Hong Kong : les dim-sums et les noodles

Mimi dim-sum géant !

 

On ne goûte jamais aussi bien un pays étranger qu’en goûtant sa cuisine, qu’elle soit gastronomique, populaire ou même industrielle. Rien que l’adaptation des franchises internationales à la population locale est amusante à observer : Haägen-Dasz propose ainsi une glace au thé matcha, tandis que le cône à la mangue figure parmi les classiques Nestlé à côté du trio vanille-fraise-chocolat. Starbucks confirme la chesnut-mania déjà soupçonnée à l’abord des rares pâtisseries occidentales qui proposent toutes un Mont-Blanc : la crème de marron a investi le cheesecake et fourre ce qui ne serait autrement qu’un muffin au chocolat. M’interrogeant sur cette marotte, j’ai obtenu une explication plausible de la part de ma collègue : la texture de la crème de marron est assez proche de la pâte de haricots rouge, ingrédient d’une bonne partie des desserts locaux. Préférant le marron au haricot, j’ai essayé une boisson lait-marron, tout aussi délicieuse que le jus de pomme à la cannelle de la même marque (qui explique les vertus de ses boissons par ses effets sur le Qi – ça ne s’invente pas), ainsi qu’une brioche fourrée à la crème de marron, achetée dans l’une de ces nombreuses bakery qui me faisaient de l’oeil à cause de leurs casiers transparents en leur libre service façon boutique de bonbecs. Cet unique dégustation tendrait à confirmer le soupçon que tout, petits pains divers comme viennoiseries, a le même goût, celui de la brioche. Si vous n’avez pas de pain…

En parlant de ce qu’il n’y a pas : les laitages. Tout aussi vrai que les Asiatiques ne digèrent pas bien le lait, les souris ne peuvent pas se passer de fromages une semaine entière. C’est donc avec un grognement de soulagement que j’ai mordu dans une barre de cheddar (oui, une barre de fromage, comme on aurait une barre de céréales) (oui, du cheddar, on fait ce qu’on peut) achetée chez Mark & Spencer. Et pour fêter ça : de l’eau minérale. De même qu’en Australie, l’eau est déminéralisée. Distillée, même, indiquent les bouteilles offertes par l’hôtel. Merci bien, je ne suis pas un fer à repasser.

Avec une bouteille d’Evian et de la carbolevure, je suis prête à tenter l’aventure culinaire. Sachant tout de même que mon intrépidité s’arrête là où commencent les pattes de poulet. Chez Tim Ho Wan, the Dim-Sum Specialists, une fille assise à côté de nous en grignote tranquillement comme on rousiguerait une côte d’agneau, recrachant seulement les petits os de temps à autres. Je préfère m’attaquer au riz gluant cuit à la vapeur dans une grande feuille de bambou et autres dim-sums. Les udon ont été écartés après le premier jour ; c’était la deuxième et probablement seconde fois que j’en mangeais. Il faut se rendre à l’évidence : je ne possède manifestement pas les enzymes qui permettent de détruire ces grosses nouilles qui me donnent l’impression de remonter dans mon gosier comme des vers de terre dans un film d’horreur (après le western spaghetti, je vais inventer l’horreur udon).

Je préfère me concentrer sur la découverte du séjour : les dim-sums. Cela correspond en gros à ce que j’avais toujours appelé, avec l’aide de Picard, des bouchées vapeur. En gros, parce que, d’une part, les dim-sums désignent aussi d’autres mets qui se partagent à plusieurs et, d’autre part, la bouchée vapeur Picard est au dim-sum ce que le pain étranger est à la baguette parisienne. Ou, pour être plus précis, peut l’être car il y a dim-sum et dim-sum. Au début, j’avoue que je ne suis pas emballée outre mesure par ces petites bouchées de pâtes fourrées au porc, aux crevettes ou aux légumes. Peu à peu, pourtant, j’apprends à faire la différence entre le dim-sum de base et le dim-sum étoilé : le premier, un peu masse, un peu collant, est bon, bien bourratif ; le second… ah, le second ! Quelle brillante idée a eu le Michelin de consacrer un guide à Hong Kong et Macau ! La farce est fine, la pâte aussi, que l’on sent fraîche, fraîche, légère. Tellement fraîche qu’à Din Tai Fung, on voit les cuistots travailler en cuisine, étaler des petits carrés de pâte avec un mini rouleau à pâtisserie qui dépasse à peine de la main, déposer une cuillerée de farce à l’intérieur, puis rouler le dim-sum avec le geste habitué du fumeur qui se roule sa clope – coup de main indispensable pour que les bouchées au porc aient bien leurs petits plis caractéristiques, bien dessinées, rassemblés en pointe. On dirait de petites figues dans les grosses paluches des cuisiniers qui travaillent en cercle, comme des employés de bureau qui discuteraient à la pause café – un ou deux, assis, assurent l’étalage de la pâte.

