Par curiosité pour la représentation de la danse classique en dehors du milieu des connaisseurs, je suis allée voir Neneh Superstar. Petit tour des clichés avérés ou évités en jouant au bingo du film de danse.
Outsider sans toutes les qualités ☑️
Entrée dans une école prestigieuse ☑️
Neneh, une jeune fille noire qui vit dans une cité intègre l’école de danse de l’Opéra de Paris et réussit envers et contre tout : le synopsis reprend à 100 % le cliché de tous les teen movies sur la danse… mais au service d’une noble cause dans la mesure où il s’agit moins de faire un film sur la danse que sur le racisme (les bons sentiments à eux seuls n’ont en revanche jamais fait un bon film).
L’actrice principale est mauvaise danseuse ☑️
Certaines sont de bonnes (voire très bonnes) danseuses classiques, mais ce n’est clairement pas le cas de l’actrice principale. J’en ai fait un contresens, persuadée que le directeur l’avait prise uniquement pour faire sa comm’ progressiste : elle est censée être la meilleure de sa classe. Et ça, c’était avec une doublure.
L’actrice principale est mauvaise actrice ❎
Nonobstant son niveau en danse classique, la jeune actrice principale est assez géniale. Après très rapide enquête, il s’avère qu’Oumy Bruni-Garrel est la fille de Louis Garrel et de Valeria Bruni-Tedeschi. Ça explique des choses, et en même temps, elle joue mieux que ses parents.
Gros plan sur les pieds ❔
Les gros plans sur les pieds sont en nombre très raisonnable : les mauvais esprits diront que c’est parce que l’actrice n’est pas gâtée à ce niveau-là et qu’il a fallu limiter le recours à sa doublure, mais on a aussi une attention poétique portée ailleurs, avec notamment au début du film un joli plan sur une main déliée.
Tout est rose ❎
Exceptionnellement, tout est blanc. Le film dénonce en effet un milieu raciste, obnubilé par la blancheur. Dans les faits, c’est probablement moins grossier que la directrice campée sur « nos valeurs », mais il suffit de lire la biographie de Misty Copland, par exemple, pour comprendre qu’il y a des (gros) progrès à faire.
Bouts de verre dans les chaussons ❔
Les bouts de verre ont été remplacés par des crottes – méchanceté puérile qui a du moins le mérite de ne pas entraîner de blessure physique. À moins que ce ne soit pour souligner le code couleur, avec un caca presque noir dans des chaussons presque blancs. Sur le coup, ça m’a surtout fait penser à cet épisode d’Atypical où la gamine issue d’une famille moyenne mais hyper douée en course à pied découvre que ses camarades huppées et jalouses ont tagués ses chaussures, sans comprendre l’investissement que cela représente pour elle.
Danseuse anorexique ❔
Le culte de la minceur est indéniable, on voit ce qu’il peut impliquer en termes de contrôle du poids et de l’alimentation… mais on ne fonce pas dans le cliché de la danseuse anorexique. L’héroïne est même très saine de ce point de vue, s’indignant que sa mère ne lui serve pas des frites comme à ses copines. Ça fait du bien. (Entendons-nous : les troubles alimentaires nécessitent qu’on en parle, mais de manière nuancée, pas plaquée comme une équation ballet = anorexie.)
Corps souffrant ☑️
La danse classique est une discipline rigoureuse qui demande beaucoup d’efforts… sans que ceux-ci soient pure souffrance : alléluia, on évite les gros plans sur des visages grimaçants. (Peut-être parce que la classe de l’héroïne n’est pas sur pointes ; il n’empêche : alléluia.)
Mère encombrante ❎
Père hostile ou absent ❎
Bonne surprise, le rôle des parents est joliment écrit. À rebours de la mère qui reporte ses rêves sur sa progéniture et du père qui n’en a rien à carrer, la mère de Neneh préférerait qu’elle poursuive des études normales, et c’est son père qui l’encourage sans faillir. J’aime beaucoup le dialogue où la mère demande à son mari de lui citer une danseuse étoile noire, et lui en retour lui demande de citer une danseuse étoile blanche : le racisme, ils connaissent ; la danse, non. Et aideront leur fille en fonction.
Petites bourgeoises arrogantes ☑️
La danse classique est un milieu de bourgeois : sociologiquement indéniable. C’est ce qui rend si croquignolet le montage rapide de la présentation des candidates : elles ont toutes pris des cours particuliers, vécu dans les beaux quartiers voire à l’étranger, et ont des prénoms qui ne laissent aucun doute sur leur origine sociale… prénoms dont on découvre au générique qu’ils soient bien les leurs !
