Avec un ado engoncé dans sa vie et dans son corps, qui aimerait être aussi invisible que le correspondant imaginaire auquel il adresse son journal,
une héroïne en blouson de baseball,
un groupe de gentils freaks comprenant entre autres une gothique bouddhiste et un gay canon (Ezra Miller, je note – même son prénom est canon) dont le boyfriend ne s’assume pas,
et un instant Titanic-like à l’arrière d’un pick-up au passage d’un tunnel
… on aurait pu avoir un teen movie mièvre.
À l’inverse, avec un anti-héros qui sort de l’hôpital psychiatrique et des squelettes particulièrement osseux dans les placards du trio central, on aurait pu virer dans le glauque ou, à tout le moins, dans le mélo.
Le Monde de Charlie n’est ni l’un ni l’autre parce qu’il est l’un et l’autre : gravité du passé et légèreté des fêtes présentes font une toile de fond à la vie, irréfléchie, quotidienne, qui pour être irréfléchie et quotidienne n’en forme pas moins peu à peu une histoire, à partir de laquelle se construisent ces adultes en devenir. Il n’est pas tant question de choix que d’estime de soi, de ce qu’on a été et de ce qu’on pourrait (quand même) être.
Comprendre qu’on a l’amour que l’on pense mériter (et nos deux paumés ne pensent pas valoir grand-chose), c’est aussi comprendre qu’on ne peut pas aider les autres envers et contre eux-mêmes. On peut essayer de les amener à s’estimer en les soutenant, en les encourageant, comme Charlie qui fait travailler Sam pour qu’elle obtienne une bonne fac, mais le dernier pas, décisif, qui est d’une certaine façon le premier, ne peut être franchi que par la personne elle-même. Et cette personne, c’est peut-être aussi soi. L’avantage de faire tapisserie est qu’à force de les observant, on apprend vraiment à connaître les autres, parfois mieux qu’eux-mêmes ; l’inconvénient est que l’on risque de demeurer le spectateur de sa propre vie : ce sera alors au tour de Sam de faire comprendre à Charlie qu’il ne peut pas toujours s’effacer au profit des autres et qu’en l’occurrence, elle ne peut pas être aimée s’il n’ose pas, lui, l’aimer.
L’affiche ne rend pas justice au film, en faisant croire à un triangle amoureux là on il n’y a qu’un formidable trio : le demi-frère de Sam, redoublant, a déjà tout compris au film ; dandy et déjanté, il insuffle une certaine légèreté quand les deux autres risqueraient de se laisser entraîner par leur trop lourd passé.
Le titre français n’aide pas non plus : Le Monde de Charlie aplanit le propos, alors que The Perks of Being a Wallflower que l’on pourrait traduire par « De l’avantage de faire tapisserie » ou « De l’avantages de se fondre dans le décor » pose d’emblée le personnage au pied du mur. Et dans wallflower, il y a flower, une promesse d’épanouissement au milieu d’affreux motifs muraux.
Dans la renaissance de Sam, il y a aussi la naissance de l’actrice : Emma Watson n’a pas fait ressurgir Hermione un seul instant.
Apparemment, l’annulation de la miévrerie par le mélo et du mélo par la miévrerie fait fonctionner à fond l’identification : je soupçonne Palpatine d’avoir déjà envoyé ou reçu une compilation-déclaration maison.
J’avais envie de voir ce film, mais n’osais pas… Ta critique donne envie d’y aller. Peut-être trouverai-je un peu de temps à y consacrer ? (Mais Alceste reste prioritaire ^^)
Je comprends… (chroniquette d’Alceste à bicyclette à venir)
J’ai vu Alceste, et ces vers de Molière qui se mêlent à l’intrigue… j’ai adoré ! Sans doute mon admiration sans borne pour les deux acteurs principaux et mon amour pour les vieilles maisons m’ont-ils beaucoup influencée, mais quand même. La pièce du Misanthrope reste ma préférée parmi l’oeuvre de Molière, et même son étude à deux reprises au cours de ma scolarité n’y a rien changé. Hâte de lire ta « chroniquette » !