À Xia Mian Guan, le dernier soir, on assistera au spectacle encore plus impressionnant de la préparation des noodles : après avoir été étirée et rassemblée en hélice comme les cordes d’une balançoire apprêtée pour un tour de toupie infernale, la pâte est roulée en boudin, lequel, sans cesse étiré et replié comme une housse de couette devient un écheveau de nouilles, roulées dans la farine pour ne pas se recoller les une aux autres, dans l’indivision dont elles sont nées, puis jetées telles quelles dans la marmite. Les gestes sont amples, bras écartés ; même si cuisinier a la dextérité d’un enfant qui créé des formes avec un élastique entre ses doigts, le travail doit finir par être assez épuisant. Il n’en demeure pas moins fascinant, Palpatine et moi regardant cela comme des enfants hypnotisés par le feu.

C’est à cette occasion que nous nous réconcilions totalement avec les noodles, après quelques tentatives pauvrettes tenant davantage de la nouille instantanée. C’est doux, fondant… et accompagné d’une délicieuse viande de bœuf dans une sauce brune, sorte de pot-au-feu sauce barbecue (Hong Kong vous déclenche une fringale de légumes, mais vous rappelle aussi pourquoi vous n’êtes pas végétarien). Le précédent plat de noodles à valoir le détour, dégusté chez Din Tai Fung, ne m’avait pas permis d’apprécier pleinement la douceur de la pâte, laquelle amortissait surtout la sauce au sésame pimentée. La dernière fois que j’ai mangé un plat aussi pimenté, c’était sur un marché, en Italie : il y avait deux sauces au choix pour accompagner le sandwich au bœuf et, lorsque le charcutier a demandé « Piquante ? », j’ai pensé piquant au lieu de piment et j’ai répondu si. Non pas si à la libertad, mais si à la bouche en feu, et pas seulement à la bouche, mais aux lèvres : il est un degré de piquant où l’on se sent très Angelina Jolie de l’intérieur. Hot, yeah. Mais entre le sésame et les cacahuètes qui parsemaient le plat, j’ai été obligée de manger jusqu’à la dernière nouille ; encore après, j’ai touillé la sauce du bout des baguettes à la recherche de morceaux de cacahuètes. Ma seule erreur a été de garder un dim-sum aux crevettes pour la fin.

 

Car il y a tout un art du dim-sum, et à l’art de la préparation répond l’art de la dégustation. On apprend sur le tas, en observant nos voisins. La découverte majeure consiste à placer le dim-sum dans la cuillère, ce qui, en constituant un sas de refroidissement, évite de se brûler et d’en mettre partout. La surprise du dim-sum, qui est fait toute la saveur, c’est en effet le petit bouillon qui baigne la viande dans son jus et gicle en bouche quand on perce la pâte d’un coup de dents, en faisant un véritable délice. Au bouillon se mêle normalement la sauce vinaigre-soja, nous apprend… le mode d’emploi. Le dernier jour, arrivés avec nos valises criant touristes !, on nous a apporté, avec la carte, un mode d’emploi, en français dans le texte ! Je ne résiste pas au plaisir de vous le transcrire ici.

  1. Vérifiez que le gingembre soit dans la soucoupe. Ajoutez le vinaigre et la sauce de soja (Quantité conseillée : 1 dose de soja pour 3 doses de vinaigre) ou selon votre préférence.

  2. Il est conseillé de goûter le XiaoLongBao d’abord nature, pour apprécier sa saveur. Pour les suivants, prenez-les à l’aide de vos baguettes et trempez-les dans la sauce.
  3. Mettez le XiaoLongBao dans la cuillère et percez-le pour lui permettre de refroidir un peu.
  4. Mettez un peu de gingembre sur le XiaoLongBao. Puis dégustez-le tout à l’aide de votre cuillère pour ne pas perdre le délicieux bouillon. Attention, le bouillon à l’intérieur est brûlant !

D’abord nature puis avec la sauce : c’est ce que j’avais fait spontanément. Je fais toujours ça : goûter les éléments un par un puis ensemble, deux par deux, puis trois si le plat s’y prête, puis quatre, cinq, etc. C’est la première fois que je trouve ce plaisir analytique et combinatoire officiellement érigé en mode de dégustation. Avec la sauce soja, avec le vinaigre, avec la sauce soja et le vinaigre, avec la sauce soja et le gingembre, avec le vinaigre et le gingembre, avec la sauce soja-vinaigre et le gingembre… la même frénésie s’empare de moi qu’avec les makis : je n’en ai jamais assez de six pour épuiser un seul repas les combinatoires offertes par le gingembre, le wasabi, la sauce sucrée et la sauce salée (qui ne sont pas exclusives, non !). C’est peut-être cet aspect ludique qui m’a rendu accro aux makis que, comme les dim-sums, je n’avais pourtant pas trouvé extraordinaires la première fois. Les dim-sums pourraient donc devenir une nouvelle marotte, d’autant qu’au plaisir combinatoire propre à chaque bouchée vapeur s’ajoute celui d’agencer les différents types de bouchées les unes par rapport aux autres.

