The End. La mention apparaît plusieurs fois avant la fin de The Artist, comme pour faire sentir que la carrière de George Valentin prend fin bien avant que sonne la retraite. Cet acteur du cinéma muet refuse en effet de prendre le tournant du parlant et se laisse ravir (sa place) par Peppy Miller, une jeune première en pleine ascension.
Forcément, un film muet en noir et blanc aujourd’hui ne peut que parler des films muets en noir et blanc d’autrefois, pour trouver sa justification dans le fait d’être à l’image de son objet. Pourtant, The Artist est bien de notre époque ; son monde en noir et blanc est bien le nôtre, distinct de celui où l’on tournait dans les années vingt. Et si l’on a un peu peur les premières minutes en se disant que les mimes outranciers et les didascalies en flash infos1 vont demander un sacré temps d’adaptation, on découvre rapidement qu’il s’agit d’une mise en abyme où les traits du film muet ont été forcés à dessein. Certes, backstage George fait des grimaces et Peppy s’agite comme une folle, mais à la manière de celui qui fait le pitre la matin devant le miroir de la salle de bain (étendu à la journée entière puisque Valentin, un brin mégalomaniaque avec son portrait en pied à la Dorian Gray, se croit en permanence sous le feu des projecteurs) et de celle, girly, à qui l’on vient d’annoncer une excellente nouvelle.
Je craignais de la part de Jean Dujardin une légèreté de garçon de café. Il m’a surprise ; c’est un peu comme de découvrir que Jim Carey n’est pas que le bouffon de The Mask et peut très bien jouer dans The Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Quant à Bérénice Bejo, son sourire et son peps suffiraient seuls à faire basculer le muet depuis le handicap vers le non-dit, avec la finesse d’implicite que cela suppose. L’absence de parole, loin d’être encombrante (on a finalement peu d’écrans brandis comme une ardoise de sourd-muet), redonne toute sa place aux corps ; on redécouvre que l’expression passe par mille et une nuances de la physionomie.
Outre la qualité de ses interprètes, The Artist regorge de trouvailles : rien que le chien de George, mi-Milou mi-chien de cirque, dressé à tomber raide mort au moindre bang en forme de pistolet, est tordant. Alors que toutes les bobines de ses films sont par terre et que le projecteur tourne à vide, la déprime alcoolisée de George fait apparaître sur un écran blanc une ombre qui prend son autonomie et vient invectiver son propriétaire.
Cela m’a fait penser à la fin du Procès d’Orson Welles. C’est un des seuls films un peu anciens que je connaisse mais je suis sûre qu’un cinéphile s’amuserait à trouver moult références. Pour autant, ces clins d’œil n’excluent personne et l’on peut très bien s’amuser du premier niveau sans rien connaître au cinéma américain de l’entre-deux-guerres. Il en est ainsi des différentes prises d’une scène où l’acteur perd le fil de son texte à valser quelques instants avec la nouvelle figurante, Peppy, revisitant sur le mode méta le comique de répétition.
Mais la méta-tranche de rigolade que je me suis payée, c’est lorsque George rêve que le cinéma parlant, en l’excluant, lui a pris la parole : aucun son de sort de sa bouche, comme depuis le début du film, normal, mais le verre qu’il repose sur la table, lui, émet un tintement. Le personnage est éberlué, la salle morte de rire. S’ensuit une scène où ses hurlements silencieux face au miroir sont couverts par les bruitages amplifiés des objets qu’il jette par terre de colère. C’est ainsi que lentement, nous passons au parlant… sans paroles superflues, néanmoins, puisque c’est le bruit des claquettes qui anticipe le crépitement des applaudissements retrouvés pour notre star du muet.
Contente que tu l’aies vu, et que tu l’aies aimé! Et j’adooore Bérénice Bejo…
Oui, c’est très facile de tomber amoureuse d’elle…