Lundi 1er juillet
Je pars pour Paris un peu à reculons alors que je me stabilisais dans une routine-reprise en main. Mais le boyfriend et nos discussions et son amour, ce qu’il me fait comprendre de moi, enveloppée dans sa tendresse.
Mardi 2 juillet
Rêve. Fête familiale. Mon ex fait un malaise, il faut faire vite, les numéros d’urgence ne fonctionnent plus, le 18, rien, 118-218 n’est pas adapté, il est raide, il va mourir, je m’escrime sur mon téléphone, il meurt, il est mort, je suis secouée de spasmes insurmontables. Je ne sais pas si ce sont eux qui me réveillent ou les enfants du dessus.
Un bon ramen au bouillon épais, mousseux presque, avec sésame, cacahuète, noix de cajou : je me brûle un peu les papilles dans ma hâte-appétit.
Mercredi 3 juillet
Rue du Maine, deux imbéciles à deux roues manquent de me renverser en voulant dépasser une file de voitures arrêtées, alors que, les ayant dépassées sur le passage clouté, je vérifiais les véhicules qui auraient pu arriver en sens inverse. Cri. Ma transpiration se met à puer.
Mon ancienne carte bleue de bibliothèque est découpée aux ciseaux, consciencieusement en six morceaux. Cela m’attriste un peu, mais je lutte contre la nostalgie : elle est remplacée par une carte rouge aux lettres blanches qui me fait par contraste prendre conscience du graphisme daté de celle qu’elle remplace. À nous deux (ressources numériques de la ville de) Paris !
Le boyfriend et moi retrouvons Mum dans une crêperie de Montparnasse pour se voir et fêter la non-retraite mais quand même départ de Mum, que ça chiffonne, les choses pas carrées. Elle est enfaitée de sacs et en sort : un guide de vacances de l’Angleterre avec un post-it coloré qui mène directement aux Cotswolds ; des petites boîtes en carton allongées qui contiennent des éventails corporate (j’ai failli les refuser puis me suis rappelée que je suis prof de danse, maintenant, et que cela peut être fort utile pour travailler la variation de Kitri) ; mon manuscrit pour me montrer ses corrections, que je prends en photo au téléphone — nous sommes côte-à-côte. En face de moi, le boyfriend s’aperçoit quand sa galette arrive devant lui qu’il a oublié de la demander dans une crêpe de froment, mais se régale sans que son allergie au sarrasin déclenche autre chose que mon inquiétude.
Jeudi 4 juillet
Rêve. Embauchée dans le corps de ballet de l’Opéra (!) c’est mon premier spectacle. Je me rends compte juste avant que je n’ai pas de collants roses ni de poudre blanche pour l’acte blanc. Pas de faux chignon non plus pour coiffer mes cheveux courts. Et il faut que je révise la chorégraphie que je ne connais qu’à peine, c’est la panique. Tellement la panique que je n’entre pas en scène, je me saborde, on ne voudra jamais me garder après ça, c’est la panique. Mais quand je m’explique-excuse auprès de Claude Bessy (mon inconscient a vraiment du retard), elle semble comprendre. Je dois me reprendre, travailler.
Vendredi 5 juillet
16 km dans Paris, avec C. (nous suivons le GR75) puis L. (nous poursuivons l’idée d’une glace Berthillon, qui se transforme en sorbet). On parle d’argent, de budget, pas mal (avec C. et avec L.), de ce qu’on mange ou grignote quand les soirées se font sur l’heure du dîner, de changement professionnel et des fleurs qu’on se met à apprécier en vieillissant, c’est un truc de vieux, des trentenaires qui disparaissent dans leur famille (avec C. dont la sociabilité se reforme autour de compagnons culturels gays) et des gens qui semblent plus beaux à Paris mais qui sont probablement juste mieux habillés, peut-être aussi plus riches et mieux soignés (suggère L.).
Je prends des nouvelles de Paris : la ligne 14 à Maison Blanche et la voile tendue au-dessus de la station, qui de loin semble refléter les moirures d’une étendue d’eau et de près se morcelle en milliers de carrés de papier qui ondulent sous le vent ; le prix des glaces Berthillon grimpé à 6,50€ chez les revendeurs les moins chers ; les barrières métalliques partout à cause des JO, les gradins vides le long de la Seine boueuse, des palmiers sur le pont Louis-Philippe-sur-la-Croisette ; la flèche de Notre-Dame ré-érigée, construction bicolore que la pollution n’a pas encore harmonisée.
J’ai enfin la sensation de profiter des longues soirées d’été, les fesses posées sur diverses pierres, diverses marches sur les quais de Seine puis dans un square près de Saint-Michel — jambes et salive épuisés.
Survoltée, j’assaille encore le boyfriend avec le récit de la journée. Il trouve comment m’ôter les piles : en me massant les jambes. Je grogne de plaisir et douleur mêlés, glissant toute douce toute huileuse d’arnica dans un pré-sommeil sans courbatures.
Samedi 6 juillet
Rêve. J’ai un devoir à rendre avec des réponse sous forme de dessins, mais le temps mais la tâche, ça m’échappe.
La chouine de m’arracher au boyfriend (concomitance de chouine hormonale, je réaliserai dans le train).
Goûter de balletomanes. On se croisait il y a tellement d’années que (hormis IkAubert, que j’ai davantage côtoyée) les retrouvailles ont des allures de rencontre. C’est techniquement vrai pour deux des trois pulls rayés : S. est venue avec ses filles de 9 et 12 ans, dont j’ai peut-être eu vent de l’existence bébés. Pour les adultes, les mères, je mélange pseudos et prénoms, mais je reconnais les visages, retrouve leurs expressions, leur beauté approfondie par les années, plus personnelle, plus elles. On hésite, on commande : mon moelleux à la crème de marron n’est pas très grand mais il est très moelleux, et le thé vert glacé gingembre-citron-menthe me ravit, sans trace de ce goût âcre que donne souvent le thé trop infusé. Je sirote et la boisson et la conversation avec plaisir. Tout le monde est encore fervent balletomane, même si tout le monde ne pratique plus aussi assidûment depuis le Covid, depuis les enfants, depuis l’inflation aussi. Nous connaissons mieux désormais les noms des étoiles qui partent ou sont parties à la retraite, remplacées par les anciens petits jeunes eux-mêmes remplacés par des visages et des noms dont nous avons perdu ou commençons à perdre le fil. IkAubert nous appâte avec des programmes de ballet dont elle voudrait se délester et qu’elle sort de son sac — c’est la ruée vers le passé, les dates sur les tranches décorrelées de mes souvenirs. Les quatre petits cygnes s’envolent pour le Lac à Bastille (la team rayée, rejointe par une cousine) et nous sommes encore trois à discuter trois quarts d’heure sur la place. La prochaine fois, avant dix ans.
