Petits bouts de femmes

J’ignorais que Les Filles du docteur March avaient pour titre original Little Women. Qu’importe, en VO ou non, j’y allais pour ça :

Les actrices et les robes.

Pour Saoirse Ronan (découverte dans Lady Bird, justement, le précédent fim de Greta Gerwig) et pour Emma Watson (dont la palette de jeu semble malheureusement se réduire avec les années).
Pour les acteurs aussi, on ne va pas se mentir : Palpatine s’est retourné vers moi quand il a vu apparaître Louis Garrel à l’écran, avec son regard avoue-que-c’est-pour-ça-que-tu-voulais-venir. Mais je n’ai rien avoué du tout, pour la simple et bonne raison que je deviens manifestement cougar en vieillissant : dans le rôle du gringalet à fossettes agaçant, Thimothée Chalamet me fait depuis Call me by your name beaucoup plus fantasmer.

Laurie (Timothée Chalamet) et Jo March (Saoirse Ronan), les cheveux aux vents dans la campagne

Ouais. Quand même, hein.

Bon, après, l’esthétique Jane Austen adaptée par la BBC, ce n’est pas tout le temps. Il faut se coltiner pas mal d’images d’Épinal façon Petite connerie dans la niaiserie (copyright Mum, qui anticipait ainsi ses déjeuners de RTT devant, vous aviez deviné, ne faites pas semblant : La Petite Maison dans la prairie).

Laurie (Timothée Chalamet) et Jo March (Saoirse Ronan) par terre en patins sur la glace

Pour contrebalancer la niaiserie inhérente à l’histoire, sans laquelle Les Filles du docteur March ne seraient plus Les Filles du docteur March, Greta Gerwig joue à fond la carte de la jeune fille rêveuse mais intrépide, prête à tout pour faire reconnaître son talent. Grosse impression de déjà vu avec les scènes chez l’éditeur : on croirait voir Miss Potter (l’histoire de l’illustratrice Beatrix Potter et de ses best-sellers). La narration en abyme de l’histoire en train de s’écrire permet néanmoins de combler les petits cœurs mous des spectateurs en faisant semblant de respecter le personnage qui se veut complet sans avoir besoin d’en passer par l’amour : l’héroïne du roman de Jo pourrait finir par embrasser celui de Louis Garrel, mais c’est pure supposition narrative, évidemment.

Jo March (Saoirse Ronan) en chapeau melon dans le bureau de son éditeur

Mais admettons. On peut se vouloir épanouie et complète en soi seule, et néanmoins ne pas cracher sur une compagnie affective – la subtilité est difficile à rendre à l’écran ; Greta Gerwich a le mérite de l’aborder. Non, le hic, c’est surtout que l’élan de Jo March (Saoirse Ronan) est si pur et lyrique que le girl’s power aura tôt fait d’être regardé avec une bienveillance condescendante : ah, ce petit bout de femme quand même ! Ou, pour coller à la traduction : ah, cette jeune fille tient de son père (père qu’on voit 5 minutes en tout et pour tout, mais qui définit l’identité de ses filles en son absence). Sur fond de niaiserie, la détermination peut se lire comme sous-catégorie d’une humeur caractérielle. Donc oui mais non.

On aurait bien Elizabeth (Eliza Scanlen) pour donner un peu de gravité à l’ensemble, mais la pauvre est un peu expédiée : elle donne son quota de tragique et basta.

Celle qui reste pour offrir un peu de profondeur au film – assez pour s’y projeter en tous cas -, c’est Amy March (Florence Pugh), sur laquelle on n’aurait pas parié. Alors que ses sœurs s’épanouissent dans la caricature d’elles-mêmes, la fille un peu superficielle, un peu fade, sans talent particulier (aussi douée soit-elle en peinture – elle a le courage d’admettre qu’elle n’a pas le talent pour, de peintre du dimanche, devenir artiste) révèle sur la fin tout une intériorité rentrée. En elle convergent sentiment du devoir être raisonnable, contre-temps amoureux, douleur d’être un second choix – et le quand même de qui ne se résigne pas et, tout en gardant les pieds sur terre, réclame son dû. Pas étonnant que Florence Pugh ait été nommée pour l’oscar de la meilleure actrice dans un second rôle.

