Lady Susan

Calèche au pied de quelques marches dénotant la demeure-château, bas de chausse de domestiques, sceau en cire d’une lettre qu’on décachette : Love & Friendship commence et je me dis que j’ai déjà vu cent fois cette agitation en costume d’époque1. Seuls changeront les noms et les figures. Justement, Whit Stilmann nous les présente derechef : la scène d’ouverture in media res enchaîne avec une série de médaillons qui introduisent chaque personnage avec son nom et sa fonction2… exactement comme dans les pièces de théâtre.

En abordant le roman qu’il adapte comme une comédie de mœurs, le réalisateur montre un sens aïgu du théâtre mondain/humain, dont il ne se départit jamais au cours de sa lecture. Souffle sur tout le film un petit vent mordant, qui n’empêche pas la tendresse mais prévient le romantisme. Chacun en prend pour son grade3, et je retrouve là le ton de Jane Austen – même si, n’ayant guère lu d’elle que Pride and Prejudice, je ne peux mesurer la conformité à Lady Susan.

Oui, oui, vous avez bien lu : Lady Susan. Love and Friendship, œuvre de jeunesse de la romancière, n’a pas fourni au fil sa trame – seulement son titre, probablement choisi pour conserver la binarité de Pride and Prejudice et Sense and Sensibility, les romans les plus connus (et donc les plus bankable) de Jane Austen. « Lady Susan » a pourtant un petit côté Oscar Wilde pas déplaisant, qui correspond davantage à ce que Whit Stilmann en fait (et fonctionne mieux, à mon sens, qu’une Keira Knightley trop-intelligente-pour-ne-pas-se-pâmer). Encore une victoire esthétique des roués4.


1
Un détail m’a surprise : les chandeliers allumés près des fenêtres en pleine journée. Bougies comme signe d’une époque ? Il me semblait que c’était une denrée relativement chère et qu’on l’économisait autant qu’on pouvait (d’où les économies de bout de chandelle).
2 Avec les sous-titres qui remontent momentanément au-dessus de ces légendes, c’est un peu le bazar – pas facile à suivre.
3 Chacun-en-prend-pour-son-grade : une dimension occultée par le romantisme dans le cas de Jane Austen, par le misérabilisme dans celui de Charles Dickens, et par le snobisme littéraire dans celui de Proust. Cela ne m’étonnerait pas qu’il y ait quantité d’auteurs dont nous avons une perception commune erronée pour avoir envisagé le récit et/ou le thème de leur œuvre sans souci de style.
4 Quelque part, il est assez logique que le roman, art de la mécanique humaine, fasse esthétiquement triompher ceux qui se rient de ses rouages. Victoire de la lucidité, par-delà le bien et le mal.

 

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