Journal d’août 3/4

Le week-end du 15 août a été du 11 au 15 août cette année, en Touraine, chez les amis du boyfriend : ils sont éparpillés aux quatre coins de la France et se retrouvent une fois l’an pour quelques jours de fête.

le barnum illuminé et perdu dans la nuit noire

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Vendredi 11 août

L’amie du boyfriend qui héberge le grand rassemblement annuel de leur groupe nous récupère en voiture à la gare. Sur le trajet, le boyfriend demande qui vient ou ne vient pas finalement ; je demande qui est le qui qui vient lorsqu’il ne figure pas sur mon trombinoscope mental. Pour certains, j’ai le prénom mais pas le surnom : pour d’autres, le surnom mais pas le prénom ; pour d’autres encore, ni l’un ni l’autre, et parfois pas même la relation intermédiaire.

Le boyfriend se crispe en entendant le prénom du compagnon d’une ex-ex, avant d’apprendre qu’ils se sont séparés, et qu’il aura ainsi le plaisir de retrouver l’ex de son ex sans avoir à craindre ladite ex. Accueillir cet ancien ami dans le club des ex de V. amuse tellement le boyfriend qu’il lapsusse et me présente comme V. avant de se reprendre aussitôt. C’est parfait, on peut charrier qui de droit ; la moquerie se redirige gentiment vers le boyfriend plutôt que le récent célibataire malmené.

Deux gravures bleutées, sur un mur avec un décrochement, qui créé deux surfaces plus ou moins éclairées

Le AirBnB est étriqué et vieillot au possible. Il y a des meubles en bois sculptés, chaises et buffet ; des napperons en crochet ou en dentelle épaisse ; une suspension candélabre avec deux ampoules transparentes et une dépolie, toutes en forme de flamme ; de la vaisselle blanchâtre  ni opaque ni transparente ; des gravures de nature bleutées qui ont dû perdre leurs pigments rouges dans les années 1990 à l’étage, et une photo de rouge-gorge enneigé isolé du papier-peint fleuri par une baguette dorée dans la chambre au rez-de-chaussée, également dotée d’une descente de lit poilue. Pas de doute, nous sommes chez Jacqueline. Comme à Langeais, dans notre précédent AirBnB de Touraine, tenu par une autre Jacqueline. Comme mon arrière-grand-mère, Jacqueline pour tous ceux qui ne pouvaient pas l’appeler mamie-de-Sanary. C’est peut-être pour ça que je me sens facilement bien dans cette petite maison laide. Une familiarité d’époque passée. Je crois même reconnaître une babiole colorée en forme de poule-coquetier sur le buffet.

Plusieurs tentes ont été montées dans le jardin, mais tout le monde n’est pas encore arrivé : la grosse soirée du week-end est pour le lendemain. En attendant, c’est la Friday night fever ; cette première soirée est déjà bien tardive, bruyante et arrosée. Un feu est improvisé à même le sol, puis cerné de briques, pour alimenter en braise le barbecue pendant tout le week-end. Les premières grillades arrivent vers 22h, quand le saladier de taboulé géant a déjà été bien entamé. Ni trop sec, ni trop humide, le secret est de le cuisiner dans du gaspacho, apprends-je.

Il fait nuit noire quand il est temps pour moi d’aller me coucher, et j’appréhende d’arpenter seule vingt minutes de route noire, d’herbes noires, d’air noir, d’arbres, de bruits et d’ombres noires. D’être seule sur le chemin et peut-être de ne pas l’être. Une convive motorisée éprouve la même appréhension et fait très gentiment l’aller-retour pour me ramener au AirBnB. Je me sens vulnérable au nez-de-chaussée sans fermer la porte à clé (nous n’en avons qu’un seul jeu), et m’installe sur le canapé-lit à l’étage. L’escalier et la porte vitrée du salon tiennent à distance la crainte d’une intrusion ; j’y suis comme suspendue, contenue, en sécurité.