Amy March (Florence Pugh) dans son atelier de peinture

Bonus cartoon pour le plaisir :

Cartoon de Jogn Atkinson
"Little Women, by Louisa May Alcot (abridged)"
Case 1 : 4 silhouettes féminines "We're poor. Let's all get married."
"Okay"
"Okay"
"Never"
Case 2 : 2 silhouettes de femmes avec 2 silhouettes d'homme à côté d'une tombe et d'une 3e silhouette féminine qui réplique "Fine! I'll get married."

Coming full circle

Affiche du film

<Spoilers : ne lisez pas tout de suite si vous comptez aller le voir au ciné>

L’entreprise éponyme au centre de The Circle est une sorte de Google-Apple qui propose toujours plus de services et de produits pour faciliter la vie des gens et récupérer leurs données. L’entretien d’embauche ressemble à une interview ciné et les heureux élus, chouchoutés par un paternalisme 2.0, vivent sur un campus-gigantesque cage dorée, assistent aux présentations hebdomadaire du chef-gourou et sont priés de cacher leurs cernes lorsque la tyrannie de la hype devient un peu moins cool.

Emma Watson incarne une nouvelle recrue et, pendant la majeure partie du film, on la suit sans déplaisir, mais sans grandes attentes non plus, tant les codes et les rouages de cet univers ont déjà été décortiqués – de manière biographique dans Steve Jobs par exemple ou avec un humour corrosif et joyeusement satirique dans la série Silicon Valley. Dans The Circle, on sourit parfois, mais on ne rit pas, ni jaune, ni franchement : j’ai mis ça un peu trop rapidement sur le compte de la réalisation façon série B+, alors que cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Le caractère relativement exogène de notre recrue ne tourne pas à la critique du système, comme on l’attendait tranquillement : non seulement elle ne déchante pas, mais elle en rajoute une couche, après avoir eu la vie sauve grâce aux mini-caméras commercialisées par la firme et installées dans les endroits les plus improbables. Les dirigeants, ravis de cette manne de bons sentiments au service de leur stratégie, l’encouragent : galvanisée par l’audience qu’elle gagne, notre héroïne propose d’aller toujours plus loin dans l’invasion de la vie privée.

C’est là que cela commence à devenir intéressant : on se met à soupçonner que si l’humour tombe à plat, c’est parce qu’il ne s’agit pas d’humour mais d’ironie. Réversibilité des discours, la critique recule d’un cran : elle n’adviendra pas par l’héroïne, mais malgré elle. Quand un nouvel accident gravissisme la force à prendre du recul sur les pratiques de son entreprise, le revirement dont il était évident d’un point de vue scénaristique qu’il adviendrait a été vidé de sa substance : le renversement tant attendu n’est qu’une révolution de pacotille. Certes, en exigeant de ses dirigeants la transparence qu’ils promeuvent, notre héroïne les fait tomber, mais pas un seul instant elle ne s’interroge sur la notion même de transparence et sur la disparition de la vie privée. Mieux : pire : elle les consacre comme indiscutablement bonnes. Ces aspirations ne sont pas intrinsèquement ambiguës, mais tombées entre de mauvaises mains, voilà tout.

Après une heure trente de bons sentiments, ce film qu’on avait naïvement cru gentillet nous abandonne sur ce constat terrifiant ; nous sommes revenus au point de départ, c’est-à-dire à l’humain et à sa capacité toujours renouvelée à nier le caractère dystopique de ses rêves. Le logo rouge de The Circle souligne discrètement que la société de surveillance capitaliste adopte face aux preuves de son échec utopiste le même mécanisme que le communisme : arguer que le principe n’est pas mauvais, mais qu’il a été dévoyé 1. Ce n’était pas le vrai communisme. De mauvaise foi en toute bonne foi. Commerciales ou humaines, nos sociétés sont des sociétés de demi-habiles, au sens pascalien du terme, incapables d’admettre que surveiller et sauver, c’est aussi surveiller et punir.