Dimanche 7 juillet
On me demande le matin en allant voter si je veux bien venir dépouiller. Les résultats de ma circonscription ne devraient pas être trop déprimants, je veux bien. Dans ma tête, je vais dépiauter, pas dépouiller : dépiauter, c’est culinaire, papillote, c’est joyeux ; dépouiller, ça pue la mort, la démocratie n’est pas encore un cadavre à qui on ferait les poches.
À 18h, on installe les tables dans la cantine, on répond à l’appel de nos cartes d’électeurs et c’est parti. On attend. À notre table de quatre, le small talk est apolitique mais citoyen, nous avons des habitués du dépouillage qui se gardent bien de toute référence partisane. Les accrochages de la cantine scolaire divertissent le temps qu’il faut ; j’aime bien les hiboux vert, jaune et rouge où sont accrochées des pinces à linge au nom des enfants. Ma voisine à la beauté aristocratique éthérée est complètement hors sol ; dans l’attente des enveloppes, elle… prie ?
Le départ est difficile, avec deux nuls sur les quatre premières enveloppes, difficiles à cataloguer. L’enveloppe vide ou avec un papier blanc, c’est facile, mais deux moitiés de bulletin déchirés tombent-elles sous le coup des deux bulletins dans l’enveloppe ou du bulletin déchiré ? Je me sens idiote de ne pas trouver le bon code pour ce bulletin nul, d’avoir à lire toute la liste à voix haute. Je me demande si les gens qui votent nul ont déjà dépouillé ; s’ils ont vu comme c’était laborieux, de catégoriser, agrafer et faire parafer l’anomalie par tous les responsables du bureau de vote. Blanc, je ne dis pas, mais nul ? La seule consolation à ce traitement chronophage est l’inventivité dont ils font parfois preuve.
Le stylo que j’ai attrapé à la dernière minute avant l’oubli est en fin de vie, je suis obligée de crayonner à chaque barre du décompte, sachant que les pointillés imprimés pour guider sont très rapprochés. Ma voisine et moi traçons des bâtons puis on échange au lot suivant, ma voisine ouvre les enveloppes et j’annonce à voix haute les noms pour les messieurs qui sont déjà sur leur feuille parce qu’ils ont aperçu par transparence la couleur ou la mise en page du parti. J’écorche le nom du candidat RN ; Leys comme les chips ? Je dis David Guiraud des dizaines de fois, la table derrière ne dit même plus David, juste : Guiraud, ça pop dans la salle comme si c’était un gazouillis d’oiseau. À la sortie, on se demande si dépouiller a été une diversion éphémère dans une enclave protégée du RN ; en réalité, le soulagement est national.
Ma voisine et moi rentrons d’un même pas. Je laisse affleurer mon étonnement pour les voix RN dans une ville caractérisée par son vivre-ensemble, et la jeune femme perchée me répond dans un rire un peu triste, sans animosité, que ce n’est pas son expérience, qu’elle s’est faite harcelée pendant toute sa scolarité. Je n’en suis pas malheureusement surprise : ses airs surannés de portrait en camée l’auraient désignée comme drôle d’oiseau à parquer dans n’importe quelle cour de récré. L’enfant est un loup pour les zèbres-brebis.
Lundi 8 juillet
Pourquoi l’envie de faire se mue chez moi en devoir faire ?
Par hasard sur Arte.tv, alors que c’est le dernier jour de (re)diffusion : Le Carré noir, une comédie allemande donc barrée avec Sandra Hüller.
Mardi 9 juillet
Comme ça, j’ai eu envie de mettre à jour ma blogroll. La page datait de 2017 et j’ai dû télécharger un éditeur de code parce que je n’en avais jamais installé sur cet ordinateur. J’ai Ctrl C, Ctrl V puis tout cassé (Ctrl C, Ctrl V en sens inverse) ; j’ai tâtonné, bidouillé, me suis acharnée au point de ne pas avoir envie de m’arrêter pour déjeuner (ce que j’ai tout de même fait après avoir réalisé que je venais de manger la moitié d’un Babybel familial). J’avais oublié comment ça pouvait obnubiler, de bidouiller du HTML / CSS. Jusqu’à en avoir mal aux yeux, devenir fébrile devant l’écran. J’avais oublié aussi la satisfaction qui en découle, quand ça tombe bien, quand les colonnes sont alignées ou une icône pivote dans le bon sens (en réalité est remplacée par une autre) quand on clique dessus. Dans la foulée, j’ai rétabli les icônes FontAwesome : adieu petits rectangles qui envahissaient discrètement le blog comme des mauvaises herbes. C’est in fine assez inutile, mais très satisfaisant.
J’ai pris conscience que c’était probablement ce qu’essayait de m’expliquer le boyfriend à propos des jeux vidéos « très punitifs » qui l’énervent souvent mais dans lesquels il s’obstine : d’être retardée, la satisfaction n’en devient que plus gratifiante. On a mis beaucoup d’effort dans quelque chose qui ne sert objectivement à rien (une blogroll en 2024, lol), mais je suis d’accord, « c’est très satisfaisant ». Ça m’a même fait beaucoup de bien de m’acharner sur quelque chose de si futile : ça replace l’envie au centre, plutôt que de se focaliser sur un résultat et ce qu’il peut avoir de vain. (L’été est souvent un moment de lutte contre la vacuité, chez moi. J’imagine que ça vient avec la vacance.)
