Organisé un peu précipitamment1 pour rendre hommage à un conservateur récemment décédé, l’Éloge de la rareté présenté par la BNF offre un assortiment d’ouvrages extraits de la réserve des livres rares, qui s’apprécie comme une boîte de chocolat (sans jamais savoir sur quoi on va tomber). Vouloir trouver une cohérence globale à cette exposition, c’est s’exposer à faire une mauvaise dissertation de philo. Plutôt que de définir les termes du sujet, on préférera le décliner dans un éventaire à la Prévert. Il y a…
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des livres très anciens mais pas forcément érudits : le conférencier nous présente ainsi l’ancêtre du rayon bien-être, avec un ouvrage sur comment se soigner avec les plantes, et un jeu de l’oie astrologique qui faisait pester Rabelais ;
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des reliures ouvragées, parfois commandées à des artistes ;
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des livres d’artistes, qui n’entretiennent parfois qu’un lointain rapport avec la lecture ; la plupart m’attirent autant que l’art conceptuel, c’est-à-dire pas du tout, mais j’ai trouvé stimulant le tome encyclopédique sur le temps, reliant des pages de quotidiens de tous pays, et j’aurais aimé tourner les pages de ce livre sans mot, feuilles translucide s’étant opacifiées à l’impression et qui comportent les coordonnées d’un mystérieux monstre marin (qui d’autre que des Japonais pour faire cela ?) ;
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des exemplaires qui ont seuls survécu ;
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des rescapés des Enfers : sulfureux (ce sonnet sur le membre roidissant entre les doigts, délectable…) ou éthiquement contestables (pour ne pas dire franchement raciste, par exemple) – on imagine aisément pire et meilleur en réserve ;
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des livres étonnamment bien conservés, comme cette grammaire pour aveugle qui date d’avant l’invention du braille, avec des pleins et des déliés imprimés sur papier gaufré ;
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des envois griffonnés, que je n’avais jusqu’alors jamais vraiment distingués des dédicaces (la dédicace est imprimée, elles fait partie du livre, tandis que l’envoi y est ajouté à la main) ;
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des invitations de Christian Lacroix pour un défilé ;
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des lettres de Proust, d’abord admiratif puis ulcéré, à la femme qui a inspiré la duchesse de Guermantes (continuez à me dire, après cela, qu’elle n’est pas tournée en ridicule dans Du Côté des Guermantes…). « J’habite à quelques rues de vous […] j’habite en vous » : quel genre d’homme faut-il être pour écrire cela à une femme dont on n’est pas l’amant ?
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des épreuves – et ça a dû en être une pour l’imprimeur, de lire toutes les indications laissées par Baudelaire sur le BAT des Fleurs du Mal, avec le S trop près du R et les titres à grossir mais pas trop mais plus gros quand même (vu la quantité de hiéroglyphes, c’est franchement optimiste de donner son bon à tirer – j’aurais demandé un autre tour d’épreuves…) ;
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des planches originales de Babar (!) et d’Astérix (ancré non pas à la plume mais au pinceau !!) ;
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un grand placard (A2 ? Demi-raisin ?) couvert de descriptions de bijoux appartenant à la comtesse du Barry qui, victime d’un cambriolage, promet récompense juste et proportionnée aux bijoux que l’on rapporterait. Outre le goût douteux de ces objets (un pendentif avec une fontaine et un petit chien ?), on se demande ce qui a bien pu lui passer par la tête pour penser que c’était une bonne idée. Peut-être avait-elle déjà perdu la tête avant que les révolutionnaires ne la lui coupent.
La très agréable voix du conférencier navigue d’une table à l’autre, picore de quoi nous instruire, nous amuser, aiguiser notre curiosité, et ce sont tout plein de facettes inattendues de l’être humain qui surgissent entre ces pages et ces couvertures, qui ont bon dos d’être les objets et les témoins de tant de siècles, d’inventions, d’aberrations et de créations !
Belle initiative que ces journées portes ouvertes avec visite guidée. J’ai rarement été aussi contente d’un prospectus trouvé dans ma boîte aux lettres.
Pour jeter un oeil et vous faire une idée : le dossier de presse
1 La scénographie, un peu tristounette, a été repiquée à une exposition sur la grande guerre, nous apprend le conférencier.