Socialist system collapses --> But that wasn't real socialism --> back to Socialism happens…
(Image twittée par @_JakubJanda sans que je puisse retrouver des crédits plus précis…)

Le plus glaçant, c’est que notre héroïne agit sans une once de calcul. She’s a natural, admire et déplore l’amie qui l’a fait embaucher. À l’aise et sincère, sans même un réel souci de popularité. Ce qu’elle fait, elle le fait pour le seul plaisir de se sentir appartenir à une communauté et d’avoir une cause à défendre. Et ce n’est pas uniquement une question de reconnaissance sociale : j’ai retrouvé là l’ivresse de l’argumentation, quand on commence à argumenter pour le seul plaisir de sentir les idées s’enchaîner et nous mener là où l’on n’imaginait pas. Peu importe alors que l’argumentation tourne à vide et n’ait plus ni frein ni lien avec la réalité ; l’excitation supplante la logique en lui empruntant sa rhétorique2.

Cet enthousiasme-ci se révèle au final bien plus dangereux que le cynisme des dirigeants, incités à la prudence par la défense de leurs intérêts financiers et politiques : c’est notre héroïne qui leur offre sur un plateau ce qu’ils n’auraient jamais osé imposer. Big Brother ne soumet plus3 : il séduit, et c’est en n’occultant pas cette séduction, réelle, que The Circle est réellement intelligent. Le film de James Ponsoldt expose tranquillement les mécanismes de séduction réels qui opèrent sur chacun de nous et qui disqualifient la critique immédiate que l’on attendait, tout aussi naïve que ce qu’elle entend critiquer.

Parce qu’il y a la défense de la vie privée, mais aussi notre envie d’en rendre publique une grande partie – la nôtre, dans un souci de sociabilité, pour être reconnu et apprécié dans un cercle d’amis ; et celles de ceux qui nous gouvernent, dans un souci de transparence. Sans avoir l’air d’y toucher, le film montre la continuité, et finalement le glissement qui s’opère, entre ne rien cacher et tout montrer, diluant peu à peu la vie publique dans la vie privée.

Lorsqu’en entretien d’embauche on lui demande de choisir du tac au tac entre deux options et que l’alternative se présente entre intérêts personnels et intérêt public, l’héroïne s’empresse de ne pas choisir : « Should be the same. » La pirouette est habile, mais reste en dehors du champ rhétorique très naïve… Et quand je vois l’actrice prêter des yeux brillants à son personnage lancé dans de beaux discours, je me demande à quel point Emma Watson a été choisie pour son engagement : quelque part, ses tribunes féministes, d’intention fort louables, exsudent le même bon sentiment naïf…

Mit Palpatine

  1. Dans Le Mystère de la chambre jaune, l’inspecteur dont Rouletabille remarque qu’il raisonne à l’envers s’avère être le coupable. Je dis ça, je ne dis rien.
  2. Je me rappelle encore mon professeur d’histoire de khâgne insister sur le caractère utopique de la pensée intellectuelle russes avant la révolution communiste… Emballement similaire de la pensée… cf. son cours, p. 23, si ça vous intéresse.
  3. Plus besoin de ré-éduquer ceux qui pensent différemment ; la stratégie de The Circle est centripète : plus de personnes se rallient au cercle, plus ceux qui en sont exclus sont isolés et incités à adhérer… ou à pâtir les conséquences de leur non ralliement.

Syndrome de Stockholm chez Disney

Emma Watson n’est jamais aussi piquante qu’en bookworm. Aussi est-ce un plaisir de la retrouver dans La Belle et la Bête. C’est même le principal intérêt du film, globalement un décalque du dessin animé, dont il conserve les numéros musicaux (parce qu’en plus, Emma Watson chante ; et oui, juste, bande de jaloux ; elle a même une voix fort agréable).

Seul ajout notable, un voyage dans le temps et l’espace jusqu’à Paris lors de la naissance de Belle, pour lever le soupçon d’une faute originelle : non, sa mère n’est pas morte en couches, comme on pourrait le croire, mais de la peste. Soit. Notre héroïne est prête pour une élection présidentielle, mais cette entreprise de blanchiment d’origine me dérange un peu, je dois l’avouer. Pour compenser, le casting comprend davantage d’acteurs et d’actrices noirs que dans le dessin animé (il en comprend, quoi). À la surprise d’en éprouver, on se dit qu’il était temps, effectivement (et pas d’effet Benetton – car absence de tout autre nuance ethnique ?).