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Samedi 12 août

Est-ce dans les lieux les plus laids que l’on fait le mieux l’amour ? Nous ne sommes pas prêts de si tôt, en tous cas. Le boyfriend se hâte et part avant moi, m’offre un moment de solitude. Socialiser en grand groupe me prend pas mal d’énergie ; j’accueille avec gratitude la possibilité de recharger les batteries dans l’introversion. Je prends mon temps, je traîne même, à me préparer puis sur le chemin : je ne peux pas ne pas faire de la balançoire près de l’étang. Il me faut pourtant me réhabituer aux sensations de la vitesse courbe, des organes désorientés. Réapprivoiser une oscillation de petite amplitude me rend incrédule : je montais si haut, si petite ! Les jambes vers le ciel, le corps renversé vers l’arrière… mais c’est que ça aide à stabiliser le niveau à bulle interne !

Je me balance, lentement, longuement peut-être, et le paysage se met à respirer, le vent léger dans les feuillages, loin, sur l’étang tout proche, dans les hautes feuilles juste devant ; la chaîne métallique de la balançoire grince de tout mon poids, en rythme, irritante d’abord puis apaisante par sa régularité ; sur un banc dérobé, à ma droite, une conversation a lieu ; à ma gauche, de l’autre côté de la route, un coq invisible s’égosille tardivement ; le moteur de la voiture qui vient de passer s’amenuise dans une illusion de silence, qui ne cesse de bruire calmement. Je repense souvent à cet article contre-intuitif conseillant aux gens sensibles aux bruits de tenter d’identifier 5 sons distincts autour d’eux. C’est contre-intuitif, car on aurait tendance à penser que cela ramène à la conscience des sons que l’on avait occulté, mais c’est assez efficace : au lieu d’être un magma oppressant, le bruit se feuillette, se divise en couches identifiables  qui, en se spatialisant, écartent le son et tiennent à distance l’assaut sonore. On se retrouve au milieu d’un tissu sonore aux fibres espacées, extensibles. L’effet est apaisant.

Au dernier virage avant d’arriver à la maison des festivités, je croise le boyfriend en sens inverse, à l’arrière d’une voiture qui ralentit à peine : ils vont faire des courses et reviennent, gaillards. Je suis un peu dépitée, regrette de ne pas avoir moins ou davantage traîné. Il est trop tard pour faire demi-tour ; je prends mon courage à deux pieds et vais jusqu’au fond du jardin m’installer en bout de tablée. Une trentaine de personnes sont réunies sous le barnum ; c’est LA grosse soirée du week-end. Mes voisines sont adorables, mais c’est laborieux : les questions entraînent des réponses qui tournent vite court, et nous sommes un peu loin, un peu nombreuses pour nous absorber dans les conversations déjà amorcées — sauf une, sur le banc, qui a tôt fait de nous offrir son profil et de nous abandonner à nos chaises. Nous concentrons nos efforts sur les mines du secourable bébé à nos côtés, dissimulant nos silences dans des sourires.

Quand j’ai raconté ensuite la scène au boyfriend, énumérant les personnes présentes, il s’est mis à rire : nous nous étions retrouvées entre +1 toutes plus introverties les unes que les autres. Convenablement présentée par un tiers de confiance huilant nos silences, la lâcheuse sur son banc s’est révélée une timide ancienne danseuse, passée au yoga pour fuir la frustration du corps qui ne sait plus, de l’épanouissement perdu dans l’indifférence des cours-bataillons. Je la comprends tellement (cela me confirme qu’il y a vraiment quelque chose à faire pour les cours adultes). J’aurais bien continué à discuter longuement et à boire sa beauté en l’écoutant parler, assise en tailleur le dos bien droit, mais nous nous sommes tues quelques temps après une flambée enthousiaste — je n’aurais jamais pensé entendre parler du prix de Lausanne au milieu de la barbac’, dans l’odeur du CBD.

