Comment échouer mieux, c’est presque un how-to Shadock que nous promet le titre (beckettien, en réalité). J’imaginais un essai quelque part entre ceux Charles Pépin et Claire Marin. J’y crois pendant le premier chapitre : Claro déploie les possibles de la sémantique, l’imaginaire de la faille, de la rive où l’on échoue… Puis, ah, ça se transforme en essai sur la traduction ; ce n’est pas ce que j’attendais, mais pourquoi pas, c’est bien mené, de l’humour, j’achète — d’autant mieux que je n’ai rien déboursé. Quand, oh, un inventaire à la Prévert (à la Sei Shonagon, dixit Claro) de ce qu’est poétiquement l’échec puis des échecs personnels de l’auteur. Vous prendrez bien un récit éclaté en feuilleton, tant que nous y sommes, hé. On se fait balader comme ça, dans un essai-lasagnes de courts chapitres qui n’ont rien à voir avec la choucroute, mais qui font monter la sauce béchamel. On échoue de rive en rive en rime à rien : Oui-oui fait nod-nod, la traduction est abandonnée pour la littérature étrangère, Kafka, Pessoa, Cocteau et on revisite Vertigo au prisme de l’alcoolisme. Je crois avoir moi aussi échoué à bien lire ce livre, pas vraiment dans le mood pour un essai littéraire (le propos sert la littérature quand je m’attendais à ce que la littérature serve le propos). L’humour qui faisait mouche au début me l’a fait prendre à la fin, le prétexte virtuose de l’échec finissant par tourner à vide. Ça a failli me plaire — est-ce un échec ? donc une réussite ? ou un échec échoué ? Et mat, à la fin.
Faillir, c’est aussi bien faire et ne pas faire ; se planter et ne rien semer. Échouer, c’est aussi, notons-le, arriver, certes mal en point, mais arriver néanmoins, tant qu’à faire sur la plage abandonnée, coquilles et crustacés.
La traduction est la grande école de l’échec. […] Que penser en effet de cet amour immodéré pour un texte qui pousse l’amant à supprimer intégralement chaque mot du texte adoré ?
[…] Quand je traduis « bread » par « pain », je fais comme si le rectangulaire pain de mie anglais avait le pouvoir de s’arrondir, s’allonger, se fendiller et dorer pour prendre l’allure d’une sémillante baguette parisienne.
Ce passage-ci m’a fait penser à Guillaume Vissac (et la suite, où Claro parle d’écrire avec la gomme) :
Une question qu’on pose souvent à l’écrivain, une question faussement ingénue : que voulez-vous dire quand vous dites… Ce à quoi il pourrait répondre : je ne veux rien dire parce que je ne dis rien. Je ne suis pas dans le dire. Je contre-dis, systématiquement, tout ce qui transite par ma tête, mon corps, ma pensée, car je sais, ou du moins je subodore, quelles sont ces choses qui aimeraient être dites. Elles sont là, elles attendent, fossilisées dans la langue qui et à ma disposition, dûment faisandées par la société qui chercher à les fourguer. Si je les dis, si je les exprime telles quelles, elles resteront lettres mortes. Je dois en former de nouvelles, déformer les anciennes et ne rien laisser passer qui soit passible d’évidence.
Le monde nous a tellement gavés de phrases toutes faites, de descriptions de descriptions, de mots d’ordre, de conseils, de certitudes, il nous a tellement roulés dans la farine des truismes que, pour une fois, nous sommes secrètement heureux de nous casser les dents sur du sens. Enfin le langage, telle cette chose en nous qui jamais ne se livre tout à fait, nous résiste, comme l’Autre nous résiste. […] Enfin, des choses obscures s’efforcent de nous faire signe, par de l’obscurité, et non par une fausse clarté.