La nature humaine est en tous cas mieux représentée que la nature tout court, totalement remodelée en images de synthèse : est-ce pour opérer une meilleure transition avec les scènes d’intérieur pleines d’effets spéciaux ou est-on devenu à ce point incapable d’apprécier ce qui n’est pas synthétisé ? Comme d’habitude, déception de voir la Bête, Lumière, Big Ben et compagnie perdre vie en reprenant corps… Il est décidément difficile de renoncer à la magie.

Planquée avec Pink Lady sous ma veste en polaire reconvertie en couverture contre la climatisation exagérée de l’UGC, j’ai en tous cas passé une excellente soirée pyjama en habits de ville.

Le monde d’Emma Watson

Avec un ado engoncé dans sa vie et dans son corps, qui aimerait être aussi invisible que le correspondant imaginaire auquel il adresse son journal,

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une héroïne en blouson de baseball,

 Le-monde-de-Charlie-Emma-Watson-Ezra-Miller

 

un groupe de gentils freaks comprenant entre autres une gothique bouddhiste et un gay canon (Ezra Miller, je note – même son prénom est canon) dont le boyfriend ne s’assume pas,

MONDE DE CHARLIE

 

et un instant Titanic-like à l’arrière d’un pick-up au passage d’un tunnel

 photo le-monde-de-charlie-the-perks-of-being-a-wallflower

 

… on aurait pu avoir un teen movie mièvre.

 

À l’inverse, avec un anti-héros qui sort de l’hôpital psychiatrique et des squelettes particulièrement osseux dans les placards du trio central, on aurait pu virer dans le glauque ou, à tout le moins, dans le mélo.

 

Sam et Charlie assis à l'écart pendant une fête


Le Monde de Charlie n’est ni l’un ni l’autre parce qu’il est l’un et l’autre : gravité du passé et légèreté des fêtes présentes font une toile de fond à la vie, irréfléchie, quotidienne, qui pour être irréfléchie et quotidienne n’en forme pas moins peu à peu une histoire, à partir de laquelle se construisent ces adultes en devenir. Il n’est pas tant question de choix que d’estime de soi, de ce qu’on a été et de ce qu’on pourrait (quand même) être.

Comprendre qu’on a l’amour que l’on pense mériter (et nos deux paumés ne pensent pas valoir grand-chose), c’est aussi comprendre qu’on ne peut pas aider les autres envers et contre eux-mêmes. On peut essayer de les amener à s’estimer en les soutenant, en les encourageant, comme Charlie qui fait travailler Sam pour qu’elle obtienne une bonne fac, mais le dernier pas, décisif, qui est d’une certaine façon le premier, ne peut être franchi que par la personne elle-même. Et cette personne, c’est peut-être aussi soi. L’avantage de faire tapisserie est qu’à force de les observant, on apprend vraiment à connaître les autres, parfois mieux qu’eux-mêmes ; l’inconvénient est que l’on risque de demeurer le spectateur de sa propre vie : ce sera alors au tour de Sam de faire comprendre à Charlie qu’il ne peut pas toujours s’effacer au profit des autres et qu’en l’occurrence, elle ne peut pas être aimée s’il n’ose pas, lui, l’aimer.
 

affiche

L’affiche ne rend pas justice au film, en faisant croire à un triangle amoureux là on il n’y a qu’un formidable trio : le demi-frère de Sam, redoublant, a déjà tout compris au film ; dandy et déjanté, il insuffle une certaine légèreté quand les deux autres risqueraient de se laisser entraîner par leur trop lourd passé.

Le titre français n’aide pas non plus : Le Monde de Charlie aplanit le propos, alors que The Perks of Being a Wallflower que l’on pourrait traduire par « De l’avantage de faire tapisserie » ou « De l’avantages de se fondre dans le décor » pose d’emblée le personnage au pied du mur. Et dans wallflower, il y a flower, une promesse d’épanouissement au milieu d’affreux motifs muraux.

 

Sam et Charlie collés au mur lors du prom

Dans la renaissance de Sam, il y a aussi la naissance de l’actrice : Emma Watson n’a pas fait ressurgir Hermione un seul instant.  
 

Apparemment, l’annulation de la miévrerie par le mélo et du mélo par la miévrerie fait fonctionner à fond l’identification : je soupçonne Palpatine d’avoir déjà envoyé ou reçu une compilation-déclaration maison.