C’est tout un concept de découvrir trentenaire un genre de fête qu’on n’a pas fait dans sa vingtaine, avec des quarantenaires qui se sont pour certains reproduits. Ce ne sont pas forcément les femmes qui ont les cheveux les plus longs, ni les hommes qui boivent le plus. La musique tantôt se danse, tantôt se hurle. Les cigarettes ont des formes plutôt coniques et le taboulé est fait maison avec la menthe du jardin. L’évolution du groupe se devine aux pièces rapportées : les plus anciennes ne dépareillent pas, y’a un truc brut de décoffrage commun, hérité d’une jeunesse qui dépote ; les plus récentes (dont je fais partie), rencontrées après un assagissement relatif, sont plus soft, allant jusqu’au profil catho-bourgeois. L’ensemble est très hétéroclite et surprenant, mais parfait pour me secouer un peu et me faire prendre conscience par contraste de cet entre-soi bobo-BCBG-citadin, où être intelligent est plus ou moins synonyme d’être intellectuel (et où l’on est beaucoup moins accueillant). Debout, près de la maison, je discute un temps avec mon homonyme à une lettre près. Les lapsus auront été suprenamment peu nombreux durant le week-end. Ici, je suis la femme à Titi, ça me va bien aussi.

Ce soir-là, Titi compte mitonner une petite sauce aux champignons, mais il est réquisitionné en secret pour dessiner la carte d’anniversaire de notre hôte. Je le vois qui s’énerve d’être pris au dépourvu, partagé entre l’agacement qu’on considère le dessin comme une activité de môme ou de génie, qui ne prendra que quelques minutes, et le stress de décevoir (et se décevoir) en produisant quelque chose dont il ne sera pas un minimum satisfait. Je perçois le décalage entre la requête de ses amis et la manière dont il la reçoit. Il peste contre la dernière minute et s’escrime au brouillon avec un portrait sans référence de l’anniversairée. Je suggère un gâteau avec des bougies, tout aussi indiqué et bien moins complexe à dessiner. Les interruptions sont nombreuses, à cacher régulièrement la carte et à faire semblant de dessiner avec les enfants rassemblés en admirateurs, mais la carte est finalement patissée et les signatures successives obéissent au même régime de manège secret. La cuisine peut alors reprendre sans métaphore ; le boyfriend rejoint le saladier débordant de champignons émincés.

le barnum illuminé tandis que la nuit commence à tomber (il fait nuit dans les arbres et encore clair dans le ciel)

Plus tard dans la soirée ou dans la nuit, on se met à danser. Forcément, je ne suis pas en reste et me fais remarquer : j’ai beaucoup moins d’inhibitions à danser qu’à parler en groupe. Le boyfriend n’est pas en reste, ça me surprend-réjouit-m’émeut. Il headbang et je rencontre incarnée sa jeunesse dont je n’avais que des récits.

En pause près du feu, un enfant de 12 ans m’explique que son père a recommencé à fumer. « Ça me navre un peu, » conclut-il, employant vraiment le verbe navrer à 1h30 du matin tandis que ledit père danse avec un certain grammage dans le sang.

Être identifiée comme prof de danse en soirée est un peu étrange. Une convive qui a l’alcool adorable et admiratif me demande sans cesse : « Vas-y, montre-moi des mouvements, je copie. » Darling, c’est du hard rock et je (ne) suis (pas encore) prof de danse classique. Je n’ai pas de move à t’apprendre, je fais littéralement n’importe quoi. « Ce n’est pas vrai, tu ne fais pas n’importe quoi, tu mélanges plein de styles, » corrige le 12 ans qui analyse décidément beaucoup trop finement les adultes. Je gesticule boîte de nuit, accentue flamenco, déhanche pop, décélère contempo, tourne, sautille aussi sur place avec les autres quand ils s’y mettent.

