Josh, suivi par sa femme Cornelia, s’entiche de Jamie et Darby, de vingt ans leurs cadets. Dit comme ça, le pitch de While we’re young ne me disait rien. Heureusement trainait par là le nom d’Ibsen. Je connais encore très mal l’oeuvre du dramaturge, mais le peu que j’en ai découvert a suffi à faire de son nom un mot magique : Ibsen, c’est l’assurance d’une compréhension incroyablement fine de la nature humaine. Certes, l’adaptation entraîne toujours le risque d’une déperdition, mais ne connaissant pas la pièce originale, je suis prête à le courir – surtout confortablement installée dans un siège de cinéma.
J’ai été surprise par les nuances que l’humour n’aplatit jamais. Cele tient à des détails, sûrement, mais qui, accumulés, ont un effet de vérité. Par exemple, au restaurant, alors que les deux couples tentent de se rappeler un nom qui leur échappe, Josh a le réflexe de sortir son téléphone pour appeler Google à la rescousse ; Jamie lui fait signe que non : c’est plus amusant d’essayer de se rappeler, quitte à faire chou blanc sur le moment et à ce que le mot revienne de lui-même des heures plus tard, alors qu’on ne le cherchait plus. J’aime que ce qui trahisse l’âge face à la technologie ne soit pas sa maîtrise (exit le cliché du jeune qui se débrouille mieux parce qu’il est jeune, et du moins jeune parce qu’il n’est pas né avec) mais le rapport de relative indifférence que développent plus aisément ceux pour qui cela va de soi – même s’il y a là un certain snobisme, comme le montrera ensuite l’appartement de Jamie aux étagères remplies de vinyles (la taille de l’appartement dit aussi le statut social qui favorise ledit snobisme).
Le film joue avec parcimonie la carte de celui qui se rend risible parce qu’il fait des choses qui ne sont plus de son âge1 : il y a la chute de vélo de Jamie, due à un début d’arthrite, et son chapeau sans élégance qui crie « j’aurais voulu être un artiste », mais le décalage n’est pas utilisé comme une ficelle comique récurrente. La cérémonie occulte durant laquelle l’assemblée tout de blanc vêtue vomit ses tripes (ses démons, selon la version officielle du chamane) tourne moins en dérision les quadra qui se demandent ce qu’ils font là (surtout Cornelia) que les délires de la jeunesse. Car il faut que jeunesse se passe – cela aurait pu donner un titre dans la tradition des titres français qui boudent les traductions.
Plutôt que de montrer la jeunesse comme un idéal perdu vers lequel tendent désespérément ceux qui s’en éloignent, le film trace une esquisse, en creux, de ce qu’est l’âge adulte, à commencer par la difficulté à se sentir adulte. À la fin du film, lorsque le comportement de Jamie force Josh à prendre ses distances avec lui, il avoue que l’admiration que le jeune homme lui a manifesté l’avait fait enfin se sentir adulte, qu’il pouvait être un modèle, indépendamment du rôle de père que la stérilité de sa femme a écarté. J’ai été un peu déçue d’ailleurs de l’issue du film, qui corrobore l’idée répandue qu’on ne peut être pleinement adulte qu’en étant parent. Force est de reconnaître cependant que, là aussi, le constat est nuancé : si le couple d’amis de Jamie et Cornelia qui vient d’avoir un enfant s’extasie sur le changement apporté dans leur vie, le père reconnaît plus tard qu’aussi fort soit son amour pour son enfant, il n’a pas comblé toutes ses aspirations et, si cela a modifié son quotidien, cela n’a pas substantiellement modifié sa manière d’envisager sa vie.
Jamie et Darby forment en quelque sorte un repoussoir qui sert pour Josh et Cornelia à prendre conscience que la manière dont ils envisagent leur vie influe sur la manière dont ils la vivent. La jeunesse n’intervient qu’en tant qu’une certaine conception de la vie y est attachée, où le temps paraît illimité. Josh continue à vivre sur cette illusion, même après en avoir perdu le bénéfice, qui est de se risquer (sur le mode : il sera toujours temps ensuite de redresser la barre). Il traîne depuis des années son documentaire sans parvenir à l’achever – à le monter, précisément : les rushs sont plus que suffisants, mais il ne se résout pas à faire le deuil des heures d’enregistrements qui devront être laissées de côté, comme il ne se résout pas à faire le deuil des possibles que son existence a rendus impossibles. Et pourtant, s’il ne monte pas son film, c’est l’intégralité des enregistrements qui sera perdue ; s’il ne fait rien de sa vie, elle passera quand même. La jalousie qu’il éprouve envers Jamie lorsque celui-ci sort son documentaire trahit surtout le fait qu’il n’aime pas ce qu’il est lui-même devenu – et l’amertume de ce constat se mêle à la déception après la découverte des motifs égoïstement puérils qui ont animé Jamie.
Au final, si Josh s’est senti en décalage avec le couple d’amis de son âge, ce n’est pas ou pas seulement parce qu’ils ont eu un enfant, mais parce que, contrairement à lui, ils ont admis que le temps se dérobait devant eux et que, s’ils voulaient faire quelque chose, il fallait le faire maintenant2. While we’re young, tant que nous sommes jeunes – aucun jeunisme là-dedans : il ne s’agit pas du fait que, vieillissant, on n’est plus bon à rien, mais de ce que la vie a toujours déjà commencé. Être adulte n’est peut-être rien d’autre qu’en prendre conscience : la vie a toujours déjà commencé. (Mais putain, ce que c’est difficile – voir en face que nous sommes mortels et continuer à vivre comme si de rien n’était.)
Mit Palpatine
1 Petite pensée pour Hugh Grant dans Le Come-back.
2 Hasard aujourd’hui de lire dans ce post : « finalement, ce qu’on fait, ça compte peu, ce qui compte, c’est de faire des choses »