Après dîner, un tour de pâté de maison et du parc Barbieux pour évacuer la fébrilité, puis encore de l’écran pour visionner Written on water, une fiction sur une chorégraphe qui crée une pièce sur le désir. Je l’ai regardée parce qu’Aurélie Dupont y joue, mais c’est la peau et les lignes d’Alexander Jones qui m’ont fascinée (thématique désir, on ne l’a pas choisi pour rien).
Mercredi 10 juillet
Phase de détestation de soi-même. Attendre que ça passe.
Lu une très belle BD : Au-dedans, de Will McPhail. Qui m’a fait rire au-dehors et placée à la lisière des larmes.
Il y a quelques jours, l’idée de changer de signature a émergée. Comme une mue, laisser la signature adolescente toute barrée-barricadée — imitation de la graphie de ma mère avec le nom de mon père. Au stylo fuchsia, j’ai tenté quelques grigri-gribouillis sur une feuille de brouillon où j’étais en train de lister les livres que je voulais chroniqueter, et avant que j’en ai vraiment pris conscience, une bourrasque d’initiales s’est abattue là-dessus commune nuée de criquets. Je voudrais faire apparaître l’initiale de mon prénom, mais ne sais pas très bien comment l’harmoniser avec l’initiale de mon nom de famille ; je ne les dessine pas dans le même alphabet : la famille est restée dans la graphie scolaire bien déliée tandis que le prénom s’est approprié des fioritures traversées en calligraphie — je découvre d’ailleurs un angle pointu dont je n’avais pas conscience. À un moment, je passe l’initiale familiale en minuscule et je la termine d’un point, comme si l’affaire était réglée : elle ne l’est pas, mais ça m’apaise étrangement.
Jeudi 11 juillet
Rêve. Nous sommes dans l’appartement de Sanary, des petits taureaux passent dans la chambre, nous nous abritons derrière mon canapé-lit orange renversé, les cornes dépassent quand ils l’embrochent, attention, on se recule, heureusement que ce ne sont pas des adultes, on ne survivrait pas ; ils passent et se stockent sur le balcon. Avant ou après, il se passait autre chose, avec un grand drap rouge que l’on tentait de faire tomber-blouser comme au théâtre dans les pièces de danse contemporaine.
Au réveil, les cornes du taureau se confondent avec les initiales pointues. L’après-midi, je remarque sur la grand place un restaurant qui a presque repris la silhouette de Buffalo Bill.
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Aspirateur superficiel, poussière de-ci de-là, micro-rangement d’une pièce à l’autre, relève de la lessive, séance cardio vidéo sur la terrasse, marche jusqu’au bon pain, jusqu’au supermarché asiatique : je travaille à m’épuiser. Et ça marche, retourné activement contre moi mon énervement se dissipe. Il faut, non pas que je fasse quelque chose, avec un résultat productif, mais que je m’active, que mon corps soit de la partie. Vers 16h30 enfin, je peux ralentir, et j’ai plaisir à lire au soleil, à sentir ma peau caressée et mon corps stocker de la chaleur — l’été est enfin là, pour une journée, dans le ciel et dans ma tête.
Vendredi 12 juillet
Rêve. Je donne mes premiers cours, ce n’est pas dans le bon bâtiment, je découvre les niveaux, une barre au sol débutants, une barre au sol sportive, j’improvise.
Lors de la séance cardio d’hier, j’ai pris la plupart des options « low impact » proposées pour les débutants, les femmes enceintes et les personnes en surpoids bien que n’étant rien de tout ça, mais j’ai quand même senti mes quadriceps se tétaniser et ce matin, le grand dentelé me donne l’impression d’avoir des moignons d’ailes dans le dos à chaque fois que mes omoplates bougent. Nouvelle séance en évitant toutes les fentes-tueuses-de-cuisses : je découvre les pogo jumps, le nom me ravit.
Il pleut des cordes, ça scintille d’impacts sur la terrasse. L’après-midi se passe en ligne avec Mum à effectuer toutes les réservations pour notre voyage dans la campagne anglaise. Can’t wait to meet Bobby-the-cat dans l’un des cottages AirBnB.
Vers 22h, fringante, j’essaye de créer sur Canva un template de publication pour mon Instagram danse. Grave erreur. Je suis avalée par l’infini des variations, il y a toujours une autre forme, une autre typo, une autre couleur avec laquelle ce serait mieux, et quand je vois l’heure, rien ne change, les formes, les couleurs et les possibles continuent leur danse macabre dans ma tête, dans mon lit.
Samedi 13 juillet
Rêve. Mon ex se prend une balle de son cousin, mais j’ai quelque part où je dois être alors j’y vais et ce n’est qu’après que je panique, si ça se trouve il n’est pas mort, et la police, je cherche et pianote fébrilement le numéro du commissariat de sa ville, en vain, encore s’efforcer, s’inquiéter, ne pas parvenir. // Cher inconscient, tu l’as déjà tué il y a 11 jours.
Recette adoptée : tofu au gingembre et pak choï.
Sur la grand-place que j’ai ralliée d’un bon pas, la petite foule familiale est en place pour le feu d’artifice. Ceux des villes moyennes sont maintenant ceux que je préfère ; la musique n’empêche pas d’entendre les explosions, et le spectacle est beau sans que la débauche soit telle qu’on ne puisse plus apprécier quelques fusées individuellement. Roubaix a le bon goût des fusées dorées — et des palmiers fous dont les branches se subdivisent en têtes chercheuses qui s’éteignent après ricochet (on est plus dans la métaphore vidéoludique que végétale). Je découvre au passage qu’il existe tout un lexique des feux d’artifice et que les palmiers sans tronc sont des pivoines ; les saules pleureurs sont bien des saules pleureurs, en revanche. Sur le retour, je prolonge les festivités d’un cornet de glace — industriel, un peu dégueu, mais qui a quand même le goût des vacances.
Comme tous les soirs, j’ai ouvert la fenêtre de la chambre pour aérer avant de dormir. Bien mal m’en a pris. Quand je suis revenue dans la pièce, l’air était irrespirable, empli des fumées de pétards tardifs. J’ai déplié le canapé-lit dans le salon.