Le contraste avec ma réserve de sociabilité parlée est manifestement flagrant : « Toi, t’aimes pas les gens, mais quand on met de la musique… » La remarque tout sourire émane d’une nana pas croyable, qui pourrait tout à la fois être routière et puéricultrice (en réalité technicienne du spectacle). Sur sa table de mixage, tous les curseurs ont été poussés au max ou à l’excès — saturation et exaltation. Je voudrais trouver plus opposé à moi que je n’y parviendrais pas : elle est extravertie au dernier degré, gouailleuse et sans aucun filtre, tellement cash et grossière qu’elle ne parvient pas à être vulgaire, beaucoup trop franche et primesautière pour ça ; elle ne laisse pas sa part au lion à chaque tournée de barbecue, et s’abreuve à un cubi de rouge qu’elle est seule à siffler, un vrai mec dans l’idée ; par la voix, le rire et la corpulence, elle déborde et occupe la place… sans jamais empiéter sur celle des autres, qu’elle est prompte à prendre sous son aile, et que je te cajole et te mijote ; c’est peu de dire qu’elle met l’ambiance, et ses yeux qui brillent fort, on sait sans hésiter que ce n’est pas que d’alcool. À côté d’elle, nous sommes tous étriqués, nous manquons tous de générosité. Je lui ai laissé la charge des rares interactions que nous avons eues, c’est trop pour moi, une autre planète, ça me ferait presque peur, et en même temps, la force de la sympathie qu’elle transpire, c’est pas croyable. Ça m’a fait plaisir du coup, quand le boyfriend m’a rapporté le lendemain son incrédulité enthousiaste : non mais ta femme, elle a pogoté et tout… (J’ai cependant dû Googler pogoter.)

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Dimanche 13 août

C’est le lendemain de la grosse fête, ça dort dans les hamacs, les tentes et le coffre ouvert d’une voiture, dont ne dépassent que des pieds.

On récupère le shampoing acheté en même temps que les victuailles pour le groupe et oublié sur la table de la cuisine ; non, ce n’était pas du miel.

Après la soirée de la veille, les corps qui ont tant bu, mangé et dansé, le mien qui est sorti de sa réserve, les interactions me semblent plus fluides. Le déjeuner, décousu, frugal ou pantagruélique, se diffracte en saladiers, puis on somnole dans l’herbe. J’ai passé ma robe rouge dos nu et fleurie, et je suis dans l’ambiance : dominicale, champêtre.

Un jardin, des arbres, un barnum, mes pieds en sandales rouges, assorties à ma robe

Faim, ennui, fatigue, opportunisme… comme la veille, je mange presque en continu. Le manque de chocolat (j’ai oublié ma tablette de secours au AirBnB) me fait bouloter les gâteaux des enfants ; je m’enfile des faux Prince juste pour le fourrage cacaoté. Ça me rappelle l’époque du conservatoire, certains soirs où l’on rentrait tard avec Mum : on trempait des Prince dans un chocolat chaud et l’on décrétait avoir dîné.

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Lundi 14 août

Après-midi jeux de sociétés, dont je n’ai jamais entendu parler. D’abord Just one, où le groupe doit faire deviner un mot à une personne en proposant chacun un unique mot (adjectif épithète, référence, association d’idée, second élément d’un mot composé…). Le twist étant que si deux personnes proposent le même mot, il est éliminé des indices proposés à la personne devant deviner : on est ainsi poussé à chercher des associations originales pour éviter de voir neutralisées les plus bateaux (au point que parfois personne ne se risque à l’évidence). Par exemple, pour faire deviner le mot « pince », le groupe a proposé « barrette », « outil », « -mi », après élimination du « crabe »… Cela m’a rappelé quand je jouais à Pyramide avec ma grand-mère : j’adorais les associations lexicales, et j’ai eu l’impression d’en retrouver la dextérité (petit pincement incrédule quand mon « absinthe » s’est fait éliminée pour cause de doublon, alors qu’il fallait faire deviner le mot « fée »).

