L’Art d’aimer et de jouer à l’élastique

 

Vanessa se risquait à une belle nuit de sexe dérobée à William mais refuse de se l’octroyer lorsque Louis lui dit son amour. Louis, c’est Emmanuel Mouret, qui filme les métamorphoses du désir sans faire d’histoire. L’Art d’aimer est une thématique et agrège une suite d’anecdotes pas si mineures que cela. Elles sont disposées de manière à se faire écho et celle d’Achille ponctue de ses courtes saynètes tout le film. Atermoiements amoureux : sa voisine veut une aventure et du naturel, peu compatible dans sa perspective avec la politesse, qu’elle prend pour l’absence de désir, et rend la chose difficile à Achille contraint d’éviter l’impolitesse comme la brusquerie.

Du naturel… Les dialogues, tout à la fois directs et délicats, ont un peu comme chez Rohmer une tonalité surnaturelle et mènent pourtant tout naturellement à des situations improbables. Zoé propose à son amie de lui prêter son mari pour lui faire du bien, et plus tard, après avoir décliné l’offre, Isabelle acceptera de remplacer Amélie, mariée à Ludovic, auprès de Boris, l’ami amoureux dont elle espère ainsi détruire les fantasmes — elle ne détruira finalement que leur amitié. De toute la ribambelle de personnages, elle est la seule à ne pas jouer franc jeu.

 


Des lits — flagrant délit ?

Chez Mouret, personne ne trompe personne. Tout au plus se trompe-t-on, soi-même, parce qu’on ne veut pas céder à son désir ou parce qu’on oublie que la franchise n’empêche pas d’être blessant. Ainsi Vanessa préfère ne pas cacher son rendez-vous avec Louis à William mais celui-ci, aussi désireux soit-il de laisser à sa femme sa liberté, ne parvient pas à se dissimuler que là où il y a du désir il peut y avoir de l’amour. Il ne doute pas de Vanessa qui elle-même ne remet pas en question leur amour (au point de se retire lorsque l’aventure risque de mener à une histoire) mais cela ne change rien à sa « jalousie », ce nom parfois si commode pour imputer à l’autre la souffrance qu’on lui inflige — en toute innocence, en témoigne la surprise qu’a Vanessa de se trouver ennuyée lorsque la situation s’inverse et que William annonce un rendez-vous parrallèle.

 

Gaspard Ulliel : l’argument d’autorité pour aller voir le film.
[Il ressemble ici à un camarade de lycée qui était tout sauf sexy… un peu perturbant.]

 

Ces amours à géométrie variable se jouent d’un même désir, mis sens dessus dessous selon qu’on veut ou non le faire coïncider avec l’amour, le sexe, la tendresse, le couple, le mariage ou la liberté — désir qui, quelle que soit la forme qu’on lui aura donnée, obéit aux mêmes sentiments humains, lesquels déterminent de fait l’élasticité du lien amoureux. Très proche, relâché, on le sent à peine, au point de pouvoir se croire devenu indifférent. Mais l’étire-t-on pour laisser la place à une troisième personne, les moindres mouvements de celle-ci se répercutent de part et d’autre sur le fil tendu, au risque de le rompre. En véritable artisan de l’amour, Paul prend le risque de laisser Emmanuelle sauter à l’élastique aller vers les amants qu’elle se retenait de prendre : mais alors, libre de séduire qui bon et beau lui semble, elle n’a plus envie de coucher qu’avec son mari. Le lien amoureux, véritable élastique, rapproche d’autant plus les amoureux qu’ils se sont laissés libres de s’éloigner. Après l’avoir étiré, Emmanuelle se laisse volontiers aller à la détente. Le couple, décidé une fois pour toutes lors du mariage, redevient un choix ; le lien, librement (re)noué, n’a plus la pesanteur des chaînes ; et tout cela se lit sur le visage d’Ariane Ascaride, dénoué, apaisé, radieux. Emmanuelle, Emmanuel… Mouret esquisse là un magnifique portrait.

L’art et la manière d’aimer.


9 réflexions sur « L’Art d’aimer et de jouer à l’élastique »

    1. « Il ressemble ici à un camarade de lycée qui était tout sauf sexy… un peu perturbant. »
      Je me suis fait la même réflexion devant le film (qui était bien mais ça me rend aigrie de voir autant d’appartements parisiens immenses). Ciel, aurions-nous pensé à la même personne ?

    2. klari >> Tu as dû pendre bien des gens…
      En fait, il n’y a pas une mais une myriade d’histoires, donc forcément, cela ne se résume pas aisément. Comme au ballet. Mais contrairement à la danse, c’est limpide quand on le voit. ^^

      Cécile >> Ce serait troublant mais je crois que si : *i*r** ?

    3. klari >> Tu n’es pas pendue mais comme la langue ne doit pas l’être non plus, le jeu n’ira pas plus loin pour cette fois. ^^

      Cécile >> Pas spontanément, non !

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