Dimanche 14 juillet
La colère-restlesness est passée. Calme, les abords de l’eau, moi qui coule paisiblement dans le parc. Il ne reste rien des pétarades de la veille si ce n’est quelques touffes d’herbe ou de macadam brûlé, des bouts de fusées dans l’herbe. Un homme me demande si je suis d’ici, il cherche les jeux pour enfants ; oui (je serais d’ici !), derrière le restaurant. Des petites feuilles vert clair sont apparues sur le pourtour de la caverne formée par un hêtre — j’aime percevoir les transformations silencieuses qui métamorphosent discrètement le parc. Les canards font des bruits de canard en plastique — si ce n’est pas une pensée de citadine. Des enfants leur intiment de se taire, taisez-vous les canards, et hurlent plus fort que cancanneront jamais lesdits canards. Pas moins fort en revanche que les gros muscles qui courent, traînent des pneus et font des roulés-boulés sur la pelouse. Lorsque le gars qui court avec un gros sac sur l’épaule en attrape un second et continue sa course un gros sac sous chaque bras, oscillant comme un personnage de dessin animé, je me revois courant comme une folle avec les deux valises cabine de Mum et moi pour ne pas louper l’Eurostar, le rire me rattrape.
Plaisir à retrouver du plaisir à chroniqueter mes lectures. Plaisir de sentir son corps se gainer jour après jour (narcissisme abdominal). Plaisir à regarder nuages et feuillage après les étirements, à deux doigts de m’endormir sur mon tapis de sport. Plaisir de voir le visage du boyfriend sculpté par la pénombre de la visio et de parler, longuement, de toucher à.
Lundi 15 juillet
Y’a des jours comme ça, où la première recherche Google du jour, c’est « trajet nerf fémoral » et oui, même si je ne l’avais jamais éprouvé dans cette section, il va jusqu’au bord interne du genou, c’est bien lui que j’ai réveillé en étirant l’ilio-psoas hier. La douleur reflue quand je marche pendant un moment.
Sursaut à la fin de la lecture de ce billet des Carnets de la Grange : c’est toujours étonnant de se découvrir exister chez les autres. Ses extraits de lecture mêlés au récit de son quotidien me donnent envie de rassembler ici les extraits que je dépose sur Twitter et Mastodon.
Hydrangea ? Hortensia japonais ? Les fleurs semblent des papillons qui virevoltent autour d’elles-mêmes, manège de chaises volantes. C’est tout autre chose que j’entreprends de dessiner, un hêtre comme un massif.
Io sono l’amore sur Arte.tv : pour la langue italienne, le charme italien (des Italiens ?) et Tilda Swinton. La métaphore des plaisirs de bouche pour ceux de la chair est à la fois convenue et enivrante, tout comme l’étreinte de la belle bourgeoise et du bon gars de la campagne filmée au ras des épis de blé et des insectes — L’Amant de Lady Chatterley sous des températures plus clémentes (je ne suis pas la seule pour qui le parallèle est évident, même si je suis en revanche complètement passée à côté des références à Vertigo). Comme la scène n’a pas la puissance du livre, j’ai surtout été agacée par ce truc de la femme qui ne peut que recevoir (le corps, le sexe, la semence, le plaisir, la révélation), révélée à elle-même passivement, sur le dos, par un homme, dans le sexe forcément. Ça se finit un peu en eau de boudin, mais eau de boudin fracassante.
Mardi 16 juillet
Rêve. Il ne faudrait pas, mais l’amoral disparaît dans le désir : sexe avec mon ex, son dos qui contente mes mains et pas loin de ma bouche son sexe dont je n’avais pas ce souvenir, long et fin comme une asperge. Mon écart me traîne à la porte de quelqu’un d’autre (un twittos je crois), qui m’accueille dans son appartement immense, j’abuse, dans un coin ombragé que je n’avais jamais remarqué se tient une table aussi grande que celle de réception où s’attardent quelques amis à lui, c’est estival, l’appartement se confond avec la terrasse, il n’y a plus forcément de toit, on voit loin, toute la Seine en enfilade, jusqu’à la mer tout au fond, je ne savais pas qu’on voyait jusque-là depuis son appartement. // Mon inconscient, cette grosse feignasse d’IA qui a tout repompé sur le film de la veille ! La grande tablée, l’été, la vue imprenable, la scène de sexe… Il a transformé un épi en asperge, piqué une transition issue de Dès que sa bouche fut pleine, deux deepfakes et youpla boum.
La chroniquette sur l’Éloge de la fadeur m’occupe une bonne partie de la journée. D’abord ça me rend guillerette, ça se tient, ça se tisse. Puis plus. J’écris en roue libre, feuillette le livre à la recherche de quelques citations, voudrait rajouter des oublis et la complétude se défait dans la tentation de l’exhaustivité. Écrire ne domestique plus le chaotique, redevient un exercice d’enregistrement vain.
Temps pluvieux, venteux. Lors d’une éclaircie, je sors avec l’intention de me promener ; arrivée au bout de la rue, j’hésite, stationne trente secondes et rebrousse chemin. Le boyfriend me comparera au chat qui met la patte sur le rebord de la fenêtre et décide que, finalement, rien de tel que le bac à chaussettes. Tapis de yoga pour moi, sur lequel je ne fais pas cette fois du yoga mais du cardio.
Le moustique vespéral ne m’aide pas à rétablir une heure décente de coucher. Le rythme 1h-9h est trop bien implanté.
Mercredi 17 juillet
J’aimerais rencontrer des gens, oui, mais pas nécessairement un gars de 40-50 ans qui fait demi-tour à vélo après m’avoir vue esquisser quelques pas de danse et insiste pour avoir mon numéro après un échange que je pensais bon enfant sur la danse kabyle. Googler Massa Bouchafa pour voir comment danse cette chanteuse dont je n’ai jamais entendu le nom, oui, avec plaisir, essayer de reproduire ses gestes, c’est marrant, mais non, je ne veux pas aller m’asseoir un moment à l’ombre pour mater des vidéos YouTube que je devine très bien sur mon écran. Dire que je me suis soupçonnée de paranoïa narcissique en le soupçonnant de drague. Mon hésitation sur ses intentions a manifestement été interprétée comme une hésitation sur ses avances, et il a mis un moment à reprendre sa route. J’aurais pu couper court en partant, mais je ne voulais pas partir, je voulais que lui parte pour pouvoir finir mon dessin — de cet arbre depuis ce banc. Faut-il vraiment caser une allusion à son couple dès la deuxième phrase pour entamer une discussion sereine avec un homme ?
