La première tasse de chlore et autres menus déplaisirs

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Le Goût du chlore est à la BD ce que Les Triplettes de Belleville sont au dessin animé : le muet rendu éloquent. Au bout de quelques planches grâce auxquelles Bastien Vivès nous épargne la question de savoir si les personnages sont privés de l’usage de la parole, on plonge dans le grand bleu vert – piscine oblige – pour ne plus ressortir de cette ambiance de chewing-gum à la chlorophylle (à mastiquer lentement, donc). Malgré le peu de paroles, cet album ne se lit pas particulièrement vite : il faut laisser à chaque case le temps de résonner du vacarme inarticulé des piscines, ou du silence bruissant de l’apnée, silence des amants avant qu’ils ne se touchent, silence dans lequel la galipette d’une nageuse confirmée redevient fœtus ; voir dans la page entière de vignettes de verrière la monotonie du dos crawlé, et la solitude du nageur, bras gauche dans une case, bras droit dans la suivante. L’auteur a du passer autant de temps avec des lunettes de plongée sur le nez qu’un crayon à la main pour que se retrouvent les lignes d’eau – troubles pour les parties du corps immergées, effilées et précises pour les adeptes de la natation, pataudes pour le barboteur qui éclabousse tout le monde, sveltes et musclées pour celle qui (avec le même maillot Arena que j’avais autrefois) fascine le personnage principal de la BD, condamné à la piscine par son kiné.

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Il faudrait être aveugle pour ne pas tomber amoureux, ne pas suivre les mouvements du corps devenus danse – car, bonnet banc et blanc bonnet de bain, c’est encore de danse qu’il s’agit (encore ou déjà, si l’on prend la perspective de l’auteur plutôt que de ce blog). Il n’y a de longueurs que si l’on ne prête pas attention à cette caresse répétée de case en case, ce corps réfracté sous toutes ses facettes. Il n’y a pas d’histoire, s’est plaint celle à qui je l’ai empruntée. Ce n’est pas exact : il n’y a pas l’histoire à laquelle on s’attendait. J’aime ce genre de déception, où l’on est finalement moins déçu que contré. Comme dans Joueuse, où j’avais été reconnaissante à Caroline Bottaro de ne pas faire tomber Sandrine Bonnaire dans les bras du joueur qui l’avait initiée aux échecs ; leur unique scène d’amour est passée sous ellipse, concession discrète à la dynamique narrative qui impose un dénouement à la relation intense et intime qui s’est nouée tout au long du film. Le spectateur/lecteur peut être comblé sans que le personnage le soit – c’est aimer le désir.

Blacksad, une BD noire mais pas triste

Sur les conseils d’Inci.

 

Au début, j’ai été un peu gênée par l’anthropomorphisme, car ce ne sont plus seulement des vêtements et des attitudes humaines qu’on prête aux animaux mais aussi des corps d’hommes et plus encore de femmes. Anubis à la tête de chatte, voyez plutôt la nouvelle Bastet :

 

Peu à peu, cependant, l’œil s’habitue, on se surprend à penser qu’il vaut mieux que les coups reçus par le héros lui fassent une tête de matou de gouttière plutôt que de malfrat glauque, et l’on finit par entrevoir la poésie qu’il y a à transformer le cliché en dessin : le chien, inspecteur fidèle au règlement ; la chatte, une femme à homme, sans la vulgarité qu’il y a à nommer ; le crocodile ou le lémurien, des créatures sans scrupules qui ont le sang froid et le gardent… Blacksad évolue bel et bien dans une jungle animale.

 

(Il y a une souris aussi, entre femme de ménage simplette et mignonne soubrette, mais je suis désolée de vous le dire, je ne me sens pas du tout souris du logis).