (Amoveeeeeeo), à peine audible, diffus dans la salle comme s’il venait d’un autre écran. Une danse aussi minimaliste que la musique, à base de pas chassés et de temps levés, épicée de temps en temps par un contretemps/changement de direction en quatrième avec des bras classiques. Cela pourrait être lassant mais c’est hypnotisant, et mieux : délassant. Cette danse vive qui tourbillone lentement dans l’espace m’évoque par son obstination les derviches tourneurs. Palpatine, lui, y retrouve les sautillements des disciples d’Isadora Duncan. Pas faux ; je me rends compte que, transposés de la nature à la scène, j’en goûte mieux l’art(ifice). Et que ce genre de parrallèle, précisément ce que l’on peut attendre d’une exposition, fait défaut à celle-ci. Que cela ne vous empêche pas d’y aller (et bien accompagné, pour le coup).
Mince, j’étais tentée d’aller voir cette expo …
Et le projet Rodin alors, tu ne l’as toujours pas raconté ?
Es-tu un peu plus tentée maintenant que tu as eu la fin de la chroniquette ?
Pour le Projet Rodin, j’ai effectivement le projet d’en parler sous peu. Pas envie de le bâcler et du coup, je le repousse à chaque fois…