D’un coup, ce qui était procrastiné est décidé : piscine. Les premières longueurs sont difficiles : l’essoufflement est immédiat, lil faut juguler la panique respiratoire, apaiser le souffle, le ralentir, l’allonger. D’une, je passe à deux brasses sous l’eau pour avoir plus de temps pour expirer, puis reviens à une seule, lente, bien articulée, me laissant glisser plus qu’il ne faudrait, mains jointes et pointes de pieds tendues. En me concentrant uniquement sur le geste et la respiration, je peux enchaîner les longueurs. Lorsque les sifflets invitent à sortir du bassin, j’ai nagé 40 minutes et la surprise d’avoir la tête qui tourne en remettant les pieds sur le sol ferme, carrelé. Un qui-sait, assis, boit à grandes goulées une bouteille d’eau remplie de jus de fruit ; du sucre, voilà qui est bien anticipé. Les sèche-cheveux ne marchent plus ou le personnel ne souhaite pas que l’on s’attarde. Vingt minutes de marche pour récupérer ; je suis délicieusement épuisée.
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Après trois ans à batailler, Mum obtient de Foncia le remboursement de la caution de mon appartement parisien. Ils ne pipent mot des quelques milliers d’euros d’intérêts de retard, qui leur vaudront donc des poursuites en justice.
Jeudi 18 juillet
À ce cours de stretching postural, on ne travaille quasiment que des muscles sur lesquels ne j’ai aucun contrôle, qui ne sont associés à aucune sensation (vous avez une commande au niveau des omoplates, vous ?) ; ça m’énerve vite.
— On ne s’énerve pas avec son soi-même, observe la prof.
— C’est quand même énervant, je rétorque spontanément, faisant rire mes deux compagnes.
Après avoir tergiversé, je m’offre une glace Meert deux boules. Le chocolat n’est pas corsé du tout, et pourtant fort savoureux ; l’adjectif qui me vient, curieusement, c’est : rond. Ce chocolat est rond. Les mots pour parler de saveurs et de musique restent pour moi un mystère ; le lexique, d’accord, mais comment sait-on si on y associe tous la même saveur ou sonorité ? Il faut entendre, goûter. (Il faudrait probablement juste apprendre.)
Il reste du temps avant la séance ciné, et je constate à quel point il est difficile de trouver un coin agréable où se poser sans consommer dans le centre de Lille. Par agréable, j’entends : ombragé, relativement calme, qui ne sente pas la pisse. La ville ne veut que notre argent.
La bande-annonce n’avait pas menti : Les Fantômes est un bon film. Très bien (sous-)joué par Adam Bessa
Samedi 20 juillet
Une pièce par jour : c’est le programme ménager, après une longue période d’absentéisme. Miettes, traces de graisse, calcaire sur l’évier, traces sur les plaques (après y être allée avec le dos de la cuillère, j’y vais avec le dos de l’éponge et c’est beaucoup moins inefficace, tant pis pour les rayures), projections sur les meubles, les murs, désincrustation de moucherons muraux, moustiques muraux, un coup de grattounette un coup de torchon, aspirateur, serpillère, plinthes et sol et non, les joints j’en gratte deux, ce sera pour une autre fois. Je comprends mieux pourquoi le grand ménage de printemps a lieu au printemps, et pas en été. Chaud. Mais grande satisfaction ensuite à chaque fois que je passe devant la cuisine : c’est propre, net, espacé, tranquille. Le contraire d’une tâche à faire procrastinée où que l’on pose les yeux. Comme une promesse de vie qui se reprend en main.
Mes mains justement protestent tout le reste de la journée à chaque fois que je les lave. J’ai mis des gants pourtant, même si l’index droit est troué au niveau de l’ongle. J’ai mis des gants. En latex. Soudain je fais le rapprochement avec les bas autofixants qui me faisaient des plaques rouges à la fin de la (demi-)journée. Allergie.
Le soleil, ça tape : Jésus, amen, Jésus… Jésus, amen, Jésus… ni slamé, ni psalmodié, on dirait un vieux mec sous psychotrope qui essaye de chanter. Une seconde voix, type bourré, bredouille sur des âmes perdues — original pour une chanson à boire. Je ne sais pas s’ils rendent le micro, mais ça se met à ressembler davantage à de la musique. Heureusement, parce que la kermesse catho pousse le son et ça s’entend d’un bout à l’autre du parc Barbieux, pourtant tout en longueur. C’est la même chose en boucle depuis tout à l’heure, non ? demande un ado à sa famille. Maintenant qu’il le dit, on n’entend que Jesus / No life (sur l’air de No Women no Cry ?). Je presse le pas, dans la mesure de la chaleur et des sandales qui me chauffent le talon.
La Petite communiste qui ne souriait jamais. Vidéos de gymnastique. Tisane glacée.
Dimanche 21 juillet
Rêve. Sur la vidéo Instagram d’un danseur, j’aperçois au fond, près du miroir, une silhouette floue comme sur une caméra de surveillance, en haut de forme. Au mouvement par lequel il glisse son téléphone dans la poche arrière de son téléphone, je suis sûre qu’il s’agit de mon ex. Sur une vidéo Instagram.
Toilettes et salle de bain, le récurage continue. Marche et séance cardio de 15 minutes. Corpus sanus in casa sana.
M. et moi habitons dans deux villes différentes la même allée et rue. Elle vient d’adopter une chatonne : j’assiste à la saison 1 de Poussière, mieux que Netflix !
Araignée du soir, espoir hurlement ravalé en petit cri, Timberland et Sopalin que j’ai ramassé sur lui-même sans le retourner. Elle était juteuse.
