Pas de décorticage ni de signification hiéroglyphique – il s’agit pour ainsi dire d’un déchiffrage musical, d’une première lecture, tâtonnante, mais où déjà se devine une petite musique.
Il me semble ne vous avoir encore jamais saoulé (je cherche vraiment à vous enivrer avec n’importe quoi) avec mon irrationnel engouement pour les noms commençant par K. La généralisation est un peu cavalière étant donné qu’il n’y en a pas pléthore – je n’en vois même que deux, pour l’instant : Kafka et Kundera. J’ai beau détester les romans du premier (là aussi, hâtive généralisation, mais on ne devrait jamais justifier une mésentente cordiale), et supporter la Lettre au père, j’adore ce nom qui claque en allitération. C’est comme si l’overdose de Procès en terminale, en lettres et en allemand (avec un petit extrait d’America, pour diversifier dans le même), puis en hypokhâgne en allemand, un extrait du Château, n’était pas rattachée au nom de l’auteur. K particulier donc, et qui remonte bien avant la khâgne et ses tics orthographiques.
Ajoutez à cette fantaisie que j’étais déjà tombée sur un ou deux extraits de l’Insoutenable légèreté de l’être ; qu’en l’effeuillant à Gibert, j’avais été intriguée par ses courts chapitres sans titre, mais avec de grands chiffres bien alignés sur la marge de gauche ; que je l’avais aperçu ici ou là, et que j’étais en période de révisions : vous verrez par là dans quelles dispositions favorables j’étais envers Kundera.
Alors quand j’ai eu fini l’Insoutenable légèreté de l’être, je me suis dit qu’il fallait vérifier l’origine de mon enthousiasme, peut-être par trop circonstanciel : je suis retournée à Gibert, et guidée par le hasard des étiquettes jaunes (louées soient-elles), je n’ai pas voulu être dupe de La Plaisanterie. Elle était pourtant bien bonne. Moins violente que la salutaire claque de ma découverte, mais quand même déconcertante. Et l’autre K de rappliquer « si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon lire… un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous ».
A force de s’étiqueter littéraire, et de décortiquer toute œuvre de caractères, on finit par ne plus lire, mais seulement relire. Le fourmillement est infini dans l’approfondissement, mais l’on en vient tout de même à tourner les pages comme un lion en cage – et un lion n’est pas trop à son aise dans une fourmilière. La richesse de l’échantillon de bibliothèque dans lequel on évolue demeure constante mais devient trop bien connue, elle se racornit à vue d’œil critique. Un peu comme cela avait été le cas avec L’écume des jours, et VIan ! prend ça en pleine poire, -la liqueur était forte-, la lecture de Kundera m’a fait l’effet d’un coup de canon dans l’enceinte de ma petite cité littéraire ; brusquement un pan de mur est tombé, et tout un univers est apparu, étranger. Je ne doute pas qu’il finisse par être intégré à mon Panthéon romanesque ; ni qu’il secoue un peu en retour mes lectures poussiéreuses. Il n’en reste pas moins que voilà, un pan de mur est tombé.
Peut-être ai-je d’abord eu la vision de cet autre univers par la partition en feu d’artifice, et les autres romans ne m’en sembleront que les gammes. C’est possible, La plaisanterie m’a parue plus uniforme que l’Insoutenable légèreté de l’être. Mais il est fascinant de voir comment se constitue cet univers, quels en sont les motifs, les récurrences, relever les obsessions et les mythes personnels de l’auteur. Il faudra quand même que je me modère, que je ne baffre pas toute sa bibliographie d’un coup, que je savoure. Tout au long de ma lecture, j’ai tâché d’adapter mon rythme, et toujours mon esprit agitait le fragment de Pascal comme une menace, Quand on lit trop vite ou trop doucement, on n’entend rien, ne pas gâcher, surtout, l’irréversibilité de cette première lecture (dernière fois première). Tout était à souligner, à remarquer, à retenir, à relier, à goûter – un buffet de saveurs inhabituellement mariées. Et puis comme c’est se gâcher la lecture que de s’appliquer à ne la pas gâcher, j’ai envoyé promener les deux infinis et leur in(sou)tenable juste milieu, et ai mis tout mon zèle à gâcher allégrement ma lecture en me baffrant à toute vitesse, avec l’assurance que je pourrai toujours y revenir, comme on se rassurerait d’avoir de l’aspirine à portée de sac avant de se mettre à boire. Et déjà j’ai envie de relire.
Je vais bientôt me plonger dans L’Immortalité… Ton article me donne envie de faire de ce ‘bientôt’ un immédiatement.
Et j’ai eu exactement ce même sentiment de coup de canon, en lisant Nedjma de K.Y.. Du moins, pas à la première lecture – mais à la deuxième, celle conduite par le prof qui nous faisait découvrir le texte tout en prenant garde à ne pas le déflorer.
Y’a des librairies ouvertes le dimanche?
(Toujours aussi belle ecriture en tous cas!)
J’ai retrouvé trois livres de Kundera dans le fourre-tout de ma mère, que j’ai allègrement subtilisé en me souvenant de ton billet. (Mais L’insoutenable légèreté de l’être n’en fait pas partie.)
Je connaissais l’auteur par sa variation de Jacques le Fataliste que j’avais beaucoup aimé, me reste à lire ses romans.
Je reviens ici, pas trouvé d’articles plus récents sur Kundera. Pas par les tags en tout cas.
Je viens de finir La Plaisanterie. Je suis encore pas capable d’en dire grand chose. Mais grosse claque aussi. A voir si ça va continuer avec les deux autres livres que j’ai sous la main.
Et de deux, youhou !
Cela devrait continuer sans problème, La Plaisanterie n’étant pas, à mon avis, son meilleur roman, loin de là (et en plus, je ne les ai pas tous lus^^)