Soirée tchéquo-mozartienne

Jeudi soir, Palpatine et moi avons fait concert à part, lui à la Philharmonie 1, moi à la Philharmonie 2. Et non, rien de rien, je ne regrette rien, car j’ai passé une excellente soirée tchéquo-mozartienne en compagnie de Luce. Dès le début, ça dépote : si solidement campé sur ses deux jambes qu’il me fait penser à Horatius Coclès1, Vladimir Jurowski mène le Chamber Orchestre of Europe à la baguette. Son brushing impeccable, pointes vers l’extérieur, ne bouge pas d’un pli lorsqu’un accord du Double concerto pour cordes, piano et timbales de Martinů lui intime de se rassembler sur la seconde, jambes serrées comme un soldat au garde-à-vous, surpris par l’arrivée de son colonel. Le Czech power, c’est la qualité professionnelle pour vos cheveux oreilles.

Les couleurs tchèques sont également défendues par Mladi de Janácek, sextuor de vents où chaque instrument caquète, glousse, cancane et jacasse à son aise. Allez viens, ma poule, on va danser ! (Je me retiens de me dandiner sur mon siège.)

La transition grand écart avec Mozart est assurée par sa symphonie heureusement intitulée Prague. Je n’en ai pas de souvenir beaucoup plus précis qu’un état de mi-béatitude mi-hébétude, à cause de la fatigue (concert finissant à 23h20 !) et des divagations qui s’en sont suivies (la coupe de cheveux et les sourcils Hermione-like de la flûtiste m’ont fait dériver, via le souvenir d’un tweet sur Emma Watson, vers des considérations mi-féministes mi-fumistes).

J’étais bien plus concentrée pour le premier Mozart pré-entracte, Concerto pour piano n° 24. La disposition des musiciens m’a semblée originale, avec les contrebassistes toujours debout, et les vents rassemblés côté cour ; on les voyait ainsi onduler de profil, plongeant et se redressant au gré des phrases musicales, comme si leur instrument était vivant et qu’il fallait tantôt le suivre tantôt le contrer pour mieux canaliser ses embardées serpentines. Au milieu, sur sa chaise sans confort : Radu Lupu, pépère. Pas la peine de s’en faire, pas la peine de s’agiter, pensez-vous, la musique est déjà là, il suffit d’effleurer quelques touches pour la raviver, comme un souvenir un peu enfoui qu’on découvre intact en s’y repenchant. On s’étonne de ce que les émotions, déjà vécues, soient si vives, si neuves – si paisibles aussi : le toucher de Radu Lupu est aussi doux qu’on imagine sa barbe nuageuse l’être. Il joue du piano l’air de ne pas y toucher et, en deux temps trois mouvements et bouts de ficelles, vous fait le concerto le plus merveilleux qui soit. Indulgent, il passe outre nos applaudissements d’enfants gâtés, qui réclament un bis, et nous en offre un : c’est Noël.

 

1 Vieux souvenir de version latine, où Tite-Live raconte comment le héros romain a défendu seul un pont attaqué avant de se jeter dans le Tibre pour rejoindre les siens à la nage sous les flèches ennemies. Les voies des associations d’idées sont impénétrables.

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