Lundi 22 juillet
Un jour peut-être, je cesserai d’être cette personne qui attend cinq, dix minutes que le cours commence, à quinze se dit que la prof-ostéo a pris un patient en urgence, à seize prend son téléphone et à trente comprend qu’il n’y a personne, que la prof pensait qu’il n’y avait personne. J’aurais dû toquer à la porte du cabinet pour me manifester. Au point où on en est, je me rabats sur le cours suivant et pars chercher à manger : je suis incapable de gérer et la faim et la frustration. Je mange ma colère, remâche le gâchis et digère les 180g de taboulé en serrant les abdos, le cours de stretching postural a commencé.
Découverte du jour : pour que les chevilles soient stables en première, il faut « pousser » vers l’extérieur (si on passe une bande élastique autour des chevilles, contre elle en dégageant à la seconde). Et bien penser à descendre le talon et allonger le pied à mesure qu’on éloigne la jambe dans le dégagé, au lieu de pointer en hauteur, ce qui décale le bassin en faisant lever la hanche. (C’est sûrement opaque pour le profane, je le note pour m’en souvenir.)
On travaille aussi l’en-dehors de l’humérus : c’est comme le fémur, dit la prof — sachant que je ne maîtrise pas plus la rotation du comparé que du comparant. Je penserai à la bayadère qui soulève les bras pour attiser le feu sacré, la sensation correspond à l’amorce de ce port de bras. Si on ajoute du poids dans la hanche opposée au bras qui se lève, une ligne de force traverse le buste — exactement celle dont j’ai besoin dans l’arabesque.
La troisième révélation du cours reste mystérieuse ; je n’ai pas encore mémorisé ni même compris le chemin pour développer la jambe en arabesque plongée et obtenir cette liberté articulaire absolument incroyable qui me fait instantanément retrouver un degré de souplesse que je pensais perdu. Quand j’essaye seule, ça bloque à la hauteur habituelle. Manipulée par la prof, je ris de perdre à moitié l’équilibre ; ça me rappelle les souvenirs joyeux du conservatoire, quand on se « forçait » les arabesques (en réalité un moment de détente où on abandonnait notre jambe sur l’épaule d’une camarade qui faisait office de treuil).
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Retour du mode vener. Je sais ce qu’il me reste à faire : de l’exercice physique. Je passe en accéléré une barre au sol (les exercices assis avec les jambes à 90° me semblent désormais d’une inutile violence) et commence à régler des exercices en musique pour la rentrée. J’identifie ce qui me bloque et me faisais baisser les bras : devoir choisir entre plusieurs options pour un même type d’exercice et ordonner leur succession. Pour contrer ça, je décide de régler des exercices dans le désordre et de me filmer ; je piocherai ensuite de quoi constituer un cours d’une heure. Retour à l’idée de bibliothèque d’exercices que je voulais constituer au début des vacances, quand il n’était pas encore temps de s’y coller.
Puis se filmer est instructif. Outre la confirmation d’un manque évident de rotation au niveau des cuisses, je note ce qui bouge, lâche ou au contraire ce qui reste surprenamment aligné — utile si jamais je voulais enregistrer des vidéos pour les partager. Mon déroulé du pied paraît relativement pro, mais je me crée un triple menton tout en tension en voulant les apercevoir et je suis incapable de commencer un exercice sans me réajuster mille fois. C’est vrai que tu pattounes, comme un chat, confirme le boyfriend, témoin de mes séances matinales de yoga.
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Lors de notre visio vespérale, il est question entre autres de masculinité et de féminité. Les signes extérieurs de féminité telle qu’elle est valorisée dans notre société patriarchale (minijupes, talons, maquillage), je les ai arborés tant qu’il s’est agi d’un jeu (provoquer les regards, remodeler mon visage pour la ville comme je le faisais pour la scène). Quand se maquiller est devenu un geste automatique à faire avant de sortir de chez soi, comme se brosser les dents, j’ai abandonné. Je ne me sens pas spécialement femme. Je sais que j’en suis une, je n’ai pas de problème de genre, mais ça m’indiffère globalement ; je me pense davantage comme un lutin ou un zébulon, un truc asexué, vaguement enfantin — adulte quand il le faut vraiment. La sensualité, lolilol. J’en dégage pourtant, dixit le boyfriend nécessairement biaisé. Serait-ce ce qui m’a surprise de moi sur les vidéos enregistrées dans l’après-midi, cette espèce de fluidité un peu précieuse qui m’échappe en dehors des exercices ? De fait, les rares fois où je me fais draguer, c’est toujours quand je suis en mouvement, jamais immobile — pas photogénique mais cinétique, on va dire. Ce n’est pourtant pas du tout l’impression que j’ai ou cherche à avoir ; je préfère me penser comme puissante plutôt que féminine. Le boyfriend avait remarqué, oui : j’ai le déplacement dynamique, efficace. N’empêche que transparaît quand même autre chose, selon lui. Ça me semble réducteur. Il argumente contre ma moue : il n’y a pas à opposer puissance et féminité ; il y a aussi une puissance de la féminité. Remuer du croupion comme un tralalalalère clôt le débat.
Mardi 23 juillet
Je change les draps, lance une machine, récure la douche à mains nues puis avec de nouveaux gants sans latex après un intermède Leclerc, nourrit la poubelle jaune de l’immeuble, étend la machine, fais le rapprochement entre les tickets de caisse accumulés et mon compte en banque, saute d’un verbe d’action à un autre, mi-fatiguée mi-galvanisée.
Mercredi 24 juillet
Non, les douleurs ponctuelles dans le nerf fémoral gauche ne sont pas bon signe. Oui, un autre nerf s’était mal positionné à droite. Posturologue et spécialisée en danse, l’ostéo passe un bon moment à m’expliquer comment engager un retiré par les ischio-jambiers plutôt par le quadriceps — ce qui, dans la répétition et par extension (monter les escalier, marcher…) cause ledit problème. Remplacer un réflexe de plus de 20 ans par un autre n’est pas une mince affaire. De fait, la gêne revint dès le lendemain.
Jeudi 25 juillet
Fin du grand schlem ménager. 3 épingles, 1 pince, 1 élastique et quantité indénombrable mais importante de poussière et toiles d’araignée sous le canapé. L’appartement est désormais dans le même état que chez les gens qui font régulièrement le ménage.