Après Just one, nous avons joué à Meuthe, qui est en quelque sorte l’inverse : à une question donnée, il faut répondre par écrit ce qu’on imagine que le groupe va répondre en majorité (chocolat et non vanille pour le meilleur parfum de glace, preuve que je joue avec des gens bien). Les réponses à côté de la plaque suscitent de l’amusement (mais d’où tu sors ton rhum-raisins ?), mais je préfère tout de même le jeu précédent, qui, tout en conservant un enjeu sur les choix du groupe, stimule la créativité.

On est ensuite passé à un jeu de rôle, et bien que j’ai tenté, je ne sais pas jouer à ça, ça ressemble trop à de l’improvisation théâtrale. En tant que spectatrice, ça aurait été parfait. J’ai assisté incrédule à une parodie de pub pour la bière (pratique quand il y a une tireuse à deux pas), à une attaque de zombie (l’attaque à la pelle de chantier était si imprévue et si réaliste qu’il a fallu longuement rassurer le fils de la cible — non, on ne veut aucun mal à ton papa, c’était pour de faux) et à une parade Disney (K. méritait déjà en petite sirène, allongée sur le ventre sur le banc et balançant les jambes telle une ado écrivant son journal dans une série US, mais alors le papa qui battait des cils en triturant ses cheveux réarrangés à la va vite en tresse sur le côté, a battu des records en reine des neiges en casquette).

Photo de nuit, avec ma silhouette diffractée. Une rose est surexposée, qui semble répondre à un "haut les mains"
Haut les mains !

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Mardi 15 août

Rose qui semble lever les mains (deux bourgeons de part et d'autre de la rose)

La dernière tablée est un peu off — ou juste calme ? On rationne poliment sa gourmandise sur le gratin de pâtes au pesto, et on boulote pour compenser du fromage sur les derniers morceaux de pain (dé)congelés. Quelques téléphones passent de main en main : on admire sur Instagram les gâteaux délirants et les doudous faits main d’une ancienne cheffe pâtissière de haut vol reconvertie en créative mère au foyer. Sa petite fille et la cousine de celles-ci jouent avec leur trottinette ; il s’agit non pas tant de trottiner que de passer et repasser au stand F1 tenu par leur papa pour regonfler les roues (en plastique dur, plein) avec la pompe à air ayant œuvré pour les matelas des convives campeurs.

Les départs s’égrainent, on attend mollement l’heure du train, sur le banc du bas, sur les chaises du haut, sur le muret de la terrasse, brièvement allongés sur l’herbe, ça traîne et puis ça y est. Nous voilà rentrés.

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Mercredi 16 août

Journée chill de décompensation. Je procrastine le tapis de yoga matinal et me re-glisse sous la couette du matelas pneumatique sitôt les volets repliés : quelques pages de lecture fenêtre ouverte pour attraper la douceur du jour.

Je reprends doucement :
pied dans le calme
le bouquin (relecture, illustration et recherche iconographique)
une petite barre-au-milieu de reprise : je ne cesse de reprendre, cet été (autrement dit : je ne cesse d’égarer ma discipline)

J’ai été rajoutée sur le WhatsApp du groupe : à moi les recettes ! (Tu m’étonnes que la tartinade à la courgette était bonne : il y a un Saint-Morêt entier dedans.)

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Jeudi 17 août

La chaleur revient et, avec elle, la perception de l’été.

Une proposition amicale et une nocturne gratuite entament notre flemme récupératrice. Allez, pourquoi pas, je n’ai jamais mis les pieds au musée du quai Branly ; c’est l’occasion de vérifier le malfondé de mon a priori sur les arts premiers, qui ne m’attirent pas du tout.

