Sidonie aside

N’allez pas voir Les Adieux de la reine si vous n’aimez pas vraiment ses actrices principales. Le film de Benoît Jacquot repose sur la fascination des visages : l’embrasement du peuple et de la reine se reflète sur le visage de Léa Seydoux comme les atermoiements d’un feu de cheminée. On y voit la passion de son personnage, Sidonie Laborde, pour Marie-Antoinette et la passion de celle-ci pour Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen), qui lui fait perdre la tête avant même que les événements n’exécutent l’expression au pied de la lettre.

L’histoire est vue depuis ses marges, alors forcément, on reste entre femmes. On reste retranché au château de Versailles, curieuse forteresse assiégée, où l’impératif de Sidonie est de finir de broder le dahlia réclamé par la reine lors d’une fantaisie capricieuse dont elle ne se souvient pour ainsi dire plus. Il faut attendre que circule la liste des têtes réclamées par le peuple pour que l’inquiètude gagne cette campagne où le soleil ne cesse de briller. Cette nature indifférente, presque insolente, rend le danger improbable : les massacres ensoleillés, comme dans L’Espoir de Malraux ou la Commune peinte par Maximilien Luce, sont trop scandaleux pour qu’on puisse les concevoir. Ce décalage entre la mort imminente d’une société et la vitalité par laquelle elle se refuse à envisager sa propre fin est rendu plus sensible encore par le parti pris du réalisateur, de privilégier la proximité émotionnelle sur la distance historique.

Hormis un court instant où la reine et Sidonie, sa lectrice, se livrent à une conversation digne de monsieur Jourdain, le langage n’a rien de précieux, Sidonie trimballe un sac en tissu qui me fait tiquer chaque fois qu’elle le passe en bandoulière sur sa robe à l’anglaise, et selon le souhait du réalisateur, elle porte les coiffures d’époque comme une queue de cheval, pas plus déguisée que la mode l’exige à toute les époques. Cette liberté nous éloigne d’une altérité d’autant plus précieuse qu’elle nous échappe toujours, mais d’une certaine manière, en ne cherchant pas à tout prix à s’identifier à cette époque révolue, elle refuse de faire croire à l’abolition de la distance et la parcourt jusqu’à la frôler.

Ainsi la cavalcade des courtisans qui accourrent vers le roi ou la reine n’est peut-être pas en accord avec la pesanteur et la rigidité de l’étiquette, mais elle nous fait prendre conscience de l’espace dans lequel la cour évolue, de la distance qui sépare une pièce d’une autre et partant, un statut social d’un autre. La place de Sidonie et de son amie Honorine (Julie-Marie Parmentier, à qui le franc-parler des servantes convient décidemment bien, même s’il n’a rien à voir ici avec la violence des Blessures assassines) ressort alors dans toute son ambiguïté : habillée d’une robe simple mais élégante, la lectrice de la reine, qui côtoie la plus haute noblesse, prend son repas en cuisine avec les domestiques, dames de compagnie et femmes de chambres cependant servies par les cuisinières, et dort dans une chambre où la pendule qu’on lui a prêtée pour être ponctuelle auprès de la reine détonne. Et pour brouiller encore plus les rangs et faire valoir l’incommensurabilité qu’il y a des courtisans au roi plus encore que des domestiques aux courtisans, ces derniers ont délaissé leurs châteaux pour vivre dans des trous à rat insalubres.

Mais tout cela n’est que l’arrière-plan révélé par le triangle amoureux central (pour rappel : Sidonie Laborde –> Marie-Antoinette –> Gabrielle de Polignac). Contrairement au film de Soffia Coppola, Marie-Antoinette n’est pas le personnage principal : vue à travers le regard de Sidonie, elle reste la reine, mystère cristallin. Même si elle prend le bras de sa lectrice pour passer un onguent sur ses piqûres de moustiques, celle-ci se tient ensuite à une distance respectueuse et plonge à chaque entrevue en révérences réitérées, jusqu’à ce que sa majesté veuille bien remarquer sa présence. De fait, si Marie-Antoinette aime Gabrielle de Polignac, qui l’a fascinée justement parce qu’elle n’était pas « un de ces êtres dont un dispose comme d’un chou à la crème », Sidonie ne peut qu’adorer la reine. Sa dévotion outrepasse les limites de l’amour, et contrairement à Gabrielle de Polignac qui fuit la reine pour échapper à son destin, Sidonie va jusqu’à se mettre en danger pour elle, en suivant sur sa demande la comtesse, dont elle prend les habits (verts, comme le cyanure) — travestissement dramatique aux antipodes de la légèreté du marivaudage. C’est ainsi qu’elle s’offre à elle : la scène où on déshabille devant Marie-Antoinette sa servante fait écho à la seule autre scène de nu du film, où l’on découvrait le corps endormi de l’amante désirée par la reine.

Au final, c’est bien mademoiselle de Laborde qui porte la vraie noblesse : blessée, elle reste digne, au point de ne pas éveiller le moindre soupçon lors de la substitution. Et je reviens à ma première impression, qui m’avait fait prendre Sidonie pour Marie-Antoinette, sûrement parce que la rondeur de Kirsten Dunst se retrouve davantage dans le visage de Léa Seydoux que dans les traits d’une extrême finesse de Diane Kruger.

2 réflexions sur « Sidonie aside »

  1. « Sidonie trimballe un sac en tissu qui me fait tiquer chaque fois qu’elle le passe en bandoulière sur sa robe à l’anglaise »
    Haaa mais carrément, moi aussi ça m’a fait tiquer. Je n’y connais strictement rien en histoire du costume, mais là ça faisait un peu trop étudiante qui va en cours avec son tote bag ^^

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