 

Ces dim-sums me font toujours penser à la même chose. Pensez-vous à la même chose que moi ?

 

Dim-sum, que j’emploie commodément pour bouchée vapeur, est en réalité un terme plus vague, qui désigne la petite portion d’un plat que l’on sert normalement avec le thé lors d’un repas qui se rapprocherait du brunch, si j’ai bien compris. Il y a des dim-sums vapeur, mais aussi des frits, des raviolis, des buns, du riz gluant, des légumes marinés… dans le restaurant, c’est la valse des paniers vapeur et des serveurs ; les plats qui encombrent les tables alentours sont à chaque fois bien plus variés et nombreux que les nôtres, et il n’est pas rare qu’ils soient encore bien garnis lorsque les personnes se lèvent pour partir. Il faut manifestement beaucoup de plats pour partager. Cette tendance à la profusion explique peut-être pourquoi, par contraste, nous n’en ayons pas eu pour cher à chaque fois, vils racleurs d’assiette que nous sommes, élevés dans la hantise du gaspillage. Palpatine et moi, qui sommes du genre à compter les pommes noisettes, entendons le partage en un sens beaucoup plus mathématique (équitable, dirons-nous) : trois pour toi, trois pour moi ; c’est ton combientième ? celui-là, tu me le laisses, c’est le mien.

Pour ce genre d’observation, les restaurants plus populaires se sont avérés les meilleurs – même si leur thé, lui, était loin de l’être. Le thé vert au jasmin tient en effet lieu de carafe d’eau. J’ai souvent repensé au vendeur de Mariages Frères qui, face à mon étonnement devant la différence de prix entre deux thés au jasmin, m’avait expliqué les différences de qualité. À Hong Kong, on peut déduire la qualité de ce que l’on va manger du thé que l’on nous sert en arrivant : les étoilés servent un thé très fin, dont on descend plusieurs théières ; les chaînes, un verre de ce qui ressemble à du thé glacé réchauffé – à vous faire douter que la colonisation ait jamais eu lieue. Passant outre ce breuvage légèrement injuriant à l’égard d’une double tradition, j’ai pu goûter un autre plat, semble-t-il plus populaire : le congee, délicieuse bouillie de riz.

 

Congee

 

J’ai en revanche passé mon tour sur la cuisine de rue et ses brochettes plus ou moins identifiables (on a soupçonné l’hippocampe grillé dans un secteur de notable puanteur). Les petites boules jaunes restent un mystère : pomme de terre ? agglomérat de porc ? de poisson ? On reste aussi perplexe que devant les nombreuses boutiques pleines d’organismes séchés, que l’on a du mal à identifier comme végétal ou animal, même si l’on finit par distinguer des moules. Aucune idée de ce que l’on en fait : est-ce que cela se mange tel quel ? se réduit en poudre pour des décoctions médicinales ? Auquel cas, j’espère, elles guérissent de tout ce qu’on peut attraper en mangeant les plats cuisinés sur le trottoir, au ras des gaz d’échappement, que proposent d’innombrables bouibouis. The salmonellose experience, comme l’a surnommée Palpatine !

 

 

Moins traditionnels, peut-être, mais beaucoup plus appétissants étaient les desserts d’Honeymoon Dessert, une chaîne de restaurants proposant uniquement du sucré. Parmi les innombrables déclinaisons à base de mangue, coco, haricot et thé matcha, toujours plus ou moins en gelée ou avec du tapioca, j’ai goûté des pancakes très légers à la mangue et crème fouettée, une soupe mangue-coco où flottait un pudding de tofu, soyeux, que je n’aurais jamais imaginé dans une préparation sucrée, ainsi qu’une soupe chaude de sésame noir avec des jar-jar beans (!). Le tapioca qui accompagnait cette dernière n’était pas très digeste mais le sésame noir, quel goût addictif ! Je vous laisserai donc imaginer l’acmé gustatif que sont les buns au sésame noir, petites brioches à la pâte moelleuse et ferme sans être élastique, qui se tiennent parfaitement entre les baguettes noires avec lesquelles on les approche de notre bouche pour les croquer et révéler un fourrage noir et brillant comme du goudron frais, qui répand chaleur et saveur dès qu’on l’a enfourné. Un délice !

 

 

Le top 3 du séjour :

  • Din Tai Fung (68 Yee Wo Street, Causeway Bay) pour les dim-sums au porc et les buns au sésame noir ;

  • New Shanghai (dans le centre des expositions) pour les dim-sums aux légumes, les seuls à être fins sans être fades ;
  • Xia Mian Guan (dans le centre commercial Elements de Kowloon) pour les nouilles.

Et vous, dans tout ça, vous goûteriez quoi ?

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