La piel que habito

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[À teneur fortement réduite en spoilers. Du 0% avec astérisque.]

Analyser le dernier film d’Almodovar reviendrait à le dévisager. À défaire les scènes pour mieux les habiter, on finirait par perdre leur identité et se comporter comme Robert, chirurgien, qui traite chaque partie du corps de sa patiente séparément, jusqu’à en oublier l’individu auquel il fait peau neuve. Les marques qui délimitent les tronçons de membres auxquels s’étend chaque greffe tiennent tout autant des morceaux comestibles à découper dans le bœuf ou le cochon que des coutures de vêtement – déconstructions réassemblées. Détruire ou reconstruire, on hésite, à moins qu’il ne s’agisse de détruire pour reconstruire (une vie, une vraie, Vera, la patiente) ou de reconstruire pour mieux détruire (patient vient du latin patior, souffrir). L’identité de cette patiente enfermée chez le chirurgien a disparu non pas derrière mais sur son visage, qui, nu, en cache beaucoup plus que le masque de l’affiche.
 

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La beauté d’Elena Anaya rend le spectateur incapable de dévisager Vera, qu’elle incarne, et il ne peut que la contempler comme Robert contemple cette Venus sur son écran de surveillance devenu tableau, sans plus surveiller le déroulement des opérations.
    

 

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[Elle, allongée comme un nu]
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[Lui, spectateur de l’écran-tableau, y entre comme dans la toile des Ménines]

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[Rapprochements sûrement tirés par les cheveux. On trouvera beaucoup plus facilement des allusions à Titien (sa Vénus est accrochée dans l’escalier) ou Dali (Vera allongée sur une grosse balle comme une montre molle ; le fils de la domestique déguisé en tigre). Quoiqu’il en soit, les références picturales sont trop nombreuses pour être anodines : cette forte esthétisation contribue à suspendre le jugement critique du spectateur ; la morale est supplantée par l’esthétique. Le spectateur est alors libre d’associer et assimiler les rapports abracadabrants établis ou suggérés par le film.]

La vengeance de Robert est de toute manière trop folle pour qu’on puisse la deviner sous les traits profondément humains d’Antonio Banderas, et même lorsque le flash-back est assez avancé pour que l’identité effacée de Vera se laisse deviner sans difficulté, notre curiosité croit encore au suspens. La violence de cette vengeance s’apparente au viol et la personne privée de son identité prive aussi le spectateur d’une distinction claire entre victime et bourreau. Fasciné, on ne surveille ni ne juge plus ; il en va de même du spectateur avec le film que du chirurgien avec sa captive : il l’a dans la peau. 

2 réflexions sur « La piel que habito »

  1. Excellent film en effet, et mon premier Almodovar (et par conséquent pas mon ultime). Mais ma maigre culture picturale m’a empêché de déceler la supplantation de la morale par l’esthétisme.

    1. Belle manière de s’initier à Almodovar… Ses films récents (Volver ou La Mauvaise Éducation) sont plus construits, plus ramassés, ce me semble, que ses premiers, encore plus barrés peut-être si c’est possible (Femmes au bord de la crise de nerfs en tient une jolie couche).

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