Prof archi-sévère ☑️
Le milieu de la danse classique est strict, régi par de nombreuses règles, avec obligation d’être tiré à quatre épingles : jusque-là, on est d’accord. Le film le montre aussi comme un milieu autoritaire voire arbitraire, où la directrice et les professeurs passent leur temps à interrompre le cours en dépit du bon sens pédagogique : oui mais non, pas comme ça. C’était bien de visionner Graines d’étoiles, moins de confondre cassant et capricieux.
Extrait du Lac des cygnes ❔
C’est bien connu, il n’y a que Le Lac des cygnes dans la vie. Si le film se termine sur la musique de Tchaïkovsky, se présentant malgré lui comme un « Billy Elliott du pauvre » (pour citer @La_Beaubeau), l’extrait principal se concentre sur la variation de la claque de Raymonda : un choix qui a le mérite d’être original et interprété par Léonore Baulac (laquelle étrangement ne respire pas).
Scène d’audition improbable ☑️
Même en passant sur les épreuves individuelles, l’absence de niveau et les tatouages décalcomanie, l’insolence dont Neneh fait preuve en reprenant le pianiste ne serait jamais passée comme affirmation de soi. L’année dernière, notre prof d’analyse d’œuvre avait attiré notre attention sur ce topos de la scène d’audition, en se demandant le pourquoi de sa persistance, en dépit de toute vraisemblance. Pas de réponse convaincante, si ce n’est le plaisir-vengeance qu’on éprouve à voir triompher envers et contre tout quelqu’un qui se serait fait broyer dans la vraie vie, et à qui on nous propose de nous identifier.
Street dance ☑️
Il faut toujours un autre style à opposer / mixer avec le classique. Aucun discours ici sur cet autre manière de bouger… dans laquelle Oumy Bruni-Garrel est pourtant beaucoup plus à l’aise.
Visionner Neneh Superstar requiert un gros effort de suspension de l’incrédulité quand on fait soi-même de la danse classique. Petit florilège des moments où j’ai imaginé Julien Meyzindi en PLS — cet ancien danseur de l’Opéra est crédité au générique pour les conseils sur la danse classique (mais ce n’est pas parce qu’on parle qu’on est écouté).
- Les élèves font des dégagés à la barre. Le prof interrompt : « Ça suffit, on passe aux grands sauts. » Aux grands sauts, grands dieux. Ce n’est pas du coq à l’âne, c’est du coq au tyrannosaurus. (Pour les néophytes : les dégagés se font au début de l’échauffement ; les grands sauts constituent l’un des derniers exercices du cours.)
- Le même prof engueule les élèves et rappelle les comptes, cinq, six, sept, huit… totalement en dehors de la musique.
- Je n’ai pas non plus compris quel accent il voulait avec la tête en attitude. Le médecin malgré lui a été propulsé prof de danse, je ne vois que ça.
- Les élèves alignées (sans être espacées) font des soubresauts tellement désynchronisés qu’on dirait le jeu de la taupe et du marteau.
- Les barres de danse sont en V au milieu du studio de danse (bon, en l’absence de barres murales, pourquoi pas)… et y restent pendant le milieu.
- Tout cela n’est rien à côté du chignon du Maïwenn. Alors d’accord, j’ai chopé le parallèle avec celui de Neneh, mais ce n’est pas parce qu’elles ont toutes les deux grandi dans une cité que la directrice doit avoir le chignon de Little My dans les Moumines. Aplatissez-moi tout ça avec le dos de la brosse.
Et hors danse ? La partie familiale est plutôt bien traitée. L’histoire de la directrice en revanche… Qu’une femme qui a pratiqué le passing pour masquer ses origines sociales adopte les valeurs de son univers d’adoption au point de les défendre avec virulence contre de nouveaux arrivants qui lui ressemblent, d’accord, c’est un mécanisme de défense intéressant. Avec autant de méchanceté, mettons. Mais le revirement total après un accident et une balafre, sérieusement ? Avec la porte vitrée qui se brise en mille morceaux après s’être simplement cognée contre ? Je n’arrive même plus à savoir si c’est le scénario qui pêche, ou l’interprétation sans nuance — ni du coup transition — de Maïwenn.
Peut-on parler de la cicatrice, aussi ? Il faudrait confirmation de quelqu’un qui sait faire des points de suture, mais cela semble à peu près aussi délicat que la danse de la jeune héroïne. Quant à ses feutres Posca, ça m’étonnerait qu’une enfant vivant dans ce milieu social et sans appétence particulière pour le dessin utilise des feutres aussi chers pour du coloriage.
Bref. Supernavet approximatif ? À peu près. Et pourtant attendrissant par moments.