Vendredi 26 juillet
Rêve. Une autoroute passe désormais derrière la maison de mon arrière-grand-mère et le chemin que seuls les riverains empruntaient est devenu une départementale très fréquentée. Le terrain est triangulé-isolé, vision en hauteur, la maison a fortement perdu de sa valeur, adieu le coin d’arrière-pays tranquille de mon enfance, les cigales remplacées par les voitures. Le dénivelé entre la terrasse et le jardin est devenu un canyon carrelé de motifs géométriques colorés irréguliers, triangles aigus, angles brisés, éclats de couleurs (les mosaïques de mon grand-père ? du MuSaBa ? les murs anti-bruits des autoroutes ?). Au réveil, ces murs hauts empruntent autant aux angles morts labyrinthiques qu’aux tombes des empereurs accompagnés de légions de soldats en terre cuite.
Rêve. C’est un dîner. D’anniversaire, je crois. Du mien, il me semble. Mum veut payer pour tous, mais quand le serveur annonce une somme à six chiffres, elle tique, carte bleue à la main, et rétrograde à la moitié. Je veux recalculer l’addition, des plats à 40€ c’est cher d’accord mais pas au point de valoir le prix d’une maison, 40 x 4, non combien sommes-nous, 40 x 7 + 10 * 3 les entrées les desserts est-ce que l’astérisque est bien prioritaire sur l’addition, je recommence, n’y arrive pas, la calculatrice me donne comme résultat une somme à six chiffres, moindre que celle du serveur, mais tout de même, cela doit être ça, cela ne peut pas être ça, comment de 40 passe-t-on à près de 400 000, l’ordre de grandeur m’échappe. // Mon inconscient aime me faire pianoter en vain sur des boutons, c’est comme au début du mois quand j’essayais d’appeler les secours pour sauver mon ex mourant.
Rêve. Dans le rêve, je me dis que je dois m’en souvenir, et de fait je m’en souviens au réveil, de cette pièce lumineuse avec ses ouvertures de palais et ses trois ornements de pierre, pommes de pin stylisées, évidées, lacis minéral, dont l’une est penchée, cassée. Mais du reste, des autres pièces, du contexte, des enjeux, rien. Rien que la lumière et ces plugs de pierre dressés sur une balustrade, gargouilles abstraites, boules de cristal qu’on accroche en bas des escaliers bourgeois.
Not un rêve. Not le Gorafi. Suite à une attaque sur le réseau SNCF, les TGV ne circulent plus et probablement pas du week-end : from boyfriend H-10 to boyfriend J-3 real quick. Joie envolée devant mon frigo méthodiquement vidé comme un porte-monnaie où l’on prélève pile l’appoint. Puis c’est la valse des rafraîchissements, sans paille mais avec F5, des atermoiements car le train n’est pas annulé, il circule ! avec un retard certes, compris entre 1h30 et 2h tout de même, temps de trajet triplé, reporter à lundi ou tenter, la tête dépitée du boyfriend par anticipation, je tente, sac ou valise, entrerai-je dans le métro, une rame toutes les 9 minutes avec les Lillois qui ne savent pas optimiser l’agencement de leurs corps, ils n’ont pas été entraînés aux grèves du RER C ni même à la 13 en heure de pointe, je juge la trottinette pas repliée et la double-poussette portant un bébé, ça oui, mais aussi un enfant en âge de marcher, pendant que les autres peut-être me jugent avec ma valise cabine que je serre de mes adducteurs pour qu’elle ne roule sur aucun pied, oui j’ai réussi à rentrer. Sur le quai du TGV, je me sers de la poignée comme d’une barre pour faire des relevés. Have you done your calf raises today?
Au premier arrêt, une cinquantenaire sans gêne (blanche) éjecte une gamine (noire) de sa place sans même attendre que revienne la mère, descendue en vitesse pour remettre un paquet. S’ensuit une altercation à base de bon droit, de racisme et de dignité outrée. Des flics en civil se pointent, posture d’autorité torse bombé, avant-bras sur les sièges : le ton monte. Des agents SNCF les remplacent, parlent à voix très basse à la personne lésée qui en faisait des caisses : désescalade immédiate. Belle démonstration de communication non violente.
Le TGV circule à petite vitesse, ralentit puis s’arrête à Albert, que j’imagine être encore dans le Nord rapport à l’architecture en briques rouges de la gare et de l’église — surmontée d’un improbable dôme doré. Tandis que mon cerveau entonne le générique d’un dessin animé de mon enfance, Albert le cinquième mousquetaire, on m’apprend sur Mastodon que je suis dans la Somme et que cette église, en réalité une basilique, est célèbre depuis la première guerre mondiale.
En 1915, un obus toucha le dôme soutenant la statue, qui s’inclina, mais resta dans un équilibre précaire et impressionnant. Cet événement donna naissance à une légende : « Quand la Vierge d’Albert tombera, la Guerre finira. » disaient poilus et tommies.
De fait, l’église a été rasée par les bombes en 1918. Right on time. On ne peut pas en dire de même du TGV. 1h, 1h30, 2h, le retard n’en finit plus, mais je reste relativement guillerette, égayée par les commentaires de la cérémonie d’ouverture des J.O. sur Twitter. Twelve points go to France, c’est la même vibe que pour l’Eurovision. J’arrive grosso modo pour Céline Dion. Il aura fallu 3h30 pour faire Lille-Paris, soit environ 5h pour faire Roubaix-Montrouge.
Dimanche 28 juillet
Zapping pour tenter d’attraper les épreuves de gymnastiques. La télévision ne retransmet pas les épreuves in extenso, seulement un zapping des disciplines où s’illustrent des Français, comme si on ne pouvait pas vouloir suivre un sport sans biais nationaliste. Ce n’est pas beaucoup mieux sur la plateforme france.tv : la rubrique « gymnastique » comporte uniquement le passage à la poutre de Simone Biles.