Jardin, volumes, passerelle qui serpente de l’accueil jusqu’aux salles : le musée est aussi chouette qu’on me l’avait raconté. Dès que l’espace s’élargit, tu te mets à danser, me fera remarquer le boyfriend en fin de visite. Je ne l’avais pas conscientisé, mais il y a de ça, un appel de mouvement comme un appel d’air, créé par le bâtiment et sa scénographie sombre comme une scène de théâtre. Les œuvres mettent en corps, aussi : je me surprends à mimer les expressions des masques d’Océanie, beaucoup plus toonesques que je ne l’aurais imaginé. Je ne sais pas si ce sont les proportions improbables (qui te déplacent les organes mieux qu’un manège à sensations) ou les matières organiques (le bois, c’est de suite plus vivant que du métal ou de l’huile sur une toile), mais y’a un truc ténu, tenu, qui fait écho dans le corps, je crois. C’est assez fort en tous cas pour qu’un visiteur se mette à douter : si ça se trouve, ça porte malheur de regarder tout ça.

Dans un reflet de vitre sombre : nos silhouettes noires qui se découpent sur des costumes colorés

Malgré sa belle mise en valeur de la dimension esthétique des œuvres (qui de fait éveille en moi une curiosité à laquelle je ne m’attendais pas), la muséographie m’a fait tiquer : les œuvres sont rangées par ère géographique, d’accord, mais toutes les époques sont mélangées et il faut vraiment rester attentif aux mentions minuscules des cartels pour distinguer ce qui date du XVe ou début XXe siècle. Est-ce que ça ne contribue pas à renforcer une vision très occidentale de peuples primitifs anhistoriques ? Et en même temps, cette présentation renverse  la curiosité pour l’exotisme en fascination esthétique…

Nous nous attardons un peu à la sortie dans les jardins illuminés, dont la féérie m’a rappelé Hong Kong et Kuala Lumpur. Je ne sais pas si ce sont les plats nus vus un peu plus tôt, mais je rêve de dhal, non : de palek paneer ! C’est l’heure de dîner, et l’heure pile : petit shoot de Tour Eiffel qui frétille avant de mettre les pieds endoloris du boyfriend au repos dans un Uber.

Des nouilles instantanées, sur le canapé, tard. L’amour, sur le canapé, tard.

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Vendredi 18 août

Pas de barre : incriminons la chaleur, c’est commode. Je me perds dans la recherche iconographique et le découragement ; j’illustrationne à m’en faire mal aux yeux pour compenser. Lis ensuite pour décompenser (toujours cet ouvrage passionnant de Wilfried Piollet, qui le devient un peu moins lorsqu’elle passe la parole aux gens qui témoignent de son enseignement et nous perdent en remerciements).

On passe la journée à taper dans nos mains et à nous faire piquer tout de même. À l’heure du dîner, alors que la chaleur s’installe pour la nuit, le boyfriend se lance dans la confection d’un deuxième gâteau au chocolat, four allumé, blancs montés en neige à la main — il est meilleur en cuisine qu’en kairos. Quand la bête est au four, salade lentilles-échalotes-pomme fruit : ça désarçonne le boyfriend, et puis si.

The Devil all the Time sur Netflix : entre la religion et les armes à feu, il n’y a rien à sauver. C’est comme La Bête humaine : on aurait pu aligner les protagonistes le long d’un mur et les fusiller, le résultat n’aurait pas été très différent — sauf que si, parce que bizarrement, même en n’allant nulle part, ça fait un très bon film. Précisément parce que ça ne va nulle part, à la réflexion : à chaque fois que des fils narratifs se recroisent, une boucle se forme et se referme, resserrant un peu plus le nœud à chaque fois, jusqu’à clore en un garrot bien crade l’hémorragie diabolique. (Plaisir aussi à recroiser Mia Wasikowska.)

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Dimanche 20 août 

J’apprends la fermeture de la plate-forme des skyblogs sur Mastodon et sauvegarde in extremis le mien avant suppression. Tout ceci ne nous rajeunit pas (mais j’ai découvert le format PNG depuis).

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