Malgré son costume qui tombe à la perfection et lui donne une allure folle, Ian Bostridge n’est pas charming. Il y a en lui quelque chose de tranchant, une intelligence aiguë, un regard perçant, des os saillants, une réserve austère, qui font de chaque rencontre une reconquête. Il faut en passer par un instant de déconvenue, un oh, il n’est peut-être pas si bien que ça, en fait, moins que dans mon souvenir, pour retrouver ensuite ce qui est à l’origine de ce souvenir : une voix, une articulation, qui transforme le chant en parole.
Ce n’est pas une voix qui décoiffe1 ; pas l’un de ces tuyaux d’arrosage sonore qui vous submergent lorsqu’ils projettent dans votre direction. Pas de débordement chez Ian Bostridge, qui va chercher en lui-même la source de la parole, creuse un corps déjà maigre pour en extraire le chant juste, à chaque fois exprimé in extremis, quand bien même les phrases interminables prouvent que ses réserves sont chaque fois suffisantes, quoique chose fois épuisées. Chez lui, la parole est chantante par ses intonations davantage que par son air. On la voit sillonner ses tendons, tendre son corps au point de lui faire plier un genou, soulever les pieds, et se faire expulser d’une caresse ou d’un claquement bien senti.
Surtout en anglais, à vrai dire. Les extraits qu’il chante en français sont plus secs que nerveux ; je ne saurais dire si cette aridité est à imputer à Lully et Rameau ou à leur interprète, mais c’est moins ma tasse de thé. Alors que quand il chante en anglais, oh my god ! De « One charming night » (extrait de The Fairy Queen, Purcell), sans livret, je ne comprends guère que la litanie des hundreds and thousands, mais cette comptabilité est dressée avec tant de poésie qu’elle me rappelle immédiatement les milliers oscula de je ne sais plus quel poète élégiaque latin… Avec lui, les anges n’ont plus rien de niais (« Waft her, angels, through the skies », extraits de Jephtha, Haendel) et Jupiter devient un charmant diablotin (« I must with speed amuse her / Lest she too much explain » extrait de Semele, Haendel). Je me laisse bercer par la musique, agacer par sa voix – tout à fait délectable. Les bis ne sont pas de trop, annoncés d’une voix de ténor, forcément (on devrait toujours avoir un ténor sous le coude pour annoncer les bis), jusqu’à ce que la chanteur déclare « La voix, ce soir, y’en a plus ». Finita. Ahlalala…
1 Remarque capillaire idiote : les cheveux tirés vers l’arrière lui donnent un petit air d’aigle inquiétant à la David Bowie.