Aftersun
Après-soleil, après-coup, couleurs délavées. Aftersun n’existe que dans un regard rétrospectif où ce qui est en train de se vivre est déjà perdu. Pour Sophie, qui filme à hauteur d’enfant des bribes de ses dernières vacances avec son père. Pour celui-ci, Calum, aux prises avec la dépression, malgré tous ses efforts pour offrir de beaux moments à sa fille, malgré l’amour et la tendresse de ses gestes, de son attention sans cesse renouvelée, arrachée à une toile de fond qui le voit sombrer. Il est là et son absence l’est déjà aussi, dans tous les plans où l’on ne voit que son reflet parcellaire (dans un coin de miroir), imprécis (sur une table vitrée) ou opacifié (sur un écran de télévision éteint). Ce rapport paradoxal entre absence et présence culmine dans le plan où le repas père-fille est filmé en plan fixe sur le coude du père, sous lequel se développe lentement un Polaroïd d’eux pris par le photographe du club de vacances. Lentement.
La lenteur ne tranche pas : c’est le temps du développement, du film d’auteur ; le temps étiré de la somnolence sur un transat au soleil, seulement ponctué de re-crémages solaires ; le temps indifférencié des vacances, tramé d’ennui et brodé d’activités que l’on doit décider sans qu’elles s’imposent à nous, sans smartphone, sans Internet, sans jeux vidéos ; le temps de l’enfance sans turbulence ; le temps de la léthargie, aussi, celui de l’enlisement, de la dépression ensoleillée, qui aveugle et délave. C’est lent : d’abord long, puis plus tellement. Comme des vacances infinies qui se termineront mardi.
C’est étrange, parce que j’ai l’âge du père (je suis plus âgées, même), mais c’est mon enfance que vit sa fille. J’ai été en club de vacances avec les mêmes buffets à volonté, les chaises en plastique, les spectacles le soir, le bracelet pour commander au bar en sortant de la piscine (une inconnue donne son bracelet all-inclusive à Sophie ; j’avais trouvé un bracelet de perles-monnaie bonus par terre), les activités organisées et celles improvisées (billard père-fille ; parties de ping-pong mère-fille) — à la même époque, celle de l’argentique, des débardeurs tie and dye et des atébas, ces fils de couleurs entourés autour d’une mèche de cheveux. C’est mon enfance et elle me paraît loin aux côtés du père, éloignée par les années, mais pas seulement, par ce rapport au temps aussi, à ce temps dénué de perpétuelle diversion numérique. Ça m’a fait plisser les yeux, essayer d’entrevoir nettement cette époque révolue de parties de cartes et de plongeons — de lectures aussi, beaucoup plus que l’héroïne. Je me souviens des chapitres rationnés quotidiennement parce que je n’avais pas emporté assez de livres et que je n’en trouverais pas en français dans ce club de vacances italien. Ma mère, dans le même cas de figure, avait fini par lire les miens ; je la revois rire de la truculence de Judy Blume.
C’est mon enfance et ce n’est absolument pas mon histoire. Elle n’appartient qu’à Calum et Sophie, marquée par le drame en suspens, préservée-ressuscitée par une pellicule terriblement présente d’être un peu passée, révolue même, dernier vestige de. Cette relation père-fille, pas souvent si bien mise en scène, est incarnée tout en sensibilité et sans pathos par Francesca Corio et Paul Mescal (déjà à fleur de peau et de névrose dans Normal People), sous la direction de Charlotte Wells dont on a du mal à imaginer que c’est le premier long métrage.
Les Berkman se séparent
Un bon film sur la séparation d’un couple et le bordel engendré chez les enfants (plus par le père arrogant-méprisant que par la séparation en tant que telle, in fine).
Sur France.tv jusqu’au 30 avril
Comme un avion
Michel (Bruno Podalydès) plane à deux mille, et pas juste parce qu’il est fan d’aviation.
Un jour, il développe une fascination pour le kayak, l’objet, l’idée, la beauté du geste — pagaye dans le salon et sur le toit de l’immeuble en secret de sa femme (Sandrine Kiberlain).
On n’y croit pas vraiment, mais un jour son kayak rencontre vraiment l’eau — et lui, d’autres yeux, d’autres bras, d’autres peaux. Il plane tellement à deux mille, rêve tellement l’instant, l’aventure, que les questions qui devraient se poser ne se posent pas. C’est doux et reposant, cette absence de scrupule, ces rencontres qui coulent de soi, avec toute la maladresse et la tendresse qui siéent à Michel. On voudrait pouvoir tout accueillir ainsi.
Loupé à sa sortie en 2015,
vu sur OCS (mais désormais retiré du catalogue)