Lundi 29 juillet
Rêve. On écope les conséquence d’une magouille entrepreneuriale de mon ex qui n’est plus là. Escape game à la vie à la mort, dans des eaux sauvages de la terre des courants, j’aide un binôme à avancer, ne pas se noyer, ne pas se faire rattraper au milieu des couloirs, casiers de piscine, quelqu’un nous aide à nous exfiltrer et le passage par la prairie, bien sûr, entre les clôtures.
Les anciens programmes de spectacles que j’étais passée chercher chez I. se sont transformés en prétexte à discuter tout l’après-midi devant un thé à la menthe non marocain (Mariage frères) et des cookies sans farine de blé (avec noisettes et pépites de chocolat). Dans la cuisine, tous les accessoires tous sont rouges, toutes les épices rangées dans les mêmes bocaux Rollinger ou Bonne Maman — je pensais que c’était uniquement dans les magazines de décoration ou les AirBnB, où la sédimentation du quotidien n’a pas à être matée. L’appartement dans son ensemble, avec son unique mur de couleur dans des pièces blanches, son rangement au cordeau et sa décoration assortie me fait penser à celui de Mum. Il y a même un monstera. Comme un fait exprès, I. me confie se sentir proche de ce que je raconte de Mum sur ce blog. Et je découvre au cours de la discussion qu’elles partagent un même goût juridique et humain pour les procès. De fait, I. serait impeccable comme témoin tant tout chez elle est narré méticuleusement, dans l’ordre, avec tenants, parenthèses relevant (« ce n’est pas intéressant » ajoute-t-elle aux faits détaillés) et aboutissants. Certaines choses peuvent être passées sous silence, mais pas d’ellipse ou de résumé pour ce qui peut être raconté. J’échappe à l’interro surprise en sortant des toilettes, où sont scotchées les fiches de révision tout aussi méthodiques de sa fille.
Mardi 30 juillet
Rêve. Je replace les petits êtres figurines que j’abrite sous moi, corps gainé en planche, comme d’autres en rosace autour de moi. Ceux du dessus brûleront dans l’explosion mais protégeront ceux du dessous. Sauf que ce n’est pas une explosion, mais un incendie, je vois le mur en flamme nous sommes enfermés nous allons mourir j’espère que le monoxyde de carbone nous fera perdre connaissance avant de brûler vif, avant la douleur, mais le feu prend tout doucement, comme des braises qui grignotent doucement leur bûche, nous allons mourir oui mais plus tard, plus vieux, nous avons le temps de vivre en attendant, le feu nous rappelle à la joie de nous éprouver vivant quoique/car mortels.
Rêve. J’essaye des vêtements, hésite, ressort du magasin sans avoir tranché, avec tout sur le dos. Le burger qui reste à 22€ même végétarien, non, même s’il est bon, le plat à 17€ non plus, je prends le riz cuisiné à plein de choses à 11€, c’est bon.
En visio avec une maman soucieuse d’accompagner au mieux sa fille, que sa prof dit douée pour la danse, je brosse un panorama des écoles supérieures à la wannabe ballet mum. Quand je lui explique que sur mettons deux cents gamines, l’Opéra en sélectionnera une dizaine seulement, lui échappe un ah oui quand même. Eh oui, c’est un peu comme une équipe olympique. On parle morphologie, souplesse, cours particulier et summer intensive. Je lui parle des parcours qui peuvent s’envisager, des CNSM, du CRR de Paris et de Boulogne, et aussi de tous les équivalents de l’Opéra à l’étranger : la Royal Ballet School lui plait bien pour l’inclusivité promue via les photos de son site web, et l’académie Princesse Grace, ça, ça lui vend du rêve ; elle m’arrête en revanche quand je mentionne Palucca ou l’école du ballet de Hamburg, l’Allemagne manque manifestement de paillettes. Je démultiplie les possibles pour qu’elle encourage sa fille à intégrer une formation professionnalisante sans se focaliser uniquement sur l’Opéra — statistiquement, il y a plus de chances de ne pas y être acceptée que de l’être. Être douée et bosseuse ne suffit pas forcément, et c’est quelque chose de compliqué à (faire) entendre. J’espère y être parvenue, être restée encourageante sans susciter de faux espoirs.
Au dîner, le chirashi est bon mais vite lourd — cette chaleur… À 23h, en revanche, en compulsion, le bol en plastique ressorti bien froid du frigo, c’est divin.
À lire l’autobiographie de Fabienne Verdier après la biographie de Nadia Comaneci, c’est de ça dont j’ai besoin : de persévérance, de discipline qui se confond avec la curiosité et l’entêtement.
Mercredi 31 juillet
Rien à faire, je regarde le sport avec l’œil de la danse. La compétition, la vitesse, les matchs, les armoires normandes de muscles : bof. Ce qui me réjouit, ce sont les corps maîtrisés, précis et puissants, les corps gainés-galbés arqués en virgules suspendues au-dessus des barres asymétriques comme des signes diacritiques, propulsées dans les airs en double salto tendu (Simone Biles !) ou fendant l’eau dans l’épreuve de plongeon synchronisé (au premier coup d’œil, le boyfriend me prévient que cette fois-ci, c’est du plongeon en solo, la seconde chinoise disparue derrière sa coéquipière).
Incapable de me lancer dans une activité qui exige une quelconque concentration comme de prendre plaisir à ne rien faire ou pas grand-chose, je m’enferme dans une humeur massacrante. Verrouillage hormonal activé. Contre ça, lire et suer il n’y a que ça de vrai, faire une course, gesticuler, s’étirer jusqu’à se prendre soi-même au piège au jeu et régler quelques exercices pour une future barre. La sueur s’ajoute à l’anti-moustique, à la crème solaire et aux 30°.
Un ami du boyfriend passe dîner, ça cause conflit israélo-palestinien et prénoms de son futur enfant. Les débats animent le boyfriend, de l’intérieur, visage éclairé, marré, je l’observe très séduisant depuis ma position de tiers, sans avoir à le faire à la dérobée, en me dédoublant-dédouanant de ma position d’interlocutrice qui est mienne lorsque nous ne sommes que tous les deux. On devrait inviter P. plus souvent, rit-il en fin de soirée, bien après le départ de P., alors que le canapé est redevenu lit.